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Bruno Le Maire : Le Maroc et la France ont aujourd’hui l’occasion de réinventer leur modèle de partenariat économique

Pour Bruno Le Maire, ministre français de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique, Rabat et Paris font face aux mêmes défis économiques. Le haut responsable français, qui effectue une visite de travail au Maroc, cite à cet égard notamment la sécurisation des chaînes de valeur, la décarbonation, le défi climatique, la transition numérique... «Il nous appartient de redéfinir nos stratégies et nos complémentarités économiques et de réinventer des logiques gagnant-gagnant, qui sont les seules possibles», explique-t-il dans un entretien accordé au «Matin». Tout en rappelant que sa visite s’inscrit dans le cadre de la relance de la relation entre les deux pays, M. Le Maire précise qu’en matière de partenariat économique, une nouvelle feuille de route est en train de mûrir. L’ambition étant de «mettre en œuvre l’objectif de nos deux Chefs d’État, qui est celui d’un profond renouvellement et d’une modernisation résolue de la relation franco-marocaine.»

Bruno Le Maire.
Bruno Le Maire.
Le Matin : En compagnie de représentants du MEDEF (Mouvement des entreprises de France), vous effectuez une visite de travail au Royaume du Maroc. Quelles sont vos attentes de ce déplacement dans le Royaume ?

Bruno Le Maire :
Il y a un peu plus de six mois, je participais aux assemblées annuelles du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale à Marrakech, dont l’organisation a été un défi relevé avec brio par le Royaume du Maroc, au lendemain même de la tragédie du séisme d’Al Haouz. À Marrakech, j’ai pu m’entretenir avec le Chef du gouvernement et les principaux responsables économiques marocains et français. Nous tombions unanimement d’accord : la relation économique entre le Maroc et la France est à la fois dense et exceptionnelle, mais c’est aussi un partenariat qui doit se renouveler pour appréhender ensemble les nombreux défis de demain – réchauffement climatique, hydrogène, sécurité alimentaire. Je m’étais alors engagé à revenir pour porter la relance de notre partenariat économique, et je constate qu’en six mois, déjà beaucoup de choses ont avancé et une nouvelle feuille de route est en train de mûrir entre nos deux pays. Je suis donc ravi de revenir au Maroc, cette fois, à Rabat !

Mon déplacement sera l’occasion de présenter cette nouvelle feuille de route économique, co-construite avec le secteur privé. J’ai échangé aujourd'hui avec le Chef du gouvernement et plusieurs membres du gouvernement sur l’approfondissement de nos relations économiques. J’ai également pu rencontrer les étudiants de l’Université Mohammed VI Polytechnique de Rabat, pour entendre leur vision du partenariat économique entre nos deux pays, car ce sont eux les décideurs de demain. Ce vendredi, j’interviendrai lors du forum d’affaires qui est co-organisé par la Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM) et le Mouvement des entreprises de France international (Medef International).



Lors de sa dernière visite à Rabat, le chef de la diplomatie française avait parlé d’«un partenariat d'avant-garde entre les deux pays pour les 30 prochaines années». Sur le plan économique, quelles sont les grandes lignes de ce partenariat ?

Mon déplacement s’inscrit en effet dans le cadre plus large de relance de la relation bilatérale entre le Maroc et la France. Plusieurs de mes collègues du gouvernement sont venus très récemment, dont le ministre des Affaires étrangères, et d’autres suivront. Notre ambition, chacun dans son secteur, est d’écrire une feuille de route bilatérale ambitieuse pour mettre en œuvre l’objectif de nos deux Chefs d’État, qui est celui d’un profond renouvellement et d’une modernisation résolue de la relation franco-marocaine.

En matière commerciale, le Maroc est, de loin, le premier partenaire de la France en Afrique. Nos échanges sont à des niveaux record et, surtout, ils sont équilibrés ! Les entreprises françaises ont recours à l’industrie marocaine, qui est compétitive, et la France est le premier investisseur au Maroc. Le Maroc est aussi, et de loin, le premier investisseur africain en France. Nous avons bâti ensemble un modèle de partenariat économique «gagnant-gagnant» et aujourd’hui nous avons une occasion de le réinventer. Nos deux économies font face aux mêmes défis : sécurisation des chaînes de valeur, décarbonation, défi climatique, transition numérique, transitions démographiques... Face à ces défis, il nous appartient de redéfinir nos stratégies et nos complémentarités économiques et de réinventer des logiques «gagnant-gagnant», qui sont les seules possibles.

Quels sont les secteurs sur lesquels les deux pays misent en particulier pour concrétiser cette feuille de route ?

Je veux déjà rappeler nos réussites industrielles, qu’il faut consolider. Ces réussites, dans l’aéronautique, dans le ferroviaire, sont emblématiques et, surtout, communes. Pour le futur, je vois par exemple les grands chantiers en vue des événements sportifs importants de nos deux pays. Le Maroc organise la Coupe du monde en 2030, c’est une excellente nouvelle. Nous-mêmes sommes en pleine finalisation de l’organisation des Jeux olympiques cet été. Nous échangerons donc sur l’organisation de ces événements, en particulier en matière d’infrastructures sportives, de mobilités, de sécurisation et d’hébergement touristique.

Il y a d’autres nouveaux champs de partenariat sur lesquels nous allons travailler lors de mon déplacement. Je pense notamment à l’agroalimentaire et la sécurité alimentaire, aux mobilités vertes, à l’énergie, à la révolution que préfigure l’hydrogène vert, la gestion l’eau pour laquelle le Maroc a beaucoup à nous apprendre, à la santé, au numérique. Nos deux pays peuvent bâtir ensemble des champions, dont les marchés immédiats sont naturellement l’Europe et l’Afrique. Pour y parvenir, il faut mobiliser des talents. C’est la raison pour laquelle la formation de nos jeunesses et le capital humain sont des axes de coopération très importants pour nos deux pays.

Le secteur de l’énergie, et en particulier l’hydrogène vert, figure en bonne place parmi les projets de coopération entre les deux pays. Quelles sont vos ambitions avec le Maroc ?

Le Maroc a mené au cours des deux dernières décennies une stratégie énergétique ambitieuse, axée sur la diversification des ressources et la promotion des énergies renouvelables. D’ailleurs, certaines entreprises françaises ont pu participer à de grands programmes solaires et éoliens. Cette stratégie a permis au Maroc de répondre efficacement aux besoins croissants de sa population et d'électrifier la quasi-totalité de son territoire, tout en se positionnant comme un acteur de premier plan dans le domaine des énergies renouvelables. À plus long terme, le Maroc pourrait aussi renforcer ses échanges énergétiques avec l’Europe, sur l’électricité comme sur l’hydrogène, Les énergies renouvelables et l’hydrogène vert sont un champ de coopération prioritaire entre nos deux pays, qui disposent tous deux de champions nationaux et d’un potentiel de production substantiel.

Dans le sillage de la dernière visite de M. Séjourné à Rabat, la diplomatie française parle, s’agissant des provinces du Sud, d’accompagner le développement économique de la région du Sahara. Est-ce à dire que la France compte renforcer sa présence économique et encourager l’installation d’entreprises françaises dans ce territoire ? si oui, quels sont les secteurs qui l’intéresseraient ?

Des entreprises privées françaises et des investisseurs de l’Hexagone interviennent déjà dans ces régions, dans le secteur des énergies par exemple. La Chambre française de commerce et d’industrie au Maroc (CFCIM) y dispose de délégations, à Laâyoune et Dakhla, qui renseignent les opérateurs privés français sur les opportunités économiques. Cette dynamique est au bénéfice des populations locales. Dans la continuité de cet intérêt du secteur privé pour le développement de ces régions, le ministre de l’Europe et des Affaires étrangères et, plus récemment, le ministre en charge du Commerce extérieur ont indiqué que Proparco avait été autorisé à se positionner sur le financement du projet d’autoroute électrique entre Dakhla et Casablanca. Ce projet est en effet stratégique pour l’affirmation du Maroc comme puissance énergétique et pour la décarbonation de son économie, que la France soutient avec constance.

Au cours des dernières années, des pays comme l’Espagne, le Royaume-Uni, la Chine et les Émirats arabes unis ont accru leur présence économique au Royaume. Comment la France compte-t-elle préserver sa place de choix en tant que partenaire économique privilégié ?

Nos deux pays continueront à être des partenaires uniques ! Il est normal et sain que le Maroc, tout comme la France, diversifie ses partenaires, en recherchant les meilleures opportunités. Mais ne minimisons pas ce que la France et le Maroc ont construit ensemble au fil des décennies, notamment à travers les écosystèmes industriels, mais encore dans le numérique, dans la formation et l’éducation. Notre proximité géographique, mais aussi culturelle et linguistique, nous a permis de former dans beaucoup de secteurs de véritables «tandems gagnants», qui sont des références régionales et en particulier dans l’espace économique francophone.

Il faut accepter la compétition et nul ne prétend plus à l’exclusivité. Mais il faut reconnaître aussi ce qui a bien fonctionné. Comme je le soulignais, il y a un trait qui caractérise notre partenariat économique, c’est l’équilibre et le bénéfice partagé pour les deux économies. Le secteur de l’aéronautique en est un parfait exemple et nous pouvons être fiers des réalisations, qui en préfigurent de nouvelles. Enfin, je suis optimiste, car il y a la «relève», nos PME, nos entrepreneurs, nos startups, dont on peut constater chaque jour la volonté de nouer de nouveaux courants d’affaires. C’est sur cet axe que nous devons travailler aussi, pour diversifier les acteurs de ce partenariat d’exception.

L’Initiative Royale visant à offrir un accès à l’Atlantique au pays du Sahel s’annonce comme un projet grandiose pour l’avenir de la région. Dans quelle mesure ce projet pourrait-il intéresser les investisseurs français ?

Le Maroc et la France partagent une même ambition pour leurs façades atlantiques et c’est la raison pour laquelle nos deux pays sont des partenaires de choix. C’est aussi pour cela que la Chambre française de commerce et d’industrie au Maroc a organisé, avec ses partenaires marocains, de très importantes «Journées économiques» à Nantes, fin janvier, consacrées aux enjeux et opportunités de l’économie bleue. Cet événement a été suivi, en février dernier, d’une importante mission d’entreprises de la région Pays de Loire à Casablanca, avec des discussions approfondies sur les enjeux portuaires. Je pourrais également citer la mission de prospection conduite par notre ambassadeur dans la région de Guelmim-Oued Noun qui a permis d’initier de nouveaux partenariats entre acteurs français et marocains dans cette région qui deviendra un des hubs importants de l’hydrogène vert et de l’économie bleue. Ces exemples concrets montrent que les entreprises françaises, soutenues par l’État, sont pleinement engagées dans le développement de la façade atlantique du Maroc, comme hub entre l’Europe et l’Afrique, à commencer par l’Afrique de l’Ouest et le Sahel francophones.

Parlons justement de l’Afrique, comment la France et le Maroc comptent-ils travailler de concert pour renforcer leur présence économique en Afrique ? Quels atouts offrent Rabat et Paris ?

Le Maroc est à l’évidence un pont entre l’Union européenne, l’Europe au sens large et l’Afrique. Il l’incarne par sa géographie, sa culture et son histoire. Sous l’impulsion de Sa Majesté le Roi Mohammed VI, le Maroc a adopté une stratégie extérieure résolument tournée vers l’Afrique. Cette vision et cette dynamique, la France doit les intégrer dans la manière d’aborder son nouveau partenariat économique avec le Maroc. Nous y travaillons déjà et je vois plusieurs domaines prioritaires. Je pense d’abord à celui de la décarbonation et de la connectivité de nos économies. Le Maroc dispose d’un haut potentiel d’énergies renouvelables et d’hydrogène et est à l’initiative de grands projets d’infrastructures énergétiques qui permettront de relier et d’approvisionner l’Afrique et l’Europe en énergie bas-carbone. Plusieurs interconnexions existent déjà, d’autres sont en devenir, sur la façade atlantique du continent africain, avec le très ambitieux et très attendu gazoduc Maroc-Nigeria. Un autre volet tout aussi crucial pour nos économies, c’est les infrastructures portuaires et logistiques, avec l’emblématique réalisation de Tanger-Med et, demain, l’ambition d’une flotte maritime marchande marocaine. Les opérateurs français sont désireux de participer à cette ambition du Maroc, comme hub logistique entre Europe et Afrique.

Enfin, je veux rappeler ici aussi le rôle du Maroc dans la formation des acteurs économiques africains, dans le cadre de partenariats avec des institutions, de grandes écoles, mais aussi des entreprises françaises, à l’image de l’Institut de formation ferroviaire de Rabat que j’aurai l’honneur de visiter aujourd’hui.

Fin 2019-début 2020, des discussions sérieuses avaient été entamées entre le Maroc et la France au sujet de la délocalisation/relocalisation. Où en sont ces discussions aujourd’hui ?

Le Maroc a été visionnaire s’agissant du développement de chaînes de valeur industrielles sur le bassin euro-méditerranéen. Il dispose d’une vraie base installée compétitive, avec les écosystèmes qu’il a su développer dans l’automobile, l’aéronautique, dans l’agriculture et l’agro-alimentaire, et plus récemment dans le ferroviaire. Ces écosystèmes ont prospéré grâce aux complémentarités identifiées en particulier avec des entreprises et des opérateurs français. Pour être clair, le partenariat gagnant-gagnant dont je parle n’est pas et ne peux pas être la délocalisation d’industries européennes au Maroc, de la même manière qu’il ne peut pas être de l’export de produits manufacturés sans valeur ajoutée locale. Ce partenariat repose plutôt sur la création de chaînes de valeur conjointes, s’appuyant sur nos forces respectives et créant des emplois bien rémunérés dans nos deux pays. Et je veux saluer ici la vision d’une entreprise comme Safran et de son président, qui a cru parmi les premières à la force du «Made with Morocco».

Mais je pourrais citer des dizaines d’autres entreprises qui ont trouvé, ici au Maroc, une base permettant de renforcer la compétitivité de leurs produits fabriqués dans nos deux pays. Ce qui a réussi dans l’aéronautique, nous pouvons y travailler dans d’autre secteurs comme la santé, l’énergie verte ou le numérique, mais probablement de nombreux autres secteurs qui feront l’économie de demain dans cette logique gagnant-gagnant. Aujourd’hui, le Maroc n’a plus à démontrer qu’il est un partenaire solide pour l’économie européenne, c’est un fait reconnu !
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