Hiba Chaker
24 Décembre 2024
À 19:19
Dans une petite salle ornée de bois sculpté et de zellige traditionnel, au sein de l’
Académie du Royaume à Rabat, une atmosphère empreinte d’attente fébrile et d’excitation diligente régnait ce mardi 24 décembre 2024. Journalistes, ministres, et hommes politiques étaient présents pour assister à une rencontre de communication qui se voulait historique. Sur
Hautes Instructions Royales, les propositions de révision de la
Moudawana ont été dévoilées ce jour-là. Une étape décisive dans l’évolution du droit familial marocain. Et c’est
Aziz Akhannouch, Chef du gouvernement,
Ahmed Toufiq, ministre des Habous et des affaires islamiques, et
Abdellatif Ouahbi, ministre de la Justice, qui ont présenté tour à tour les contours de ce projet ambitieux qui sera prochainement soumis au vote parlementaire. Retour sur les grands axes de cette réforme.
Une réforme au service des femmes
De prime abord, on réalise que la volonté de renforcer la place des femmes dans la société marocaine est au cœur de cette réforme. Parmi les avancées majeures, la reconnaissance du travail domestique des femmes comme une contribution économique à part entière marque un tournant historique. Cette disposition, inédite au Maroc, permet de considérer le travail non rémunéré des femmes au sein du foyer, qu’il s’agisse de la gestion de la maison, de l’éducation des enfants ou de l’appui aux activités économiques familiales, comme un élément tangible dans le partage des biens acquis durant le mariage. En cas de divorce, cette reconnaissance offrira aux femmes au foyer une protection économique accrue. La réforme s’attaque également à la question sensible de la polygamie. Désormais, le contrat de mariage inclura une clause explicite qui permet aux femmes de stipuler leur opposition à la polygamie. En l’absence de cette dernière, la polygamie ne pourra être autorisée que dans des cas exceptionnels strictement encadrés, comme l’infertilité ou une maladie grave de la première épouse. Ces cas devront être validés par un juge, après une évaluation approfondie des circonstances.
Les droits de l’enfant renforcés
La réforme en cours accorde également une place centrale à la protection des droits des enfants, affirmant ainsi l’importance de garantir leur bien-être dans toutes les configurations familiales. Lors de sa déclaration, le ministre de la Justice a souligné que les nouvelles dispositions visaient à offrir un cadre plus équitable et protecteur pour les mineurs, en particulier dans des situations souvent complexes comme le divorce ou la séparation des parents. L’une des avancées majeures réside dans la redéfinition du principe de la garde des enfants. La garde devient un droit partagé entre les deux parents, une mesure qui favorise l’implication équitable de chacun dans l’éducation et le développement des enfants, même après la dissolution de l’union conjugale.
Cette garde partagée s’accompagne d’une autre nouveauté tout aussi primordiale : le logement familial reste à la disposition du parent gardien et des enfants. Cette disposition vise à limiter les perturbations dans la vie quotidienne des mineurs, leur permettant de continuer à évoluer dans un environnement stable et familier. Un autre point clé de cette réforme concerne l’âge légal du mariage, qui est maintenu à 18 ans, conformément aux standards internationaux en matière de protection des droits des enfants. Cependant, une exception limitée à l’âge de 17 ans pourra être accordée, mais uniquement dans des cas strictement encadrés par la loi et soumis à l’approbation d’un juge. Ce dernier devra s’assurer que toutes les conditions garantissant l’intérêt supérieur du mineur sont réunies avant de donner son accord. Cette mesure vise à restreindre drastiquement les mariages précoces tout en tenant compte de certaines spécificités culturelles ou sociales. Outre ces dispositions, la réforme introduit également des ajustements liés aux modalités de visite et de déplacement des enfants en cas de séparation. De nouveaux critères encadreront ces aspects afin de préserver les droits des parents tout en assurant la sécurité et la stabilité des enfants.
La modernisation des procédures
Outre l’intérêt accordé à ces ajustements s’agissant des droits des membres de la famille, la réforme de la Moudawana s’attache à rendre la justice familiale plus accessible, rapide et moderne. Lors de sa présentation, Abdellatif Ouahbi a insisté sur l’importance de ces mesures pour améliorer l’expérience des citoyens confrontés aux procédures judiciaires, souvent complexes et longues. Ainsi, le ministre a annoncé la création d’une instance de médiation obligatoire, une structure dédiée à la résolution des conflits conjugaux avant tout recours aux procédures judiciaires. Cette médiation vise à réduire les tensions entre les parties tout en évitant des démarches prolongées et coûteuses. En introduisant une étape de médiation préalable, le dispositif aspire à favoriser des solutions à l’amiable, plus humaines et moins destructrices pour la structure familiale.
Parallèlement, la réforme vise également à moderniser les procédures à travers l’adoption de différentes solutions numériques. La digitalisation, qui inclut la notification et l’enregistrement électronique des actes, promet de simplifier et d’accélérer le traitement des dossiers. Ces outils modernes visent non seulement à désengorger les tribunaux, mais aussi à offrir une transparence et une traçabilité accrues dans les démarches administratives. Un autre aspect clé de la réforme est la réduction des délais de traitement pour les affaires de divorce et de garde d’enfants. Désormais, les juges devront statuer sur ces dossiers dans un délai maximum de six mois.
Une réforme fidèle aux préceptes religieux
Il va sans dire que le respect des principes islamiques reste la pierre angulaire de cette révision. Abdellatif Ouahbi a rappelé à cet égard que les propositions ont été validées par le Conseil supérieur des oulémas, ce qui garantit leur conformité aux préceptes de la Charia. Pour rappel, le ministre des Habous et des affaires islamiques, Ahmed Toufiq, avait déjà souligné, le 23 décembre 2024, que l’avis du Conseil supérieur des oulémas avait été sollicité sur 17 questions essentielles dans le cadre de cette révision. La majorité de ces questions ont reçu un avis conforme aux règles de la Charia, tandis que certaines, qui touchent des textes formels, ont été déclarées intangibles. Ces dernières concernent notamment l’expertise génétique pour établir la filiation, l’abrogation de la règle du Taâsib et la succession entre musulmans et non musulmans.
La réforme prévoit par contre des ajustements dans les règles d’héritage qui permettent des donations équitables aux héritiers tout en respectant les dispositions religieuses, notamment à travers «Al Hiba». Des mesures spécifiques sont également introduites pour les Marocains résidant à l’étranger, telles que la validation des mariages sans témoins musulmans en cas de contraintes locales, ce qui illustre une volonté d’adaptation aux réalités de la diaspora marocaine estimée à plus de 5 millions. En guise de conclusion de son intervention, Abdellatif Ouahbi a souligné que ce projet constituait une opportunité de réaffirmer l’engagement du Maroc en faveur de l’équité et de la justice sociale, tout en restant fidèle à ses valeurs culturelles et religieuses. Une fois adoptée, cette révision pourrait bien redéfinir durablement les contours de la famille marocaine et renforcer la position du Royaume comme modèle dans la région.