Menu
Search
Jeudi 09 Mai 2024
S'abonner
close
Accueil next Nation

Révision du code de la famille : les féministes ne veulent pas d'une réforme en demi-teinte

Des femmes de divers horizons, mais ayant à cœur la défense des droits de la femme étaient en conclave samedi dernier à Rabat à l’occasion de la première édition des Assises du féminisme organisée par l’Association pour la promotion de la culture de l’égalité. Comme il fallait s’y attendre, la révision en cours du Code de la famille s’est invitée au débat.

Ph. Seddik
Ph. Seddik
Des femmes juristes, militantes associatives, universitaires, médecins, islamologues, historiennes, anthropologues, économistes, romancières, artistes et expertes se sont donné rendez-vous à la première édition des Assises du féminisme organisée samedi dernier à Rabat par l’Association pour la promotion de la culture de l’égalité (APCE).



Et comme il fallait s’y attendre, cette première édition a été largement dominée par des échanges denses autour du statut des femmes au Maroc et bien entendu de la réforme en cours du Code de la famille. En effet, la société marocaine vit depuis plusieurs mois au rythme de débats et de consultations nourris dans le sillage de l’annonce faite par le Souverain en septembre 2023 d’une nouvelle réforme de la Moudawana. Ainsi, pour les différentes participantes, cette réforme annoncée est plus que nécessaire, «elle est urgente», car si la Révision de 2004 a apporté des acquis, elle ne permet plus aujourd’hui de répondre à tous les défis auxquels la société marocaine est confrontée.



«Parmi les principales raisons qui pourraient justifier l'urgence d'une nouvelle réforme de la Moudawana, on peut faire référence à l'évolution des mentalités. La société marocaine a connu d'importants changements ces dernières années, notamment en matière de droits des femmes. En outre, l’émancipation des femmes et leur contribution de plus en plus à l’activité économique a fait que leurs rôles même au sein de la famille a changé. Aujourd’hui, de nombreuses femmes sont devenues des chefs de familles, et pourtant cette évolution n’a pas été accompagnée d’une prise de conscience sociétale. On a toujours du mal à se détacher du concept de la famille patriarcale. Ce sont d’ailleurs ces inégalités sociétales, entre autres, qui font que le Maroc soit toujours mal classé au niveau de l’indice du développement», explique Nouzha Skalli, présidente du think tank Awal et ancienne ministre de la Solidarité, de la famille et du développement social.

Les féministes pour une refonte de Moudawana

En effet, les féministes étaient unanimes pour dire que le Code de la famille de 2004 a constitué une révolution pour les droits des femmes au Maroc par rapport à celui de 1993, dans la mesure où la Moudawana a apporté des avancées majeures, notamment l’instauration de l'égalité entre les hommes et les femmes en matière de mariage, la suppression de la discrimination entre les sexes, notamment en éliminant le consentement du wali (tuteur légal de la femme) pour le mariage et en fixant l'âge minimal du mariage à 18 ans pour les hommes et les femmes, et en établissant l'égalité des droits et des devoirs des époux au sein du mariage. Mais ces grands changements sont restés incomplets du point de vue des féministes, car des injustices sociales persistaient.



«Nous sommes face à un tournant, un moment historique pour mettre fin aux injustices dont sont victimes les femmes. Désormais, on n’appelle plus à une réforme de la Moudawana, mais à une refonte totale et radicale avec une révision de tout le lexique qui est considéré comme dégradant à l’égard des femmes, comme la “mout’âa” qui fait référence au plaisir», note Chaïmae Tahiri, journaliste et consultante.

Les principales revendications des féministes

Pour Amina Lotfi, présidente de l’Association démocratique des femmes du Maroc, l’objectif de la refonte souhaitée est de rétablir l’égalité, l’équité et la justice sociale et de garantir l’intérêt de l’enfant tout en limitant l’impunité par le biais de sanctions civiles ou pénales. Cette réforme doit donc se baser sur quatre piliers, à savoir l’intérêt suprême de l’enfant, l’égalité face au mariage et au divorce et l’héritage.

«Il s’agit d’appliquer le principe de l’égalité de façon transversale en accord avec l’article 19 de la Constitution de 2011 qui criminalise la discrimination basée sur le genre et qui établit la pleine égalité entre les sexes, y compris dans les droits civiles et en accord avec les conventions internationales ratifiées par le Maroc. Cela passe nécessairement par la suppression de percepts comme la «Qiwama» qui érige la supériorité de l’homme du fait qu’il serait le seul pourvoyeur de ressources pour la famille. Ce qui n’est plus d’actualité avec l’augmentation de la proportion de femmes chef de ménages et de femmes vivant seules», analyse Mme Lotfi.

La même intervenante insiste également sur la valorisation du travail domestique non rémunéré effectué à 92% par les femmes et le partage des biens, notamment en cas de divorce. Elle appelle aussi au renforcement des sanctions dans les cas de violences faites aux femmes et qui prévalent a fortiori dans le contexte conjugal et privé. «Il est également nécessaire d’abroger l’article 400 du Code de la famille qui accorde au juge l’autorité de procéder à des interprétations. Ce qui fait que l’on se retrouve avec différents jugements pour la même problématique. Donc, il convient d’imposer le recours aux dispositions de la Constitution, les conventions internationales, notamment la convention internationale d’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes et la convention relative à l’enfant», note la présidente de l’ADFM.

Les principales autres revendications des associations féministes portent sur la prohibition totale du mariage des mineures avec des sanctions envers les contrevenants. Car selon elles, malgré l’interdiction du mariage des mineures, plus de 13.000 jeunes filles ont été mariées en 2022 à cause des dérogations accordées par les juges.

Mariage des mineurs, polygamie, héritage... les féministes pour des réformes audacieuses

Sur le volet du mariage, les féministes revendiquent l’abrogation totale de la polygamie, toujours en vigueur, malgré les mesures dissuasives imposées en 2004. «Un phénomène qui met en péril la cohésion familiale», estime Mme Lotfi. Les associations revendiquent également l’abrogation de la tutelle matrimoniale optionnelle pour la femme majeure ainsi que l’égalité en matière de mariage mixte. Elles appellent également à ce que la dot n’ait plus qu’une valeur symbolique et qu’elle ne conditionne plus la validité du mariage.



En ce qui concerne l’autorité parentale qui constitue un grand terrain d’inégalité puisque le père demeure le seul tuteur de l’enfant, même en cas de divorce, ce qui représente une incohérence avec le texte de 2004 qui érige la coresponsabilité des époux, les féministes proposent d’abolir l’article 131 qui définit la représentation légale de l’enfant afin d’établir un principe d’égalité dans la tutelle légale.

«Aujourd’hui, de nombreuses femmes ne réalisent pas qu’elles ne sont tutrices pas que lorsqu’elles se trouvent confrontées à des procédures administratives. Donc la tutelle doit être partagée entre les époux et confiée au parent qui a la garde de l’enfant dans le but de protéger l’intérêt supérieur de l’enfant», souligne Khaoula Benomar, présidente de l’Association Jossour.

S’agissant du divorce, les associations réclament une égalité de recours au divorce avec les mêmes conditions et les mêmes droits, ainsi que la simplification et l’unification des procédures avec la mise en place d’une réglementation stricte en matière de gestion du patrimoine des époux. Elles revendiquent en outre la reconnaissance de la filiation hors mariage et l’association de la filiation paternelle automatiquement à la filiation parentale et l’autorisation automatique du recours aux tests ADN.

Enfin, et en ce qui concerne l’héritage, la principale recommandation est l’abrogation de la discrimination du sexe et de la religion. D’après la féministe et universitaire Rabiâa Naciri, il est devenu primordial de disposer de l’égalité dans les parts successorales entre les femmes et les hommes et de supprimer le principe du Tâasib qui suppose que lorsque les femmes sont les seules héritières, l’homme le plus proche entre dans la succession.
Lisez nos e-Papers