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Jeudi 22 Mai 2025
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Communication publique : Seul le discours de vérité permet de restaurer la confiance (Houda Sikaoui)

Houda Sikaoui, directrice générale de l’agence Public Advisory et experte en communication stratégique, livre une analyse sans compromis de la méfiance croissante entre citoyens et institutions publiques. Intervenant dans le cadre de «L’Info en Face», elle déplore les insuffisances de la communication gouvernementale et des partis politiques, soulignant l'importance d’adopter une approche basée sur la sincérité, la cohérence et d’un discours en phase avec les attentes des Marocains.

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Alors que le paysage politique reste fortement imprégné par le populisme, la langue de bois et les guerres intestines, il n’est pas étonnant que la communication publique soit en déphasage avec les attentes des populations et que les institutions peinent à regagner la confiance des citoyens. Partant de là, Houda Sikaoui, directrice générale de l’agence Public Advisory et experte en communication stratégique, estime qu’il est temps de changer d’approche en misant davantage sur la transparence et la sincérité pour réhabiliter l’action politique et lui restituer sa crédibilité. Invitée de «L’Info en Face», elle affirme qu’il est essentiel d’abandonner le discours démagogique et de passer d'une communication de façade à une communication de vérité.

Une cyberattaque révélatrice d’un vide communicationnel

Actualité oblige, l’experte a évoqué la récente cyberattaque ayant ciblé la Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS), soulignant le vide communicationnel qui a accompagné cette affaire. Selon elle, l'absence totale de communication de crise de la part de l’institution concernée a exacerbé l’incertitude et l'inquiétude dans l’opinion publique. La directrice générale de Public Advisory a fait une distinction nette entre la gestion technique de l’incident, relevant de la cybersécurité, et la gestion communicationnelle, qui, selon elle, aurait dû être immédiate et structurée. «La communication de crise ne s’improvise pas au milieu de la nuit», a-t-elle affirmé, soulignant l'impérieuse nécessité d'une préparation préalable. Une organisation réfléchie, capable de réagir promptement face à des crises de cette envergure, devait être mise en place bien avant ce fâcheux incident.

Dans cet ordre d’idées, Mme Sikaoui a regretté que les institutions publiques ne s’appuient pas, de manière durable et régulière, sur des experts en communication stratégique. Ces professionnels, capables d'apporter des réponses pertinentes, claires et adaptées, doivent être intégrés à chaque étape de la vie d’un établissement. Pour elle, l'expertise communicationnelle va bien au-delà de l’élaboration d’un simple communiqué ou de la gestion des réseaux sociaux. Elle nécessite une connaissance approfondie des dossiers traités, une compréhension de l’environnement et de ses enjeux ainsi qu’une capacité à anticiper les répercussions à long terme sur l'image institutionnelle. Ainsi, pour Mme Sikaoui, la gestion de crise ne se limite pas à une réponse superficielle, mais implique une approche systématique, nourrie par des connaissances fines et une réflexion stratégique.

Le communiqué, symptôme d’une culture communicationnelle dépassée

À propos des critiques émises suite aux communiqués de la CNSS, Houda Sikaoui a déploré le recours immodéré et parfois automatisé à cet outil, qui doit être pensé dans la cadre d’une véritable communication stratégique. «Un communiqué ne résout pas une crise, il doit s’inscrire dans une stratégie globale», a-t-elle affirmé, soulignant que cet outil de communication ne saurait être dissocié d'une démarche globale, cohérente et réfléchie. Selon elle, la multiplication des communiqués, souvent déconnectés des réalités de la situation, témoigne d’un manque de vision stratégique.

Dans ce sens, l’intervenante plaide pour une communication fondée sur une parfaite compréhension des messages que l’on souhaite envoyer, loin des artifices qui ne répondent pas aux attentes réelles des citoyens. Mme Sikaoui déplore ainsi une communication formatée, où la forme prime sur le fond, créant un fossé entre les institutions et le public. Les messages doivent, selon elle, s’ancrer dans la réalité vécue par les citoyens, prenant en compte leurs préoccupations quotidiennes. Pour la directrice de Public Advisory, l’usage excessif des communiqués révèle une faiblesse des dispositifs de veille et une certaine insuffisance dans la compréhension des attentes du public. Ce réflexe en matière de communication néglige la dynamique d'une crise et les impératifs de transparence, estime-t-elle, insistant sur l’importance d’une préparation en amont, avec des cellules de crise et des éléments de langage modulables, permettant de structurer les réponses et de consolider la crédibilité des messages.

La parole publique, un impératif moral en temps de crise

La gravité de la fuite des données personnelles de millions de citoyens et d’entreprises impose, selon Houda Sikaoui, une parole publique claire et structurée. «Il s’agit d’un devoir moral vis-à-vis des victimes, et pas uniquement d’un choix stratégique», affirme-t-elle, précisant que la gestion d’un incident de cette ampleur dépasse le cadre de la stratégie et engage la responsabilité éthique des autorités envers les personnes affectées.

Houda Sikaoui alerte aussi sur l’effet malsain que cette cyberattaque pourrait produire, en compromettant la confiance dans l’écosystème numérique, avec des répercussions profondes sur l’ensemble de la société. Elle appelle dès lors les entreprises à élaborer des stratégies de communication de crise solides et adaptées. «Il ne s’agit pas uniquement de préserver l’image institutionnelle, mais aussi de maintenir la confiance des collaborateurs et la légitimité sociale. Une communication claire, cohérente et partagée devient indispensable pour protéger la crédibilité de l’organisation et éviter une rupture du lien de confiance», explique-t-elle.

Slogans creux et langage préélectoral sont à bannir

Ne mâchant pas ses mots, Houda Sikaoui critique vivement certains des discours politiques actuels, qu’elle juge souvent déconnectés des réalités sociales et des attentes des citoyens. Elle alerte sur la prolifération de slogans creux, porteurs de promesses floues, qui tendent à réduire la parole publique à une opération de communication superficielle. À ses yeux, cette tendance contribue à creuser le fossé entre les responsables politiques et la population. Dans ce cadre, elle estime que parler d’une «gouvernement du Mondial 2030» est une erreur stratégique majeure. «Ce gouvernement n’est pas celui d’un événement, mais celui de la mise en œuvre du nouveau modèle de développement», affirme-t-elle, rappelant que l’action gouvernementale s’inscrit dans un cadre national structurant et plus large, dont les objectifs dépassent largement la préparation d’un événement sportif.
Mme Sikaoui met en garde ainsi contre le recours à des formes de langage préélectoral, qui détourne l’attention des enjeux fondamentaux. De même, elle pointe les dérives d’une communication politique calquée sur les codes du marketing privé, davantage axée sur l’image que sur le fond. Selon elle, la parole publique doit répondre à un impératif de cohérence, de responsabilité et de clarté, à la hauteur des défis économiques, sociaux et institutionnels du pays. Une telle exigence est indispensable pour restaurer la confiance et assurer l’adhésion des citoyens à l’action publique.

Un discours de vérité comme antidote à la défiance

Face à une opinion publique de plus en plus désabusée, Houda Sikaoui plaide en faveur d’une remise en question radicale du discours politique tel qu’il est tenu actuellement. Pour elle, la clé d’une reconquête de la confiance citoyenne réside dans la sincérité et la transparence des dirigeants. Elle affirme que, dans un contexte marqué par une incompréhension grandissante entre gouvernants et gouvernés, il est crucial de reconnaître les difficultés et d’expliquer de manière claire les choix politiques faits et de les assumer. Pour l’invitée de «L’Info en Face», la population marocaine ne veut plus des discours pleins de promesses et de slogans pompeux. «Ce qu’elle recherche avant tout, c’est une parole honnête et lucide, qui soit en phase avec leur quotidien et leurs préoccupations».

Dans un pays où les tensions économiques sont palpables et où les attentes sociales se heurtent à des défis structurels, Mme Sikaoui prône une communication politique renouvelée qui prenne en compte les aspirations profondes de la société tout en intégrant les défis contemporains. Cette communication, selon elle, doit se fonder sur trois piliers essentiels : la compétence, la sincérité et l’inclusion. À l’approche des échéances électorales de 2026, Houda Sikaoui insiste sur l’importance d’une telle démarche, car elle est la seule à même de réconcilier les citoyens avec leurs institutions et de transformer la défiance en un dialogue constructif.
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