En pleine mutation sociale et économique, la société marocaine vit au rythme de multiples réformes cruciales. La révision en cours du Code de la famille est un exemple hautement significatif à cet égard. Et pour cause, elle devrait accompagner l’évolution inexorable de la société tout en préservant les valeurs culturelles et morales qui font son socle depuis des siècles. Sauf que certains magistrats n’ont pas attendu l’aboutissement de ce chantier pour donner libre cours à leur élan réformiste en mettant à contribution la jurisprudence. Souvent taxés de conservatisme (par les progressistes) en matière d’application des lois relatives à la famille, les juges ont pourtant donné la preuve qu’ils pouvaient être à l’avant-garde du modernisme lucide et éclairé.
C’est ce que viennent de confirmer des décisions de la Cour de cassation révélées mercredi par le premier président de la Cour de cassation, président délégué du Conseil supérieur du pouvoir judiciaire, Mohamed Abdennabaoui. Intervenant à l'ouverture de l'année judiciaire 2025, ce dernier a cité des jugements rendus par la Cour de cassation bien en avance sur les lois actuellement en vigueur et qui vont en tout cas dans le sens de la réforme en cours de la Moudawana.
C’est ce que viennent de confirmer des décisions de la Cour de cassation révélées mercredi par le premier président de la Cour de cassation, président délégué du Conseil supérieur du pouvoir judiciaire, Mohamed Abdennabaoui. Intervenant à l'ouverture de l'année judiciaire 2025, ce dernier a cité des jugements rendus par la Cour de cassation bien en avance sur les lois actuellement en vigueur et qui vont en tout cas dans le sens de la réforme en cours de la Moudawana.
Le logement familial en question
Le premier exemple porte sur une décision rendue par la Cour de cassation en avril 2024 qui stipule que «Le logement familial attribué dans le cadre d’un programme social appartient à toute la famille, même s’il est enregistré au nom du conjoint». De ce fait, «il ne peut, en cas de divorce, être retiré à l’épouse ou aux enfants sous prétexte qu’il figure uniquement dans les documents officiels au nom du mari», lit-on dans le jugement. Voilà donc une décision qui trouve tout son sens dans le cadre de la réforme en cours de la Moudawana. Ce jugement semble par ailleurs en harmonie avec les propositions formulées dans le cadre de cette réforme et qui insistent sur le fait que le logement familial reste à la disposition du parent gardien et des enfants ou encore sur l'exclusion de l'héritage du domicile conjugal quand les bénéficiaires (veuve, enfants...) y vivent encore. Ainsi, cette décision de la Cour de cassation rappelle que la justice peut, à travers ses arrêts, anticiper parfois les transformations législatives et garantir les droits des plus vulnérables dans le respect de la lettre et de l’esprit de la loi. Et c’est précisément ce genre de jurisprudence qu’a mis en lumière Mohamed Abdennabaoui, tout en s’en félicitant.
M. Abdennabaoui a présenté d’ailleurs d’autres cas qui prouvent que la justice ne vit pas dans sa tour d’ivoire et qu’elle est bien au cœur des mutations sociales que traverse le Maroc. Ainsi, la protection des femmes, des enfants et des familles vulnérables semble être une priorité absolue, comme en témoignent les chiffres de 2024. Les juridictions marocaines ont en effet traité 84.822 plaintes pour violence à l’égard des femmes qui ont débouché sur 21.898 poursuites judiciaires. Par ailleurs, grâce à des jugements, 71.662 enfants ont été réintégrés dans le système éducatif, dont 38% étaient des filles.
M. Abdennabaoui a présenté d’ailleurs d’autres cas qui prouvent que la justice ne vit pas dans sa tour d’ivoire et qu’elle est bien au cœur des mutations sociales que traverse le Maroc. Ainsi, la protection des femmes, des enfants et des familles vulnérables semble être une priorité absolue, comme en témoignent les chiffres de 2024. Les juridictions marocaines ont en effet traité 84.822 plaintes pour violence à l’égard des femmes qui ont débouché sur 21.898 poursuites judiciaires. Par ailleurs, grâce à des jugements, 71.662 enfants ont été réintégrés dans le système éducatif, dont 38% étaient des filles.
Accord sur le partage des biens
Un deuxième exemple significatif, relevé par M. Abdennabaoui, illustre le rôle joué par la Cour de cassation dans la clarification des droits matrimoniaux et patrimoniaux. Un arrêt de cette juridiction publié en septembre 2023, concernant le partage des biens entre époux, a affirmé que lorsque les conjoints conviennent par écrit du partage des biens acquis durant leur mariage, cet accord prévaut sur toute autre considération. En effet, le jugement de la Cour a stipulé que «l’épouse a droit à la moitié de la valeur du bien immobilier enregistré uniquement au nom de l’époux, à condition que les deux conjoints aient convenu, lors de la conclusion de leur contrat de mariage, de partager à parts égales toutes les richesses acquises après le mariage. Dans ce cas, il n'est pas nécessaire pour le tribunal de fond d’examiner la contribution de l’épouse à l’acquisition du bien en question ou de déterminer si ce bien a été acheté avec les fonds propres de l’un des conjoints, car l’accord écrit de mise en commun des biens rend cette investigation inutile.» Ce jugement établit également un précédent important, qui pourrait servir de base pour les lois qui seront établies dans le cadre de la réforme en cours du Code de la famille.
Une meilleure protection de la femme
Un troisième exemple tout aussi emblématique est illustré par un jugement rendu en septembre 2024 par la chambre criminelle de la Cour de cassation qui a redéfini pour ainsi dire l’interprétation des crimes d’atteinte à l’intégrité sexuelle. La Cour a affirmé que «le crime d’attentat à la pudeur, tel qu'il est défini par l’article 485 du Code pénal, est constitué dès lors qu’il y a atteinte à l’intégrité corporelle de la victime sans son consentement». Peu importe qu’il n’y ait pas eu de rapport sexuel ou que l’agresseur soit physiquement incapable d’en commettre un. Ce crime, souligne l’arrêt, peut être établi par tout moyen, même en l’absence de contact sexuel direct. Cette décision, inscrite dans le dossier n°26107/6/11/2024, brise les barrières de l’interprétation restrictive des violences sexuelles qui régnait auparavant. Elle élargit le spectre de la reconnaissance juridique, en considérant que l’atteinte à la dignité et à l’intégrité corporelle peut être tout aussi destructrice, même sans contact physique explicite. Cette décision, en phase avec les standards internationaux, offre un réel espoir aux victimes.
Alors que la réforme du Code de la famille semble avoir encore du chemin à faire, la justice marocaine, de par ces jurisprudences audacieuses, semble baliser le terrain pour une révision en profondeur de l’arsenal juridique destiné à protéger la famille. Elle montre surtout que les magistrats sont à l’avant-garde du combat pour le respect des droits des femmes.