Le diplomate français, en poste depuis deux ans, s’est donc rendu dans ces deux villes emblématiques des provinces du Sud, accompagné d'une délégation de grande envergure. Lors de cette visite, il a multiplié les échanges et les rencontres, avec en toile de fond un programme riche incluant des discussions avec les élus locaux et les autorités des deux provinces, ainsi que des rencontres avec des acteurs économiques et sociaux. Ces échanges ont ouvert la voie à des partenariats mutuellement bénéfiques, soulignant ainsi l’engagement de la France pour le développement de cette région qui aspire à devenir un trait d’union entre le Maroc et sa profondeur africaine.
Au-delà de ses retombées économiques, la mission conduite par M. l’ambassadeur délivre des messages politiques qu’il convient de décrypter. Certes, elle réaffirme la position de la France qui considère que «le présent et l'avenir du Sahara occidental s'inscrivent dans le cadre de la souveraineté marocaine», mais elle comporte des signaux susceptibles d’influer substantiellement sur le développement de la question du Sahara marocain. C’est ce que confirment les experts sollicités par «Le Matin» pour l’analyse de la portée de ce déplacement.
Une réaffirmation des positions françaises
Des enjeux économiques dans un contexte géopolitique évolutif
Interrogé sur la corrélation entre les ambitions économiques françaises et les transformations géopolitiques dans la région, M. Chiat rappelle que les évolutions récentes dans la zone sahélo-saharienne ont eu un impact significatif sur la France, qui a vu sa présence et sa zone d'influence rétrécir, à l’inverse du Maroc, qui a su maintenir des relations solides et diversifiées avec les pays du Sahel et de l'Afrique en général. «Il semble que la France table sur le Maroc pour ne pas assister en spectatrice aux évolution qui se produisent dans la région», souligne-t-il. Et d’ajouter : «Le Maroc a adopté une politique de coopération mutuellement bénéfique avec les pays du Sahel et n'entend pas se soumettre à un agenda externe. Le soutien de la France au Maroc permet à cette dernière de profiter de cette nouvelle dynamique. Paris reste un acteur important, mais la coopération devra se faire dans le respect des principes reconnus : la souveraineté et l'unité de ces pays, ainsi que la valorisation de leur potentiel économique».
Talal Cherkaoui abonde dans le même sens. Il fait ainsi remarquer que la volonté de Paris de renforcer sa présence économique dans les provinces du Sud est intimement liée aux mutations géopolitiques qui redessinent la région. Selon lui, «le Sahara marocain se trouve aujourd'hui à la croisée de plusieurs initiatives stratégiques, tant africaines qu'internationales, qui reconfigurent la dynamique régionale et ouvrent la voie à de nouvelles perspectives de développement».
Khaoula Lachgar souligne pour sa part que le Maroc affiche clairement son ambition de développer le Sahara tout en intégrant ce territoire dans un continuum régional. Elle rappelle que ce territoire est destiné à retrouver son statut de voie commerciale essentielle entre le nord et le sud du continent, ainsi qu’entre le Sahel et la façade atlantique. «Le Royaume met en œuvre sa vision de “gateway” pour l'Afrique, ce qui rassure ses partenaires et les incite à y investir», précise-t-elle.
Potentialités et opportunités pour le Sahara marocain
Talal Cherkaoui souligne que la participation de la Chambre française de commerce et d'industrie du Maroc (CFCIM) ainsi que celle de nombreux entrepreneurs à cette visite souligne la volonté des provinces du Sud de s'ouvrir aux investissements. Ce signal fort destiné aux milieux économiques et diplomatiques internationaux montre que la région est prête à accueillir des projets qui pourraient contribuer à sa prospérité. «Le développement économique promis par cette visite pourrait être vu comme un argument de poids pour convaincre des acteurs internationaux que la stabilité de la région repose en grande partie sur la reconnaissance de la souveraineté marocaine, permettant ainsi de tourner définitivement la page des incertitudes et de s’engager vers un avenir commun, orienté vers la coopération et le développement», ajoute-t-il.
Pour toutes ces raisons, M. Chiat estrime que l’établissement d’un consulat français dans l’une des provinces du Sud, probablement à Laâyoune, n’est plus qu’une question de temps et pourrait même susciter une compétition entre la France et les États-Unis. Il souligne que cette initiative, compte tenu des liens historiques entre le Maroc et la France, est attendue par le Royaume. De plus, cela pourrait ouvrir la voie à l’implantation d’un consulat américain dans la région. L’analyste prévoit également qu'avec le retour de Trump à la Maison Blanche, la réalisation de ce projet pourrait se faire rapidement.
Les provinces du sud sont «le nouvel horizon des actions et stratégies» de la France
Entretien avec la membre du bureau politique de l’USFP et vice-présidente de l’Internationale socialiste
Khaoula Lachgar : «Les investissements français dans le Sahara marocain sont un gage supplémentaire d’une position irrévocable et d’une conviction réelle»
Khaoula Lachgar : Eh bien il n’y a qu’une seule lecture possible, c’est l’engagement ferme et irrévocable de la France quant à sa reconnaissance de la souveraineté du Maroc sur les provinces du Sud. L’ambassadeur a tenu à se rendre aux deux villes emblématiques du Sahara que sont Laâyoune et Dakhla et il y est resté trois jours avec une grande délégation d’officiels et d’hommes d’affaires. Cela est d’autant plus significatif que la France est l’ancienne puissance coloniale du Maghreb et qui de ce fait connaît l’histoire du territoire et sa réalité. Vis-à-vis de l’Europe, c’est également un engagement clairement affiché des investisseurs français publics et privés dans le développement d’activités commerciales dans les provinces du Sahara, ce qui ne manquera pas d’encourager d’autres partenaires à sauter le pas.
Pensez-vous qu'il existe un lien entre la volonté de Paris de renforcer sa présence économique dans les provinces du Sud et les transformations géopolitiques à l’œuvre dans cette région (telles que l'initiative atlantique, l'initiative pour le Sahel, ou encore le gazoduc Maroc-Nigeria) ?
Il est courant que les pays fassent évoluer leur position sur tel ou tel dossier géopolitique selon leur lecture des équilibres économiques et politiques régionaux et internationaux. Mais ce qui est sûr, c’est que la politique volontariste du Maroc dans la gestion de ce dossier et le fait que la Maroc ait toujours investi fortement pour son développement ne peut que rassurer les partenaires. Le Maroc affiche clairement son ambition de développer le Sahara dans sa continuité régionale, c’est-à-dire en rendant à ce territoire son statut de route commerciale importante entre le nord et le sud du continent et entre le Sahel et la façade Atlantique. En effet, nous ne nous sommes pas contentés d’annoncer nos ambitions en tant que nation, mais nous les mettons à exécution. Qu'il s'agisse des engagements pris pour le gazoduc Afrique-Atlantique ou les partenariats noués avec les pays du Sahel, le Maroc met en œuvre sa vision de «gateway» pour l’Afrique et c’est ce qui rassure ses partenaires et les encourage à venir y investir.
Quelles opportunités cette visite pourrait-elle créer pour le développement du dossier du Sahara ? Dans quelle mesure pourrait-elle influencer les positions d'autres pays sur cette question ?
La France est l’ancienne puissance coloniale au Maghreb, elle a donc l’histoire documentée des territoires et des États de la région. La France est un membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU et un des piliers de la politique étrangère de l’Union européenne. Au regard de ce statut, sa position sur le dossier du Sahara influencera de facto d’autres nations en Europe et ailleurs. L’ambassadeur français au Conseil de sécurité l’a démontré lors de sa dernière intervention au sein de cette instance onusienne. En plus des positions officielles, le fait que des entrepreneurs investissent leurs capitaux dans le territoire est un gage supplémentaire d’une position irrévocable et d’une conviction réelle.
L'ambassadeur a déclaré, lors de sa visite, que la délégation qui l'accompagnait incluait un représentant du consulat de France à Agadir, dans le but d'explorer comment les services consulaires pourraient être accessibles aux Français résidant à Laâyoune ainsi qu'aux populations locales. Que révèle cette déclaration, en filigrane, sur la possibilité d'une future ouverture d'une représentation diplomatique française dans l'une des provinces du Sud ?
Aujourd’hui, la reconnaissance française de la souveraineté du Maroc sur les provinces du Sud est complète : écrite et annoncée par le Président de la République française, affichée par l’ambassadeur français à l’ONU, matérialisée par la visite de plusieurs jours de l’ambassadeur français à Rabat dans les villes de Laâyoune et de Dakhla et ses rencontres avec les élus locaux sur place. Dans ce cadre, l’ouverture d’un consulat sur place irait de soi, puisque des citoyens français sont établis dans ces provinces et que des entreprises françaises s’y développeront de façon significative, et ces personnes morales et physiques françaises auront besoin d’un consulat français.
Entretien avec le professeur de sciences économiques, sociales et politiques à l'Université Mohammed V de Rabat
Talal Cherkaoui : «La volonté de Paris de renforcer sa présence économique dans les provinces du Sud est étroitement liée aux transformations géopolitiques qui redessinent la région du Sahara et du Sahel»
Le Matin : Quelle est votre lecture de la visite de l’ambassadeur de France à Rabat, Christophe Lecourtier, dans les villes de Laâyoune et Dakhla ? Quels messages véhicule ce déplacement, le premier du genre d’un diplomate européen ?
Talal Cherkaoui : La visite de Christophe Lecourtier, ambassadeur de France au Maroc, dans les villes de Laâyoune et Dakhla représente un acte hautement symbolique et stratégique, marquant un soutien explicite de la France au développement socio-économique et culturel des provinces du sud marocain. Il s’agit là d’une première pour un diplomate européen d’un pays aussi influent que la France, membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU. Par ce déplacement, la France semble inscrire sa position dans la continuité des engagements exprimés par le Président Emmanuel Macron, réaffirmant la souveraineté marocaine sur le Sahara en indiquant que tant le présent que l’avenir de cette région s'inscrivent dans ce cadre.
Les échanges de l’ambassadeur avec les autorités locales, ainsi que sa participation à un roadshow économique aux côtés d'une cinquantaine de chefs d’entreprises, traduisent une volonté manifeste d’ancrer le partenariat franco-marocain dans une coopération concrète et durable. Les messages véhiculés par cette visite sont multiples : il s’agit d’abord d’un soutien politique, confirmant l’alignement de la France sur la vision marocaine du Sahara. Ensuite, il s’agit d’un engagement économique qui dépasse la simple déclaration d’intention, impliquant une action de terrain et une recherche proactive de partenariats bilatéraux. Enfin, cette visite marque un tournant dans la diplomatie européenne vis-à-vis des provinces du Sud, envoyant un signal aux autres partenaires européens quant à la nécessité de réévaluer leurs politiques à l’égard de la région en faveur d’un appui plus tangible à la souveraineté marocaine.
Pensez-vous qu'il existe un lien entre la volonté de Paris de renforcer sa présence économique dans les provinces du Sud et les transformations géopolitiques à l’œuvre dans cette région (telles que l'initiative atlantique, l'initiative pour le Sahel ou encore le gazoduc Maroc-Nigeria) ?
Il est indéniable que la volonté de Paris de renforcer sa présence économique dans les provinces du Sud est étroitement liée aux transformations géopolitiques qui redessinent cette région. Le Sahara marocain se situe aujourd'hui au carrefour de plusieurs initiatives stratégiques, tant africaines qu’internationales, qui reconfigurent la dynamique régionale et offrent des perspectives de développement inédites. L’initiative atlantique, l'initiative pour le Sahel et le gazoduc Maroc-Nigeria sont autant de projets cruciaux de stabilisation et de développement pour l’ensemble de l’Afrique de l’Ouest et du Nord. Ces initiatives mettent en exergue le rôle de pivot que le Maroc peut jouer dans la stabilisation et la prospérité de toute la région, où la France possède également des intérêts vitaux.
En ce qui concerne particulièrement le projet du gazoduc Maroc-Nigeria, celui-ci représente une infrastructure énergétique d’envergure, susceptible de redéfinir les routes d’approvisionnement en gaz en Afrique et en Europe. En cherchant à renforcer sa présence dans les provinces du Sud, Paris se positionne dans une région au potentiel économique et géopolitique stratégique. Par ses partenariats et son rapprochement avec le Royaume, la France s'assure une place dans les projets d’infrastructures, les initiatives de sécurité régionale, ainsi que dans les réseaux d’échanges commerciaux et énergétiques en pleine émergence. Elle anticipe ainsi les retombées positives de cette dynamique régionale et s’associe pleinement à l’ambition du Maroc de faire de cette région un hub de développement et un point de convergence des initiatives africaines.
Quelles opportunités cette visite pourrait-elle créer pour le développement du dossier du Sahara ? Dans quelle mesure pourrait-elle influencer les positions d'autres pays sur cette question ?
La visite de Christophe Lecourtier dans les provinces du sud marocain offre une opportunité majeure pour consolider la position du Maroc sur le dossier du Sahara à l’échelle internationale. En adoptant une posture affirmée dans une région hautement symbolique, la France pourrait inspirer d’autres pays européens, souvent hésitants ou ambigus quant à leur position sur la souveraineté marocaine. La présence de représentants de la Chambre française de commerce et d'industrie du Maroc (CFCIM), ainsi que de nombreux chefs d’entreprises, envoie un signal fort aux milieux économiques et diplomatiques internationaux : les provinces du Sud sont ouvertes aux investissements, soutenues par une stabilité politique du Royaume et une vision claire du développement.
Cette visite pourrait également influencer des pays qui observent avec prudence la posture de leurs alliés avant d’officialiser leur position sur le Sahara marocain. En effet, la France, en tant que membre influent de l’Union européenne, exerce une influence notable sur la diplomatie des autres pays de l’UE. Son engagement concret et visible pourrait inciter d’autres États, jusque-là réticents, à considérer un appui public plus affirmé à la souveraineté marocaine. En outre, le développement économique promis par cette visite pourrait être vu comme un argument de poids pour convaincre des acteurs internationaux que la stabilité de la région repose en grande partie sur la reconnaissance de la souveraineté marocaine, permettant ainsi de tourner définitivement la page des incertitudes et de s’engager vers un avenir commun, orienté vers la coopération et le développement.
M. Lecourtier a déclaré, lors de sa visite, que la délégation qui l'accompagnait incluait un représentant du consulat de France à Agadir, dans le but d'explorer comment les services consulaires pourraient être accessibles aux Français résidant à Laâyoune ainsi qu'aux populations locales. Que révèle cette déclaration, en filigrane, sur la possibilité d'une future ouverture d'une représentation diplomatique française dans l'une des provinces du Sud ?
La mention par l'ambassadeur de la possibilité d'étendre les services consulaires aux Français résidant à Laâyoune est une indication qui ne peut être ignorée quant à une éventuelle évolution de la politique consulaire française dans cette région. Dans le contexte actuel, cette déclaration laisse entrevoir la perspective d’une future représentation diplomatique permanente à Laâyoune ou Dakhla. La présence d’un représentant du consulat d’Agadir témoigne d’une volonté de proximité accrue avec les ressortissants français, mais elle reflète également un engagement symbolique vis-à-vis de la population locale, soulignant la reconnaissance implicite de l’intégration de cette région dans le tissu national marocain.
L'ouverture d'une représentation diplomatique serait une décision hautement significative, non seulement pour la France, mais également pour les partenaires européens et internationaux, puisqu'il s'agirait du premier pays européen à ouvrir un consulat dans les provinces du Sud. Elle établirait un précédent important, démontrant que la France considère le Sahara comme une région de grande importance stratégique et où la stabilité et la sécurité offertes par le Maroc justifient une présence consulaire. Une telle mesure pourrait encourager d’autres pays européen à faire de même, conduisant ainsi progressivement à une normalisation internationale de la reconnaissance de la souveraineté marocaine sur ses provinces du Sud.