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Du manque de données à la souveraineté numérique : l’Afrique trace sa voie

Après trois années d’efforts soutenus, le Programme panafricain de statistiques (PAS II) a bouclé sa mission à Casablanca, laissant un héritage tangible pour le Système statistique africain. Financé par l’Union européenne à hauteur de 18,7 millions d’euros, ce programme a renforcé les capacités institutionnelles et statistiques de 54 pays africains. Plus de 200 missions d’assistance technique, 40 ateliers régionaux et 1.500 bénéficiaires formés témoignent de son ampleur. Du Maroc à la Guinée, du Burundi au Malawi, les réalisations concrètes s’accumulent. Alors que le forum de clôture réunit les acteurs du secteur, STATAFRIC et ses partenaires plaident déjà pour un PAS III. Objectif : consolider les acquis et accompagner la transition vers les nouvelles normes internationales, dont le Système de comptabilité nationale 2025.

Casablanca, capitale économique marocaine, a accueilli du 27 au 29 octobre 2025 le forum de clôture du Programme panafricain de statistiques, phase II. Dans un format hybride mêlant présentiel et virtuel, directeurs généraux des instituts nationaux de statistique, cadres techniques, représentants des communautés économiques régionales et partenaires internationaux se sont réunis pour célébrer un programme doté de 18,7 millions d’euros. Le choix de Casablanca s’inscrit dans une logique symbolique : le système statistique marocain figure parmi les plus avancés du continent.

Un diagnostic sans concession pour des réformes ciblées

Au démarrage du programme, un constat alarmant s’imposait. L’audit initial du SSA révélait que 19 pays africains utilisaient encore le système de comptabilité nationale de 1993, tandis que le reste du monde avait déjà basculé vers la norme de 2008. Plus préoccupant encore, 11 pays n’avaient procédé à aucun rebasage de leur comptabilité nationale depuis plus de vingt ans. «Cela veut dire que depuis plus de 20 ans, il n’y a pas de naissance, il n’y a pas de construction, il n’y a pas de travail, il n’y a pas d’emploi», explique Adoum Gagoloum, chef de la Division des statistiques économiques et directeur par intérim de STATAFRIC. Face à cette faille majeure, le programme a concentré ses efforts sur le renforcement de la compilation trimestrielle des données, permettant aux États membres de procéder au rebasage de leur comptabilité nationale.

Trois domaines prioritaires au cœur de l’action

Le PAS II s’est déployé sur trois axes stratégiques : la comptabilité nationale, les statistiques agricoles et environnementales, ainsi que le commerce international. À ces domaines s’ajoute le système d’évaluation par les pairs, un mécanisme innovant qui a changé la donne dans les relations entre l’Afrique et ses partenaires financiers. «Grâce à ces systèmes, le PAS a essayé de renforcer et d’évaluer la capacité du système de statistiques africain de façon à donner vraiment confiance aux institutions de prêts», souligne le responsable de STATAFRIC. Désormais, les partenaires qui souhaitent apporter leur soutien aux pays africains disposent d’un document consolidé et détaillé, facilitant considérablement les négociations.

Des résultats concrets à travers le continent Les réalisations du programme témoignent de son impact tangible. Avec plus de 200 missions d’assistance technique et 40 ateliers régionaux, le PAS II a formé plus de 1.500 bénéficiaires à travers l’Afrique. Parmi les succès emblématiques figurent les tout premiers comptes nationaux trimestriels de la Guinée, les comptes nationaux provisoires du Burundi, les comptes régionaux en Côte d’Ivoire et les bilans alimentaires au Malawi. Le programme a également modernisé les plateformes de diffusion des données dans plusieurs pays, dont le Cameroun, la Guinée, le Congo, les Seychelles, la Somalie et Maurice. Cette modernisation s’inscrit dans une volonté d’aider les gouvernants à prendre des décisions éclairées, fondées sur des faits plutôt que sur le hasard.

L’innovation au service de la formation

Le PAS II ne s’est pas contenté d’améliorer les capacités statistiques existantes. Il a également favorisé l’innovation à travers des initiatives comme ECOBUSAF, SOCSTAF et l’Académie PAS. Le premier cours panafricain en ligne sur les statistiques du commerce des services et le premier hackathon continental sur les données ont permis de mobiliser jeunes et professionnels de toute l’Afrique autour de l’écosystème statistique. Au-delà de ces réalisations, le programme a préparé les pays au couplage des recensements agricoles et de la population, une approche novatrice qui permet de réaliser des économies substantielles. Cette méthodologie s’avère particulièrement pertinente dans un contexte où les ressources sont limitées.

STATAFRIC, pilier de l’harmonisation continentale

L’harmonisation des statistiques à l’échelle continentale demeure l’objectif principal de STATAFRIC. Dans un continent où les données sont souvent disparates, l’Institut de statistique de l’Union africaine s’emploie à coordonner les efforts entre les États membres, les Communautés économiques régionales (CER) et l’Union africaine. «Si on n’harmonise pas nos statistiques, nous allons avoir des données qui sont disparates», rappelle M. Gagoloum. La division du travail adoptée par les Chefs d’État et de gouvernement de l’Union africaine est claire: les États membres assurent l’harmonisation, les CER surveillent ces États et transmettent les informations à STATAFRIC, qui identifie les dimensions spécifiques nécessitant une harmonisation. Cette architecture vise à garantir que les statistiques africaines soient produites par les Africains eux-mêmes. «On ne veut pas permettre à d’autres de nous fournir des statistiques qui ne reflètent pas notre continent et nos données», insiste le directeur par intérim de STATAFRIC.

Le PAS III en ligne de mire

Si le PAS II s’achève, l’avenir s’écrit déjà avec l’espoir d’une troisième phase. M. Gagoloum reconnaît toutefois que le contexte géopolitique actuel, notamment le conflit entre l’Ukraine et la Russie, a réorienté les priorités de l’Union européenne vers d’autres aspects. Néanmoins, il demeure convaincu que le partenaire européen ne laissera pas tomber un domaine dans lequel il a déjà réalisé un pas de géant. «Le PAS II a fait ses effets, le PAS II a fait déjà du concret et le PAS III va lancer et consolider maintenant tous ces acquis», affirme-t-il avec optimisme. Le Haut-Commissariat au Plan du Maroc soutient d’ailleurs activement le lancement du PAS III, conscient de l’importance de pérenniser les avancées réalisées. Cette nouvelle phase sera essentielle pour accompagner les États africains dans la transition vers les nouvelles normes internationales, notamment le Système de comptabilité nationale 2025, l’IMTS 2025, le MSITS 2025 et le BPM7. Elle devra également renforcer la gouvernance des données, la numérisation et l’intégration de l’Afrique au sein de la communauté mondiale des données.

Un plaidoyer collectif pour la continuité

STATAFRIC et la Commission de l’Union africaine ne sont pas seuls dans leur plaidoyer. Les directeurs généraux des instituts nationaux de statistique, les CER et l’ensemble des partenaires techniques et financiers se mobilisent pour le lancement du PAS III. Si le programme ne devrait pas voir le jour de sitôt, en 2026, les espoirs se portent sur 2027 ou 2028. Le forum de clôture de Casablanca ne marque donc pas une fin, mais plutôt une transition. Comme l’ont souligné plusieurs intervenants, ce rassemblement célèbre certes les réalisations impressionnantes du PAS II, mais réaffirme surtout la volonté collective de bâtir un système statistique africain moderne, crédible et durable. L’Afrique entend désormais mesurer ses progrès avec confiance et précision, et raconter sa propre histoire avec ses propres chiffres.

Adoum Gagoloum, directeur par intérim de STATAFRIC : «Le PAS II a profondément transformé le paysage statistique africain»

Le Matin : Le Programme panafricain de statistiques II a pris fin à Casablanca. Quel regard portez-vous sur ses résultats ?

Adoum Gagoloum :
Le PAS II, lancé en 2022, a véritablement bénéficié au système statistique africain. Il a permis de renforcer la capacité des pays à produire des données fiables et comparables, notamment dans trois domaines majeurs : la comptabilité nationale, les statistiques agricoles et environnementales et les statistiques du commerce international. Un autre volet important a été le système de revue par les pairs, qui a permis d’évaluer la solidité des systèmes statistiques nationaux. Grâce à ces évaluations, les partenaires techniques disposent désormais de rapports consolidés, détaillés et crédibles, ce qui facilite les discussions et renforce la confiance entre les pays et leurs bailleurs de fonds. Pourquoi avoir choisi le Maroc pour accueillir la clôture du programme ? Le choix du Maroc n’est pas un hasard. Le système statistique marocain est parmi les plus avancés du continent.

Clore un projet d’envergure comme le PAS II dans un pays doté d’un appareil statistique performant donne une image positive et envoie un signal fort de confiance à nos partenaires. Le Haut-Commissariat au Plan (HCP) a toujours été un acteur actif de la coopération statistique africaine, et son expertise inspire beaucoup d’autres pays.

Quels enseignements tirez-vous de la mise en œuvre du PAS II ?

Dès le lancement du programme, nous avons réalisé un audit complet du système statistique africain. Nous avons constaté que la base même de la statistique – la comptabilité nationale – accusait un retard important. Ainsi, 19 pays utilisaient encore le Système de comptabilité nationale de 1993, et 11 pays n’avaient pas refait leur rebasage depuis plus de vingt ans ! Cela signifie qu’ils n’avaient pas actualisé leurs données économiques depuis deux décennies. Grâce au PAS II, nous avons pu corriger ces décalages. Nous avons renforcé la compilation trimestrielle des données, formé les équipes nationales et permis à plusieurs États de disposer d’un PIB actualisé et plus fiable. Le programme a également préparé les pays au couplage des recensements agricoles et de population, ce qui réduit les coûts et améliore la cohérence statistique.

Le programme a-t-il aussi touché d’autres domaines que la comptabilité nationale ?

Oui, absolument. Nous avons travaillé à relier les statistiques environnementales à la comptabilité nationale, pour mieux mesurer l’impact des politiques publiques sur les ressources naturelles. Nous avons aussi renforcé les capacités de diffusion et de communication des statistiques officielles, afin que les décideurs puissent s’appuyer sur des faits concrets plutôt que sur des estimations approximatives. Enfin, le PAS II a aidé les pays à se préparer aux nouvelles normes du commerce international et à mieux intégrer les statistiques du commerce dans le cadre de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf).

STATAFRIC est désormais au cœur de la coordination statistique africaine. Peut-on dire qu’il est prêt à harmoniser les données du continent ?

C’est précisément notre mission principale. STATAFRIC a été créé pour assurer l’harmonisation des statistiques africaines à l’échelle continentale. Sans harmonisation, nous aurions des données disparates, parfois contradictoires, d’une région à l’autre. Selon la division du travail adoptée par les Chefs d’État de l’Union africaine, les États produisent les données, les Communautés économiques régionales (CER) en assurent la supervision, et STATAFRIC joue le rôle de coordinateur et d’analyste pour identifier les domaines nécessitant une harmonisation. L’objectif est clair : garantir la comparabilité des statistiques africaines et permettre à l’Afrique de raconter sa propre histoire avec ses propres chiffres.

Avec la clôture du PAS II, quelle est la prochaine étape ? Y aura-t-il un PAS III ?

C’est notre souhait le plus fort. Nous savons que le contexte international est compliqué, avec des priorités géopolitiques nouvelles pour l’Union européenne, notamment la guerre en Ukraine. Mais je reste convaincu que l’Europe ne se désengagera pas d’un secteur où elle a déjà réalisé un travail considérable. Aujourd’hui, plusieurs pays africains, y compris le Maroc à travers le HCP, soutiennent activement le lancement d’un PAS III. Cette troisième phase est essentielle pour consolider les acquis du PAS II et accompagner les États dans la transition vers le Système de comptabilité nationale 2025. «C’est précisément pour cette raison que nous plaidons, avec l’ensemble des directeurs généraux des instituts nationaux de statistique, les Communautés économiques régionales et la Commission de l’Union africaine, pour la mise en place rapide d’une troisième phase du programme (PAS III). Nous voulons coordonner et chapeauter cette initiative afin d’assurer la continuité du travail entamé et de maintenir la dynamique créée par le PAS II. Certes, nous savons que ce nouveau programme ne verra pas le jour immédiatement – probablement pas avant 2027 ou 2028 –, mais nous sommes convaincus qu’il constituera une étape décisive pour consolider les acquis et accompagner les États africains vers un système statistique plus moderne, plus cohérent et plus souverain.
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