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Éducation au Maroc : Budget, gouvernance, crise de confiance... les raisons d’un échec (Larabi Jaïdi)

Malgré des investissements colossaux et une succession de réformes, le système éducatif marocain continue d’accuser des performances décevantes. Dans un Policy Brief publié en février 2025 par le Policy Center for the New South, l’économiste Larabi Jaïdi dresse un diagnostic sévère : gouvernance instable, inefficacité des réformes, défiance croissante des familles et inadéquation des contenus pédagogiques avec les besoins du pays.

Depuis plusieurs décennies, le système éducatif marocain est au centre des préoccupations politiques et sociétales. Malgré des investissements publics conséquents et une succession de réformes ambitieuses, les résultats peinent à suivre. Qualité de l’enseignement en berne, abandon scolaire persistant, inadéquation avec le marché du travail et défiance croissante des familles : autant de symptômes d’un secteur en crise.

Dans un Policy Brief intitulé "La réforme du système éducatif face au dilemme de la gouvernance" publié en février 2025 par le Policy Center for the New South, l’économiste Larabi Jaïdi dresse un constat sans appel : l’accumulation de réformes n’a pas permis de corriger les défaillances structurelles du système, en grande partie en raison d’une gouvernance confuse et inefficace. Pour lui, l’urgence est aujourd’hui à la refonte en profondeur des mécanismes de pilotage et d’évaluation de l’éducation nationale.

Des milliards investis, des résultats en berne

En 2023, le Maroc a alloué 90,6 milliards de dirhams à l’éducation, soit 6% du PIB et 12% du budget de l’État. Pourtant, ce financement massif ne se traduit pas par une amélioration significative du niveau des élèves. Les taux d’abandon scolaire restent élevés, l’insertion professionnelle des diplômés difficile et la qualité de l’enseignement en deçà des standards internationaux.



Depuis plus de 25 ans, le pays enchaîne les réformes : Charte nationale d’éducation et de formation (2000), Programme d’urgence Éducation-Formation (2009-2011), Vision stratégique 2015-2030, Feuille de route 2022-2026. Cependant, selon Jaïdi, cette accumulation de stratégies ne produit pas les effets escomptés, en raison d’un manque de cohérence et d’un pilotage inefficace. « Une succession de réformes sans lendemain ne tient pas lieu de réponse aux problèmes endémiques du système éducatif », souligne-t-il.

Une perte de confiance croissante des familles

Le rapport met en exergue une perte de confiance des familles marocaines vis-à-vis de l’école publique. Les classes aisées privilégient massivement l’enseignement privé, creusant ainsi les inégalités. L’éducation nationale est perçue comme un système incapable de garantir une formation de qualité et une insertion professionnelle adéquate.

Les attentes sont pourtant claires : les familles veulent une éducation efficace et accessible, l’État cherche à renforcer la cohésion sociale, tandis que les entreprises réclament une main-d’œuvre qualifiée. Or, le système échoue à répondre à ces exigences. Les lacunes en langues, en compétences pratiques et en adéquation avec le marché du travail pèsent lourdement sur l’avenir des jeunes. « Le système peine à transmettre les valeurs de droit, de citoyenneté et de respect propices à une bonne intégration sociale », constate Jaïdi.

L’enseignement dans les zones rurales souffre particulièrement d’un manque d’infrastructures et d’adaptabilité aux réalités locales. L’auteur recommande une approche plus pragmatique : adapter les contenus éducatifs aux besoins économiques régionaux, valoriser les savoir-faire locaux et garantir une égalité d’accès aux ressources pédagogiques.

Un pilotage du système à revoir en profondeur

Au-delà des déficiences pédagogiques, le principal obstacle identifié par Jaïdi réside dans la gouvernance. Le flou persistant entre les compétences de l’administration centrale et celles des académies régionales freine l’autonomie des établissements et l’efficacité du système.

Trois dysfonctionnements majeurs sont pointés du doigt :
  • Une gestion centralisée qui entrave la réactivité et la responsabilisation des acteurs.
  • Une répartition déséquilibrée des enseignants, accentuant les disparités régionales.
  • Un suivi déficient des performances des établissements et des enseignants.


Le Conseil supérieur de l’Éducation, de la Formation et de la Recherche scientifique, censé jouer un rôle consultatif, peine à imposer ses recommandations. « La faible mobilisation autour de l’école se traduit par une érosion de la confiance envers elle », note Jaïdi, insistant sur la nécessité d’une gouvernance plus stable et impliquant davantage les acteurs locaux.

Quelles solutions pour sortir de l’impasse ?

« Il ne servirait à rien de mobiliser des milliards de dirhams si l’on ne fait que perpétuer le système éducatif existant », avertit l’économiste. Pour cet expert, l’investissement financier, bien que crucial, ne suffit pas. Le Maroc doit impérativement :
  1. Clarifier la gouvernance, en définissant précisément les rôles des institutions éducatives.
  2. Mettre en place un système d’évaluation rigoureux des enseignants et des établissements.
  3. Repenser les programmes scolaires, en les adaptant aux besoins réels du marché du travail et des régions.
  4. Réduire les inégalités éducatives, en améliorant l’accès à l’éducation en milieu rural.
  5. Instaurer un dialogue permanent entre l’État, les enseignants, les familles et les entreprises.


À l’heure où le Maroc ambitionne de renforcer son positionnement économique et social en Afrique, la réussite des réformes éducatives sera déterminante pour l’avenir du pays. Sans une refonte en profondeur de son modèle éducatif, le Royaume risque de voir les inégalités se creuser et la compétitivité de sa jeunesse s’effriter.
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