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Eugène Ébodé : «Le Roi Mohammed VI, l’inspirateur !»

Parmi les temps forts du Salon international du livre enfant et jeunesse (SILEJ), on retiendra la présentation par l'administrateur de la Chaire des littératures et des arts africains de l’Académie du Royaume du Maroc, Eugène Ébodé, le samedi 18 novembre, de son nouveau livre «Grand-père Ouidi au Sahel». Classé dans la catégorie «littérature jeunesse» de la collection Dragonnier aux éditions Africamoude, ce recueil de contes nous projette dans les richesses historiques et culturelles du Sahel, espace commun de rencontres et d’échanges des biens et des savoirs. Dans cet entretien accordé au «Matin», l’universitaire et écrivain revient sur ce livre et nous raconte comment il a également écouté le Discours de Sa Majesté le Roi Mohammed VI à l'occasion du 48e anniversaire de la Marche Verte, dans lequel le Souverain a réservé une bonne part à l'Afrique atlantique et au Sahel, et comment ce Discours Royal l'a conduit à imaginer que le second tome des contes du Grand-père Ouidi pourrait s'intituler : sur la route du Levant et du Roi inspirateur...

Eugène Ébodé.
Eugène Ébodé.
Le Matin : Vous publiez un livre de contes (édité par la nouvelle maison d’édition Africamoude, fondée à Rabat par Dr Rabiaa Marhouch en 2023). Ils sont présentés par un affable grand-père. Votre précédent ouvrage «Habiller le ciel» était un roman sur votre mère disparue. La famille est-elle ainsi au cœur de vos préoccupations actuelles ?

Eugène Ébodé :
Vous avez raison de le souligner. La famille est aussi le thème retenu pour l’actuelle et importante session qui se déroule à l’Académie du Royaume du Maroc. Le roman dit le récit visible et le conte instruit le récit invisible. Je porte ma mère dans mon cœur et l’Afrique dans mon âme. Quand l’un s’éteindra, l’autre, l’âme, restera invulnérable. La famille biologique est au commencement de toute vie, et la famille humaine au centre de mon engagement littéraire. Je suis convaincu qu’on écrit toujours pour un idéal. Après le roman sur ma mère, voici un texte sur un grand-père, plutôt fictif, même si dans mon enfance, j’ai adoré écouter les contes et légendes que me racontaient les anciens. C’est cette ambiance que mes souvenirs ont convoquée pour traduire en récits le désir d’une Afrique rassemblée, comme à l’heure du conte, sous le flamboiement de la Lune, de la Grande Ourse, de Sirius, de Jupiter et d’autres étoiles. Ce grand-père-là est mon emblème, et son récit global s’ancre dans l’idée d’une famille africaine ragaillardie par son unité et d’une famille humaine, plus étendue, émerveillée par sa diversité. Sous cette aspiration, ce qui me préoccupe c’est la complétude. Elle signifie la possibilité offerte à un espace comme à une communauté d’être complétés. Voyez-vous, sur le plan littéraire, ma famille première fut la négritude et j’en suis fier, car elle porta le fer dans la plaie. L’homme noir avait une âme, un cerveau, une faculté égale de penser, une humanité égale. Il pouvait même, sans trop d’effort, hausser le ton et réclamer le silence à quelques blancs-becs au nom du droit d’aînesse. Il n’y a plus débat sur les relégations, les «gommages» qui ont tenté d’effacer toute historicité au monde noir pour le réduire à un état infantile et de chosification, lequel enfanta la colonisation, les préjugés et le déni d’humanité que fut l’esclavage. On prétendait que ce monde-là n’appartenait pas à la race humaine. Il reste des relents de cette fumisterie que nous résumons par racisme. Or cette fumisterie frappe d’autres peuples, il nous faut donc sortir de notre cloison pour combattre tous les racismes avec la même et unique foi en l’homme indivisible. En Afrique, dans notre espace matriciel, nous voyons les effets et les conséquences de ce racisme qui a déployé ses horreurs sur l’ensemble du continent par l’entreprise colonisatrice et par les effets prédateurs ou hégémoniques de nations se considérant comme civilisées, voire supérieures. Le grand Victor Hugo raconta, sans rire, dans son Discours sur l’Afrique de 1879 que Dieu avait donné l’Afrique à l’Europe.

Eh bien, chaque génération a une mission : «compléter» l’œuvre des parents. Il m’est donc apparu depuis longtemps que la mienne était de poursuivre l’action des pères et mères fondateurs de la Négritude pour faire en sorte que le continent tout entier et sa diaspora soient mon territoire de référence, et son unité, mon horizon d’émerveillement. Je signale aussi l’oubli général des femmes dans les combats, car Paulette et Jeanne Nardal furent dans les années 20 et 30 du XXe siècle, de brillantes animatrices d’un salon littéraire couru par Léopold Sédar Senghor, Aimé Césaire, Gontran Damas et d’autres figures de renom dans leur appartement à Clamart, près de Paris. Elles lancèrent la Négritude sur ses fonts baptismaux et créèrent aussi, avec l’écrivain Léo Sajous en 1931, La Revue du monde noir. L’héritage est un bloc et la division son poison mortel. Or ce poison a été trop longtemps distillé entre Africains du Nord et ceux du Sud. Il faut éliminer ce poison et décloisonner l’Afrique. C’est aussi ce que fait l’Académie du Royaume du Maroc qui, elle aussi, réunit la famille des lettres en Afrique sans considération des clivages linguistiques hérités de ce que tout le monde sait.


Votre personnage, le grand-père Ouidi raconte le Sahel. Pourquoi ce choix géopolitique ?

Il découle de ce qui précède. Le Sahel est un espace tampon entre les deux, voire quatre ou cinq Afriques, dont la barrière symbolique est le Sahara. Il est considéré comme tel par une géopolitique du conflit, alors qu’il s’agit, pour les Africains, de le regarder tel qu’il est : un espace commun de rencontres et d’échanges. Échanges des biens, mais aussi des savoirs pour une Afrique indivisible, confraternelle et coopérative. Rappelons-nous que le continent, longtemps ignoré en dehors de sa façade égyptienne, par des conditions difficiles de navigation pour passer le Detroit de Gibraltar, a historiquement connu à partir de la fin du 15e siècle son exploration et son dépeçage par les côtes. La mer Rouge a permis un rapprochement avec la péninsule arabique puis le pourtour méditerranéen et l’accès à l’Atlantique, mais aussi l’océan Indien pour ce qui concerne les Mérinas de Madagascar originaires de l’archipel indonésien, ont permis les entrées en Afrique, ce continent qui est au final une immense île. Hier, ce fut donc par les mers que l’Afrique fut conquise. Aujourd’hui, tout laisse à penser que c’est par les sables du Sahel que se rejoue une détestable entreprise de partition et de fragmentation de l’Afrique.

Face à ce péril, grand-père Ouidi m’a paru être une réponse littéraire à cette entreprise de refracturation de l’Afrique. On y a volontairement déversé les instruments de mort, ces armes que nous ne fabriquons pas, mais que les marchands d’illusions et de la division savent introduire en Afrique. Quel est le but poursuivi ? Miner toute entreprise de cohésion. En plaçant le grand-père au centre du récit, à la chute du soir et sous la mobilité des astres, il m’a semblé sortir de la chronique des désastres pour inviter les jeunes et les moins jeunes à se retrouver autour de ce qui remembre une communauté de destin et lui insuffle une aspiration haute.
Je dois aussi vous dire que j’ai écouté le 6 novembre dernier, avec un grand sentiment de reconnaissance, le discours de Sa Majesté le Roi Mohammed VI à l’occasion du 48e anniversaire de la Marche Verte. Il s’est agi, comme à chacune de Ses interventions, d’une parole de surplomb, celle d’un leader inspirateur. Il a parlé du Sahel et des offres de coopération pour désenclaver et pour travailler ensemble au plan infrastructurel et économique. Je le cite : «De fait, en dépit de la qualité de ses ressources humaines et de l’abondance de ses richesses naturelles, l’Afrique atlantique accuse un important déficit en matière d’infrastructures et d’investissement. Afin de remédier à cet état de choses, nous œuvrons, de concert avec nos frères en Afrique et l’ensemble de nos partenaires, à l’élaboration de réponses pratiques et efficientes, adossées à la coopération internationale.»
Sa Majesté a aussi parlé du Sahel en situant les enjeux dans un cadre fraternel et non sur le plan des intérêts étatiques et matériels, comme il est d’usage de l’exposer en matière de diplomatie économique classique. Nous sommes bien dans une période de renouvellement de l’offre géopolitique intra-africaine et il faut s’en réjouir. Sa majesté a ajouté : «Ainsi, pour favoriser l’accès des États du Sahel à l’océan Atlantique, Nous proposons le lancement d’une initiative à l’échelle internationale. Néanmoins, pour qu’une telle proposition aboutisse, il est primordial de mettre à niveau les infrastructures des États du Sahel et de les connecter aux réseaux de transport et de communication implantés dans leur environnement régional.»


Vous parlez d’un Roi inspirateur, Sa Majesté Mohammed VI. Si grand-père Ouidi l’avait rencontré, que se seraient-ils dit ?

Je viens de participer à un séminaire organisé à la Fondation des Treilles et dirigé par le professeur Johann Chapoutot de l’Université de Sorbonne. Cet éminent historien, spécialiste de la période contemporaine, pose ce simple constat : «L’Histoire est une école d’avenir» dans son ouvrage «Les 100 mots de l’Histoire» (Que sais-je ?, 2021, p.7). Il y rappelle que ce sont les vainqueurs ou prétendus tels (il vise Tacite parlant de la Germanie) qui écrivent l’Histoire. Il reprend aussi un propos amer et désabusé d’un Walter Benjamin fuyant le nazisme. Mais l’historien à succès (auteur notamment du «Grand récit», PUF, 2021) suggère aussi de ne pas «trop vite apposer les scellés sur l’Histoire». Il l’a redit durant le riche séminaire des Treilles portant sur «Le XIXe siècle, notre contemporain ?» Si grand-père Ouidi rencontrait le Roi Mohammed VI ? Votre question est très intéressante. Elle me conduit à imaginer que le second tome des contes du «Grand-père Ouidi »pourrait s’intituler : «Sur la route du Levant et du Roi inspirateur»... L’Histoire est une école d’avenir commun et de vision fraternelle en Afrique. C’est de cela dont parle Sa Majesté.
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