Le Matin : Vous avez participé, le mercredi 22 janvier 2025, à un atelier organisé par le groupe thématique sur l’intelligence artificielle au sein de la Chambre des représentants. Quel est le contexte de cette rencontre et l’objectif de votre intervention ?
Redouane Mrabet : Cet atelier, organisé par la Chambre des représentants, avait pour but de réunir des experts, des décideurs publics, des universitaires et des représentants du secteur privé autour du sujet de l’intelligence artificielle (IA) qui revêt actuellement une importance stratégique. C’était une tentative d’affronter une question fondamentale : quelle place voulons-nous donner à l’intelligence artificielle dans le développement du Maroc ? Le choix du thème – les infrastructures, le développement technologique, la formation, la recherche scientifique – montre qu’il ne s’agit pas simplement d’une fascination pour une technologie, mais d’un besoin urgent de penser collectivement à ses impacts et ses implications. Dans mon intervention, intitulée «Intelligence artificielle, quel cadre juridique devrait-on adopter pour le Maroc afin de booster l’innovation ?», j’ai rappelé qu’un cadre juridique, ce n’est pas juste une série de lois à élaborer et à adopter. C’est une boussole pour orienter les usages de l’IA, pour protéger les citoyens et, surtout, pour encourager l’innovation. Le Maroc a un immense potentiel, mais si nous n’agissons pas vite pour réguler et structurer le développement de l’IA, nous risquons de rester de simples consommateurs de technologies produites ailleurs.
Quel regard portez-vous sur l’évolution de l’IA au Maroc ?
Le Maroc a du retard, il faut être honnête. Si beaucoup d’acteurs, comme nos universités ou certaines entreprises, s’intéressent à l’IA et l’utilisent, notre pays reste en bas des classements internationaux en termes de préparation et d’innovation. Par exemple, selon l’indice de préparation des gouvernements à l’IA 2024, publié par Oxford Insights, le Maroc est encore loin des standards mondiaux. Ce retard s’explique par plusieurs facteurs tels que le manque d’investissement dans la recherche, l’absence de stratégie nationale claire et un déficit en ressources humaines qualifiées. Nos universités font des efforts remarquables, mais elles manquent de soutien structurel et financier pour être de véritables moteurs d’innovation. De plus, nous n’avons pas encore une gestion optimisée de nos données, qui sont pourtant le carburant principal de l’IA.
Vous avez évoqué l'importance de la régulation de l'intelligence artificielle au Maroc. Selon vous, quelles sont les étapes essentielles à adopter pour établir un cadre juridique solide pour l'IA ?
Comment la législation peut-elle gérer l’impact de l’IA sur l’emploi, notamment dans le contexte de chômage accru au Maroc ?
Nous ne pouvons pas ignorer l’IA. C’est une vague technologique qui transforme déjà nos modes de vie et nos économies. Elle va détruire certains emplois, certes, mais va également en créer de nouveaux. La question n’est pas de choisir entre l’IA et l’emploi, mais de savoir comment anticiper et accompagner ces changements. La législation peut jouer un rôle clé en rendant obligatoire la formation et la reconversion professionnelle. Par exemple, les entreprises utilisant massivement l’automatisation pourraient être incitées ou même contraintes à former leurs employés pour occuper de nouveaux postes créés par l’IA. Il faut aussi investir dans l’éducation pour que les jeunes générations soient prêtes à travailler dans un monde dominé par ces technologies.
Vous avez mentionné l'ambition de faire du Maroc un pôle d'excellence en IA. Quels sont les défis majeurs que le pays doit surmonter pour atteindre cet objectif, notamment en termes de législation et d'infrastructures ?
Les défis sont multiples. D’abord, nous devons former des talents. L’IA est un domaine exigeant qui nécessite des compétences techniques de haut niveau. Nos universités doivent être soutenues pour attirer et former les meilleurs étudiants. Ensuite, il y a la question des infrastructures : nous avons besoin de plateformes technologiques, de centres de données et de politiques de gestion de la donnée adaptées. Enfin, le cadre législatif doit encourager l’innovation tout en protégeant les citoyens. Actuellement, nos lois ne couvrent pas suffisamment les spécificités de l’IA. Par exemple, des pays comme la Chine ou l’Union européenne ont déjà des régulations spécifiques, notamment pour encadrer des technologies comme le deepfake ou l’IA générative. Nous devrions nous inspirer de ces exemples.
Vous insistez sur l’importance de mettre en place des cadres éthiques et juridiques adaptés. Comment ces cadres peuvent-ils à la fois encourager l’innovation et protéger les droits des citoyens marocains ?
Un cadre éthique et juridique, c’est avant tout une boussole. Sans orientations claires, nous avançons à tâtons, et cela peut non seulement freiner l’innovation, mais aussi exposer nos citoyens à des risques importants : atteintes à la vie privée, discriminations algorithmiques ou encore désinformation massive. Ces cadres ont donc une double mission : encadrer le développement de l’IA pour qu’elle serve l’intérêt collectif et offrir un terrain sécurisé et prévisible aux entreprises technologiques.
Aujourd’hui, pour qu’une entreprise décide d’investir dans un pays, elle a besoin d’un environnement réglementaire clair et stable. Si le Maroc tarde à établir ses règles du jeu, nous risquons de passer à côté d’investissements stratégiques. Mais au-delà des enjeux économiques, ces cadres servent aussi à protéger les droits fondamentaux des citoyens. Par exemple, garantir que les données personnelles soient utilisées de manière responsable.
Quelles actions concrètes le Maroc doit adopter à votre avis pour renforcer sa position à l’échelle régionale et africaine au niveau du domaine de l’IA ?
Le Maroc peut consolider sa position en mettant en œuvre plusieurs mesures clés. D’abord, la création d’un fonds national pour l’innovation est essentielle pour financer des projets stratégiques dans des domaines comme la santé, l’agriculture et l’éducation. Ensuite, renforcer les partenariats public-privé permettra aux universités et aux entreprises de collaborer pour développer des solutions locales adaptées aux besoins nationaux. Par ailleurs, l’exploitation des données marocaines est également cruciale. Entraîner des IA sur des données locales garantit des résultats pertinents et adaptés au contexte marocain. In fine, une participation active aux forums internationaux permettra au Maroc de partager ses bonnes pratiques, d’apprendre des autres et d’attirer des collaborations et des investissements.
Redouane Mrabet : Cet atelier, organisé par la Chambre des représentants, avait pour but de réunir des experts, des décideurs publics, des universitaires et des représentants du secteur privé autour du sujet de l’intelligence artificielle (IA) qui revêt actuellement une importance stratégique. C’était une tentative d’affronter une question fondamentale : quelle place voulons-nous donner à l’intelligence artificielle dans le développement du Maroc ? Le choix du thème – les infrastructures, le développement technologique, la formation, la recherche scientifique – montre qu’il ne s’agit pas simplement d’une fascination pour une technologie, mais d’un besoin urgent de penser collectivement à ses impacts et ses implications. Dans mon intervention, intitulée «Intelligence artificielle, quel cadre juridique devrait-on adopter pour le Maroc afin de booster l’innovation ?», j’ai rappelé qu’un cadre juridique, ce n’est pas juste une série de lois à élaborer et à adopter. C’est une boussole pour orienter les usages de l’IA, pour protéger les citoyens et, surtout, pour encourager l’innovation. Le Maroc a un immense potentiel, mais si nous n’agissons pas vite pour réguler et structurer le développement de l’IA, nous risquons de rester de simples consommateurs de technologies produites ailleurs.
Quel regard portez-vous sur l’évolution de l’IA au Maroc ?
Le Maroc a du retard, il faut être honnête. Si beaucoup d’acteurs, comme nos universités ou certaines entreprises, s’intéressent à l’IA et l’utilisent, notre pays reste en bas des classements internationaux en termes de préparation et d’innovation. Par exemple, selon l’indice de préparation des gouvernements à l’IA 2024, publié par Oxford Insights, le Maroc est encore loin des standards mondiaux. Ce retard s’explique par plusieurs facteurs tels que le manque d’investissement dans la recherche, l’absence de stratégie nationale claire et un déficit en ressources humaines qualifiées. Nos universités font des efforts remarquables, mais elles manquent de soutien structurel et financier pour être de véritables moteurs d’innovation. De plus, nous n’avons pas encore une gestion optimisée de nos données, qui sont pourtant le carburant principal de l’IA.
Vous avez évoqué l'importance de la régulation de l'intelligence artificielle au Maroc. Selon vous, quelles sont les étapes essentielles à adopter pour établir un cadre juridique solide pour l'IA ?
Je pense qu’il faut adopter une approche structurée en trois étapes.
1. Une loi-cadre sur l’IA : cette loi doit intégrer les principes éthiques définis par l’Unesco, que le Maroc a déjà adoptés en novembre 2021. Elle poserait les bases d’une IA éthique et de confiance, tout en définissant des orientations claires pour son développement. Cela renforcerait la crédibilité du Maroc à l’échelle internationale et encouragerait les investissements étrangers. Par exemple, cette loi pourrait s’assurer que les données collectées et utilisées par les systèmes d’IA soient conformes aux normes éthiques et respectueuses des droits des citoyens.
2. La mise à jour des lois existantes : les législations marocaines, comme celles sur la cybercriminalité ou la protection des données, datent de plusieurs années. Elles ne prennent pas en compte les nouveaux risques liés à l’IA, tels que les décisions automatisées, les deepfakes ou les cyberattaques sophistiquées. Ces lois doivent être révisées pour répondre aux enjeux actuels et garantir une cybersécurité robuste.
3. Une loi pour encourager l’innovation technologique : nous avons besoin d’un cadre qui facilite l’émergence de startups et l’adoption des technologies de pointe. Cela pourrait passer par des incitations fiscales pour les entreprises investissant dans l’IA, un fonds national pour la recherche et le développement, et des environnements de test réglementaires flexibles pour expérimenter en toute sécurité.
Justement, quels sont selon vous les risques d’une intelligence artificielle non encadrée ?
L’IA est une technologie à double usage. Elle peut générer des opportunités économiques, protéger des systèmes critiques et améliorer nos vies. Mais elle peut aussi être détournée à des fins nuisibles. Prenons l’exemple de la cybersécurité : l’IA peut être utilisée pour renforcer la sécurité de nos infrastructures, mais également pour lancer des attaques sophistiquées, capables de paralyser des systèmes vitaux. Dans le domaine médiatique, l’IA peut aider à produire du contenu de qualité, mais elle peut aussi fabriquer de fausses informations – je pense aux deepfakes – qui menacent la confiance dans les institutions. Sans régulation, l’IA pourrait exacerber les inégalités. Certains métiers risquent de disparaître à cause de l’automatisation, tandis que les bénéfices de cette transformation pourraient être concentrés entre les mains d’une poignée d’acteurs économiques. C’est pour cela qu’un cadre éthique et juridique est essentiel.
1. Une loi-cadre sur l’IA : cette loi doit intégrer les principes éthiques définis par l’Unesco, que le Maroc a déjà adoptés en novembre 2021. Elle poserait les bases d’une IA éthique et de confiance, tout en définissant des orientations claires pour son développement. Cela renforcerait la crédibilité du Maroc à l’échelle internationale et encouragerait les investissements étrangers. Par exemple, cette loi pourrait s’assurer que les données collectées et utilisées par les systèmes d’IA soient conformes aux normes éthiques et respectueuses des droits des citoyens.
2. La mise à jour des lois existantes : les législations marocaines, comme celles sur la cybercriminalité ou la protection des données, datent de plusieurs années. Elles ne prennent pas en compte les nouveaux risques liés à l’IA, tels que les décisions automatisées, les deepfakes ou les cyberattaques sophistiquées. Ces lois doivent être révisées pour répondre aux enjeux actuels et garantir une cybersécurité robuste.
3. Une loi pour encourager l’innovation technologique : nous avons besoin d’un cadre qui facilite l’émergence de startups et l’adoption des technologies de pointe. Cela pourrait passer par des incitations fiscales pour les entreprises investissant dans l’IA, un fonds national pour la recherche et le développement, et des environnements de test réglementaires flexibles pour expérimenter en toute sécurité.
Justement, quels sont selon vous les risques d’une intelligence artificielle non encadrée ?
L’IA est une technologie à double usage. Elle peut générer des opportunités économiques, protéger des systèmes critiques et améliorer nos vies. Mais elle peut aussi être détournée à des fins nuisibles. Prenons l’exemple de la cybersécurité : l’IA peut être utilisée pour renforcer la sécurité de nos infrastructures, mais également pour lancer des attaques sophistiquées, capables de paralyser des systèmes vitaux. Dans le domaine médiatique, l’IA peut aider à produire du contenu de qualité, mais elle peut aussi fabriquer de fausses informations – je pense aux deepfakes – qui menacent la confiance dans les institutions. Sans régulation, l’IA pourrait exacerber les inégalités. Certains métiers risquent de disparaître à cause de l’automatisation, tandis que les bénéfices de cette transformation pourraient être concentrés entre les mains d’une poignée d’acteurs économiques. C’est pour cela qu’un cadre éthique et juridique est essentiel.
Comment la législation peut-elle gérer l’impact de l’IA sur l’emploi, notamment dans le contexte de chômage accru au Maroc ?
Nous ne pouvons pas ignorer l’IA. C’est une vague technologique qui transforme déjà nos modes de vie et nos économies. Elle va détruire certains emplois, certes, mais va également en créer de nouveaux. La question n’est pas de choisir entre l’IA et l’emploi, mais de savoir comment anticiper et accompagner ces changements. La législation peut jouer un rôle clé en rendant obligatoire la formation et la reconversion professionnelle. Par exemple, les entreprises utilisant massivement l’automatisation pourraient être incitées ou même contraintes à former leurs employés pour occuper de nouveaux postes créés par l’IA. Il faut aussi investir dans l’éducation pour que les jeunes générations soient prêtes à travailler dans un monde dominé par ces technologies.
Vous avez mentionné l'ambition de faire du Maroc un pôle d'excellence en IA. Quels sont les défis majeurs que le pays doit surmonter pour atteindre cet objectif, notamment en termes de législation et d'infrastructures ?
Les défis sont multiples. D’abord, nous devons former des talents. L’IA est un domaine exigeant qui nécessite des compétences techniques de haut niveau. Nos universités doivent être soutenues pour attirer et former les meilleurs étudiants. Ensuite, il y a la question des infrastructures : nous avons besoin de plateformes technologiques, de centres de données et de politiques de gestion de la donnée adaptées. Enfin, le cadre législatif doit encourager l’innovation tout en protégeant les citoyens. Actuellement, nos lois ne couvrent pas suffisamment les spécificités de l’IA. Par exemple, des pays comme la Chine ou l’Union européenne ont déjà des régulations spécifiques, notamment pour encadrer des technologies comme le deepfake ou l’IA générative. Nous devrions nous inspirer de ces exemples.
Vous insistez sur l’importance de mettre en place des cadres éthiques et juridiques adaptés. Comment ces cadres peuvent-ils à la fois encourager l’innovation et protéger les droits des citoyens marocains ?
Un cadre éthique et juridique, c’est avant tout une boussole. Sans orientations claires, nous avançons à tâtons, et cela peut non seulement freiner l’innovation, mais aussi exposer nos citoyens à des risques importants : atteintes à la vie privée, discriminations algorithmiques ou encore désinformation massive. Ces cadres ont donc une double mission : encadrer le développement de l’IA pour qu’elle serve l’intérêt collectif et offrir un terrain sécurisé et prévisible aux entreprises technologiques.
Aujourd’hui, pour qu’une entreprise décide d’investir dans un pays, elle a besoin d’un environnement réglementaire clair et stable. Si le Maroc tarde à établir ses règles du jeu, nous risquons de passer à côté d’investissements stratégiques. Mais au-delà des enjeux économiques, ces cadres servent aussi à protéger les droits fondamentaux des citoyens. Par exemple, garantir que les données personnelles soient utilisées de manière responsable.
Quelles actions concrètes le Maroc doit adopter à votre avis pour renforcer sa position à l’échelle régionale et africaine au niveau du domaine de l’IA ?
Le Maroc peut consolider sa position en mettant en œuvre plusieurs mesures clés. D’abord, la création d’un fonds national pour l’innovation est essentielle pour financer des projets stratégiques dans des domaines comme la santé, l’agriculture et l’éducation. Ensuite, renforcer les partenariats public-privé permettra aux universités et aux entreprises de collaborer pour développer des solutions locales adaptées aux besoins nationaux. Par ailleurs, l’exploitation des données marocaines est également cruciale. Entraîner des IA sur des données locales garantit des résultats pertinents et adaptés au contexte marocain. In fine, une participation active aux forums internationaux permettra au Maroc de partager ses bonnes pratiques, d’apprendre des autres et d’attirer des collaborations et des investissements.