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Islam et politique : Le modèle marocain d'intégration fait école à Assilah

Le Moussem culturel international d'Assilah a accueilli, dans le cadre de sa 45e édition, un colloque majeur sur l'avenir des mouvements religieux dans le champ politique. Cette rencontre a réuni des intellectuels, des responsables politiques et des experts de premier plan du monde arabo-musulman. Au cœur des débats : l'expérience singulière du Maroc dans l'intégration des mouvements islamistes au jeu démocratique. Alors que la région connaît des bouleversements profonds et que la question religieuse reste au centre des événements actuels, les participants ont analysé les facteurs de l'ascension et du déclin des partis islamistes, tout en s'interrogeant sur les perspectives d'avenir dans un contexte régional marqué par les crises et les tensions.

«Le Maroc peut-il incarner l'exception dans un monde arabe en pleine tourmente ? Cette question était au cœur du troisième colloque organisé dans le cadre de la 45e édition du Moussem culturel international d'Assilah dont les travaux se poursuivront jusqu’au 31 octobre. Alors que les mouvements politiques islamistes et les courants religieux idéologiques ont su tirer profit des bouleversements qu'a connus le monde arabe au cours de la dernière décennie, le Maroc semble avoir trouvé une voie médiane. D'un côté, la religion reste un axe central de légitimité et d'activisme associatif dans les sociétés arabes et islamiques. De l'autre, elle alimente la dynamique de la violence radicale et du fanatisme dans plusieurs pays. C'est dans ce contexte complexe que des intellectuels et responsables politiques de premier plan se sont réunis, dans le cadre du troisième colloque organisé dans le cadre du Moussem d’Assilah, pour débattre de l'avenir des mouvements religieux dans le champ politique.

L'exception marocaine : un modèle d'intégration réussie

Mohamed Benaïssa, secrétaire général de la Fondation du Forum d'Assilah, a d'emblée posé le cadre de la réflexion.»La question religieuse est au cœur des événements actuels, malgré le déclin apparent des partis politiques à référence religieuse et l'explosion des conflits idéologiques et doctrinaux au sein du champ religieux», a-t-il souligné en ouverture du colloque.

Nabil Benabdallah, secrétaire général du Parti du Progrès et du Socialisme (PPS), a apporté un témoignage précieux sur l'expérience marocaine. «Contrairement à ce qui s'est passé dans d'autres pays arabes, nous avons connu au Maroc un passage en douceur vers les élections, puis la formation du gouvernement», a-t-il expliqué, mettant en avant la particularité du modèle marocain.

Les clés d'une transition réussie

Mustapha El Khalfi, ancien ministre de la Communication, a détaillé les facteurs ayant permis cette intégration réussie. Il a notamment évoqué le tournant historique du 6 janvier 1982, marqué par la séparation avec la Chabiba et l'émergence d'une élite politique incarnée par des figures comme Abdelilah Benkirane et Saâd Eddine Othmani. «Ce processus a fondé la particularité du Maroc malgré les résultats de 2021», a-t-il affirmé.

Cette approche graduelle et encadrée s'est appuyée sur plusieurs piliers fondamentaux : la reconnaissance de l'institution d'Imarat Al Mouminine, l'encadrement par plus de 80 Conseils des Oulémas, et la séparation claire entre l'action politique et l'action religieuse...

Les défis de l'intégration dans le monde arabe

Le penseur libanais Radwan El Sayed a souligné le caractère unique de l'expérience marocaine : «L'expérience de l'Islam politique est négative dans la majorité des pays arabes, à l'exception du Maroc, qui prône une approche ouverte et renouvelée».

Samir Fahim Suleiman Habashneh, secrétaire général du Groupe de la Paix arabe, a plaidé pour «une acceptation réciproque» entre État et mouvements islamiques, citant les expériences marocaine et jordanienne comme des modèles potentiels.

Perspectives d'avenir et enjeux régionaux

Le ministre jordanien de la Communication, Muhnnad Al-Mubaidin, a apporté un éclairage intéressant sur l'évolution des mouvements islamistes dans son pays, notant leur renoncement depuis 2016 à lier la solution étatique à l'Islam.

Saïd Bensaïd Alaoui, professeur à l'Université Mohammed V, a soulevé des questions fondamentales sur l’incompatibilité entre parti politique et référentiel religieux. Il a rappelé que la Constitution marocaine, tout en reconnaissant l'identité islamique du pays, interdit la création de partis sur des bases religieuses.

Abdel Rahman Shalgham, ancien ministre des Affaires étrangères libyen, a mis en perspective le succès marocain : «Les islamistes au Maroc ont gouverné, mais au Maroc, l'État est distinct du gouvernement, et l'État est entre les mains du Roi».

Les conditions d'une intégration durable

L'expérience marocaine, loin d'être un simple hasard, repose sur des fondements solides que les participants au colloque ont minutieusement analysés. Mustapha El Khalfi a notamment insisté sur l'importance de «la distinction entre l'action prédicative et l'action politique». Cette séparation, institutionnalisée au Maroc, constitue selon lui un élément clé de la stabilité du système.

«L'échec dans les élections n'a pas conduit à avoir une position contre l'islam», souligne El Khalfi, mettant en avant la maturité politique acquise par les mouvements islamistes modérés au Maroc. Cette observation est particulièrement significative dans un contexte régional où les échecs électoraux ont souvent conduit à des crises majeures.

Nabil Benabdallah va plus loin dans l'analyse en soulignant que «nous avons été avec ce courant islamique dans le gouvernement, mais il y a une grande différence entre leur position avant de diriger le gouvernement et après avoir vécu cette expérience». Cette évolution pragmatique témoigne de la capacité d'adaptation des mouvements islamistes modérés lorsqu'ils sont intégrés dans un cadre institutionnel stable.

Le professeur Saïd Bensaïd Alaoui apporte une perspective académique cruciale en rappelant que «toutes les références des courants islamistes ne reconnaissent pas traditionnellement les frontières ou les citoyens, la souveraineté». Le défi consiste donc à faire évoluer ces positions théoriques vers un pragmatisme politique compatible avec l'État-nation moderne.

La réussite de cette intégration repose également sur ce que Mohamed Benaïssa appelle «l'explosion des conflits idéologiques et doctrinaux au sein du champ religieux entre les courants conservateurs, réformistes et radicaux». Cette diversité, plutôt que d'être un facteur de division, a paradoxalement contribué à l'émergence d'un consensus autour de la modération.

L'analyse comparative proposée par Radwan El Sayed est particulièrement éclairante : «Au fur et à mesure que les expériences réussissent, plus l'Islam politique se marginalise et vice versa». Cette observation suggère une corrélation directe entre le succès des politiques de développement et la diminution de l'attrait pour les solutions radicales.

L'impact du contexte régional sur les mouvements islamistes

Les participants au colloque ont également souligné l'importance du contexte international. Le ministre jordanien Muhnnad Al-Mubaidin a noté que «l'actualité du Proche-Orient n'a pas participé à donner de l'aura aux mouvements islamistes», une observation qui souligne la complexité des dynamiques régionales.

La conclusion qui émerge des débats est que l'expérience marocaine, bien qu’unique, offre des enseignements précieux pour d'autres pays de la région. Comme le résume Samir Fahim Suleiman Habashneh, «le défi reste en tant qu'Arabes comment organiser entre islamique politique et État dans un respect et acceptation des résultats des urnes».

Le colloque d'Assilah, organisé dans le cadre de la 38e édition de l'Université ouverte Al-Mu'tamid Ibn Abbad, se poursuivra jusqu'au 31 octobre. Il aborde également d'autres thématiques cruciales comme «Les dilemmes déchirants des frontières en Afrique» et «Les valeurs de la justice et les systèmes démocratiques», confirmant son rôle de plateforme majeure de réflexion sur les enjeux contemporains du monde arabe.
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