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La santé passe au scanner de l'Instance nationale de lutte contre la corruption

L'Instance nationale de la probité, de la prévention et de la lutte contre la corruption relance un appel d'offres pour une étude nationale sur la corruption dans le secteur de la santé au Maroc. Cette initiative, s'inscrivant dans le cadre de la stratégie nationale anticorruption, vise à diagnostiquer en profondeur les pratiques frauduleuses qui touchent le système de santé. L'étude, devant être structurée en cinq phases, ambitionne d'aboutir à des solutions concrètes pour renforcer l'intégrité et la transparence dans ce secteur crucial. Un défi de taille pour améliorer l'accès aux soins et la confiance des citoyens.

L’accès aux services de santé étant une préoccupation majeure des citoyens, la lutte contre la corruption dans ce secteur revêt une importance capitale. L'Instance nationale de la probité, de la prévention et de la lutte contre la corruption (INPPLC) a décidé de s'attaquer frontalement à ce problème en lançant une étude nationale d'envergure. Cette initiative, qui fait suite à un premier appel d'offres infructueux, témoigne de la détermination de l’Instance à mettre toute la lumière sur la gouvernance du système de santé, souvent perçue comme opaque.

Mohamed Bachir Rachdi, président de l'INPPLC, explique la genèse de cette démarche : «Nous avons effectué une enquête nationale générale en 2023 et 2024. Il en ressort que les citoyens accordent une importance particulière à ce secteur et à la corruption qui pourrait le toucher». Une préoccupation qui justifie pleinement le choix de se concentrer sur le domaine de la santé, crucial pour le bien-être de la population.



Il faut dire aussi que l'ampleur du phénomène dans le secteur est alarmante. Selon les résultats de l'enquête nationale précédente menée par l'INPPLC, 68% des citoyens résidents estiment que la corruption est répandue, voire très répandue, dans le secteur de la santé. Ce chiffre grimpe à 76% pour les Marocains résidant à l'étranger (MRE) et atteint 75% chez les entreprises. Des statistiques qui placent la santé en tête des secteurs perçus comme les plus touchés par la corruption au Maroc. Face à ce constat, l'INPPLC a donc décidé de passer à l'action en lançant une étude approfondie. Mais quels sont les objectifs précis de cette initiative et dans quelle mesure peut-elle contribuer à la lutte contre la corruption dans ce secteur ?

Un diagnostic sans concession du système de santé marocain

L'étude nationale sur la corruption dans le secteur de la santé, initiée par l'INPPLC, vise avant tout à dresser un état des lieux exhaustif de la situation. Pour Mohamed Bachir Rachdi, l'objectif est clair : «On essaie d'aller au fond des choses en tenant compte des spécificités sectorielles, de faire une cartographie des risques et voir comment on pourrait endiguer le phénomène de la corruption dans un domaine qui est sensible et qui intéresse au premier lieu les citoyens».

Cette approche méthodique se décline en plusieurs phases. La première consiste en un diagnostic approfondi. L'analyse documentaire prévue permettra de dresser un panorama complet du secteur de la santé au Maroc, en examinant les textes juridiques, les études antérieures et les rapports pertinents. Cette étape cruciale vise à identifier les différents acteurs du système de santé, leurs rôles respectifs et leur importance dans la prévention et la lutte contre la corruption.

L'étude ne se contentera pas d'une simple revue de la littérature. Elle prévoit également un benchmark international, permettant de comparer la situation marocaine à celle d'autres pays. Cette approche comparative offrira des pistes précieuses pour élaborer des modèles d'analyse des risques et des systèmes d'alerte précoce adaptés au contexte national. Un aspect particulièrement novateur de cette étude réside dans son ambition de cartographier les risques de corruption. Cette cartographie, devant être basée sur une analyse minutieuse des données recueillies, permettra d'identifier les zones de vulnérabilité au sein du système de santé. Elle prendra en compte divers facteurs, tels que le cadre juridique et institutionnel, les pratiques managériales et même les comportements des usagers.

Le président de l'INPPLC insiste sur l'importance de cette approche globale : «Nous avons sollicité, bien sûr, le ministère de la Santé et de la protection sociale pour mener ensemble cette étude. Nous avons eu une réponse favorable, mais on est en train d'essayer de voir la mise en place des structures et des mécanismes qui pourraient le permettre». Cette collaboration entre les différentes parties prenantes est essentielle pour garantir l'exhaustivité et la pertinence du diagnostic.

L'étude ne se limitera pas à une analyse théorique. Elle prévoit une phase importante de collecte de données sur le terrain, impliquant divers acteurs du système de santé. Des enquêtes seront menées auprès d'un échantillon représentatif de 2.500 usagers, 50 entreprises en lien avec le système national de santé et 100 professionnels de santé. Ces enquêtes permettront de recueillir des informations concrètes sur les expériences vécues et les perceptions de la corruption dans le secteur.

En complément de ces enquêtes quantitatives, l'étude prévoit l'organisation d'au moins 10 focus groups et des entretiens semi-directifs avec des acteurs clés du secteur. Cette approche qualitative permettra d'approfondir la compréhension des mécanismes de corruption et d'identifier des pistes de solutions adaptées aux réalités du terrain. Ce diagnostic approfondi constitue la pierre angulaire de l'étude. Il permettra non seulement de mesurer l'ampleur du phénomène de corruption dans le secteur de la santé, mais aussi d'en comprendre les causes profondes et les mécanismes. Cette compréhension fine de la situation est indispensable pour élaborer des stratégies efficaces de lutte contre la corruption.

La corruption dans la santé : un fléau aux multiples visages

L'étude nationale sur la corruption dans le secteur de la santé au Maroc s'attaque à un phénomène complexe et multiforme. Les résultats préliminaires de l'enquête précédente menée par l'INPPLC révèlent déjà l'étendue et la diversité des pratiques corruptives qui gangrènent le système de santé. Cette enquête avait été réalisée auprès d'un échantillon de 5.000 citoyens résidant au Maroc, durant la période allant du mois d'octobre jusqu'au mois de décembre 2022. Les Marocains résidant à l'étrangers (MRE) ont aussi été ciblés par cette enquête par un échantillon de 1.000 MRE ayant séjourné au Maroc durant les mois de juillet et août 2022.

Le pot-de-vin, forme la plus connue de corruption, semble être malheureusement monnaie courante dans le secteur de la santé publique. Selon l'étude, 17% des Marocains ayant eu au moins un contact avec ce secteur ont payé ou se sont vu demander de payer un pot-de-vin. Ce chiffre alarmant place la santé publique au cinquième rang des secteurs les plus touchés par cette pratique, derrière les Forces auxiliaires, la Gendarmerie, la Police et les transports.

Mohamed Bachir Rachdi souligne l'importance de ces données : «Ce qui ressort parmi les éléments de cette enquête nationale, c'est que les citoyens accordent une importance particulière à ce secteur et à la corruption qui pourrait le toucher. Cette perception négative a des conséquences directes sur la confiance des citoyens envers le système de santé et sur l'accès aux soins». L'étude ambitionne d'aller au-delà de ces constats généraux pour dresser une typologie précise des risques et des actes de corruption dans le secteur de la santé. Elle s'intéressera notamment aux caractéristiques spécifiques de ces actes, à leurs manifestations concrètes et à leurs impacts sur la qualité des soins et l'équité dans l’accès aux services de santé.

Un aspect particulièrement préoccupant révélé par l'enquête est la réaction des citoyens face aux demandes de pots-de-vin. Dans le secteur de la santé publique, 57% des personnes confrontées à de telles demandes les acceptent, tandis que seulement 25% refusent tout en poursuivant leur démarche. Plus inquiétant encore, seuls 3% des citoyens refusent et portent plainte. Ces chiffres témoignent d'une certaine résignation face à la corruption, qui contribue à perpétuer le phénomène. L'étude à venir s'intéressera également aux formes moins visibles de corruption, telles que le détournement de ressources, l'absentéisme du personnel médical ou encore les conflits d'intérêts dans l'attribution des marchés publics de santé. Ces pratiques, bien que moins directement perceptibles par les usagers, ont un impact considérable sur la qualité et l'efficience du système de santé.

Autre aspect innovant de l'étude, l'analyse de la corruption sous l'angle du genre. Dans le domaine de la santé, les discriminations fondées sur le genre peuvent en effet s'accompagner de formes spécifiques de corruption, qu'il convient d'identifier et d'analyser pour y apporter des réponses adaptées. L'étude s'intéressera également aux causes profondes qui favorisent ces pratiques corruptives. Parmi les facteurs potentiels, on peut citer la complexité du cadre réglementaire, la multiplicité des intervenants sans garantie de cohérence, un système de reddition des comptes défaillant, ou encore une offre de services de santé limitée face à une demande croissante.

Mohamed Bachir Rachdi insiste sur l'importance d'une approche globale : «On essaie d'aller plus en profondeur en tenant compte des spécificités sectorielles». Cette volonté de comprendre les mécanismes spécifiques de la corruption dans le secteur de la santé est essentielle pour élaborer des stratégies de lutte efficaces et ciblées. L'étude ne se contentera pas de dresser un constat. Elle vise également à mesurer la fréquence et le degré d'intensité des risques liés aux actes de corruption. Cette approche quantitative permettra de prioriser les actions à mener et d'allouer les ressources de manière optimale dans la lutte contre ce fléau. En s'attaquant à la corruption dans le secteur de la santé sous tous ses aspects, l'INPPLC espère poser les bases d'une transformation en profondeur du système. L'enjeu est de taille : il s'agit non seulement d'améliorer l'efficacité et la qualité des soins, mais aussi de restaurer la confiance des citoyens envers leurs institutions de santé.

Une méthodologie rigoureuse pour des résultats probants

L'ampleur et la complexité du phénomène de la corruption dans le secteur de la santé au Maroc exigent une approche méthodologique robuste et multidimensionnelle. L'étude nationale lancée par l'INPPLC se distingue par sa rigueur scientifique et son ambition de couvrir l'ensemble des aspects du système de santé. Mohamed Bachir Rachdi, président de l'INPPLC, insiste sur l'importance de cette approche exhaustive : «Le but est de faire une cartographie des risques et voir comment on pourrait endiguer le phénomène de la corruption dans un domaine qui est sensible et qui intéresse au premier lieu les citoyens».

L'étude s'articule autour de cinq phases principales, chacune conçue pour apporter des éclairages spécifiques sur la problématique de la corruption dans le secteur de la santé :

1. Phase de cadrage : cette étape initiale vise à définir précisément les objectifs de l'étude et à valider la méthodologie proposée. Elle inclut des échanges approfondis avec les équipes de l'INPPLC pour s'assurer que tous les aspects pertinents seront couverts.

2. Phase de diagnostic : elle comprend une analyse documentaire approfondie et un benchmark international. Cette phase permettra de dresser un état des lieux complet du secteur de la santé au Maroc et de le comparer aux meilleures pratiques internationales en matière de lutte contre la corruption.

3. Phase de collecte et d'analyse des données : c'est le cœur de l'étude, avec la réalisation d'enquêtes de terrain auprès de différents acteurs du système de santé. Un échantillon représentatif de 2.500 usagers, 50 entreprises et 100 professionnels de santé sera interrogé. Cette phase inclut également l'organisation d'au moins 10 focus groups pour approfondir certaines thématiques.

4. Phase d'élaboration de la cartographie des risques : sur la base des données recueillies, une cartographie détaillée des risques de corruption dans le secteur de la santé sera élaborée. Cette cartographie prendra en compte les différents maillons de la chaîne du système national de santé et analysera les risques liés au cadre juridique, institutionnel et managérial, ainsi que ceux liés aux pratiques des agents et aux comportements des usagers.

5. Phase de formulation des orientations et recommandations : l'étude ne se contentera pas de dresser un constat. Elle débouchera sur des recommandations concrètes et un plan d'action opérationnel pour lutter efficacement contre la corruption dans le secteur de la santé.

Lutte anticorruption : vers une approche intégrée et multisectorielle

Le chemin vers un système de santé exempt de corruption s'annonce long et semé d'embûches. Mais avec une méthodologie rigoureuse, un engagement politique fort et la mobilisation de l'ensemble des acteurs concernés, le Maroc se donne les moyens de relever ce défi crucial pour le bien-être de sa population. Cette approche pourrait également s'étendre à d'autres secteurs sensibles, comme l'indique Mohamed Bachir Rachdi : «On essaye de couvrir le domaine du BTP et de la pêche maritime. Ce sont des appels d'offres qu'on va relancer très prochainement».
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