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Ricardo Diez-Hochleitner : L’approfondissement des relations Maroc-Espagne est une nécessité

Chaque jour qui passe renforce l’idée que le Maroc et l’Espagne sont des économies complémentaires et interdépendantes. C’est ce qu’assure l’ambassadeur de l’Espagne au Maroc, Ricardo Diez-Hochleitner, dans cet entretien accordé au «Matin». À la tête de la mission diplomatique ibérique à Rabat depuis 2015, le diplomate, qui quittera ses fonctions dans les prochains jours, affirme que «l’approfondissement de la relation bilatérale entre l’Espagne et le Maroc n’est pas seulement une priorité mais une nécessité».

Le Matin : Vous avez passé huit années à la tête de la représentation diplomatique espagnole au Maroc. Qu’est-ce qui vous a le plus marqué durant ces années ? Avec quel sentiment vous quittez le Maroc ?

Ricardo Diez-Hochleitner :
Je pars évidemment très honoré d’avoir pu servir l’Espagne au Maroc, mais surtout très satisfait de voir l’approfondissement enregistré par nos relations bilatérales, convaincu comme je le suis de leur caractère absolument fondamental pour nos deux pays et pour le bien-être de nos citoyens. Il suffit de parcourir tout ce qui a été fait, de voir le nombre de projets et d’initiatives mis en marche, d’accords adoptés et l’augmentation de nos échanges dans presque tous les secteurs pendant ces années.

Dans ce parcours, je veux souligner le nouvel esprit de profonde amitié et de coopération qui s’est installé à partir de la visite – à l’invitation de S.M. le Roi Mohammed VI – du Président du gouvernement, M. Pedro Sánchez, le 7 avril 2022, entre nos deux Royaumes, qui est extraordinaire. On a accordé au plus haut niveau une nouvelle feuille de route hispano-marocaine avec un ensemble d’engagements de grande importance qui lient nos deux pays et gouvernements. Quant aux aspects qui m’ont plus marqué pendant ces huit ans et demi au Maroc, vous comprendrez bien qu’il y en a évidemment beaucoup.

Sur le plan personnel tout au long de ma mission au Maroc j’ai été marqué par tant de personnes extraordinaires que j’ai connues, auxquelles je dois ma gratitude pour leur soutien et leur amitié, toutes pleines de valeurs d’hospitalité et de générosité du peuple marocain. Sur le plan professionnel, ce qui m’a le plus marqué, c’est d’être témoin de la grande transformation et de l’ambition de modernisation que vit le Maroc depuis ces deux dernières décennies avec des avancées vraiment dignes de louanges et de grands projets structurants en cours dans de grandes filières, non seulement économiques, mais aussi à forte composante sociale.

Ma femme et moi nous nous sommes sentis extrêmement bien accueillis dès notre arrivée dans ce beau pays, dont nous avons pu mieux connaître les merveilles naturelles, artistiques et culturelles. C’est évidemment avec un sentiment de tristesse que nous quittons le Maroc, une tristesse néanmoins atténuée par ce bagage d’amitiés précieuses et de moments inoubliables que nous emportons avec nous !

Les relations hispano-marocaines ont été hissées à un niveau jamais égalé depuis la visite au Maroc du Président Sanchez. Êtes-vous optimiste pour l’avenir des relations entre Rabat et Madrid ? Pensez-vous que cet élan positif va se poursuivre ?

Comment ne pas être optimiste sur le futur en voyant le bilan de tout ce qui a été achevé dans les dernières années, en voyant l’entente permanente entre nos deux Souverains, S.M. le Roi Mohammed VI et S.M. le Roi Felipe VI, et nos deux gouvernements fermement engagés et le caractère prioritaire de notre relation bilatérale. Je vous le dis avec l’expérience et la perspective que me donne la fait d’avoir pu accompagner nos relations depuis plus de huit ans avec deux traités et une trentaine de mémorandums signés et des échéances extraordinaires, comme la Visite officielle de Leurs Majestés le Roi et la Reine d’Espagne en février 2019, les cinq visites du Président du gouvernement, y compris celle de la dernière Réunion de haut niveau qui a rassemblé 25 ministres des deux pays, sans oublier plus de 65 visites ministérielles.

L’approfondissement de la relation bilatérale entre l’Espagne et le Maroc n’est pas seulement une priorité mais une nécessité ! Ce sont nos citoyens respectifs qui bénéficient directement de notre coopération étroite et entre égaux, basée sur la confiance réciproque et le respect mutuel. Pensons aux bénéfices directs de notre coopération exemplaire en matière de sécurité, de lutte contre le terrorisme, contre le crime organisé, mais aussi contre les mafias de l’immigration irrégulière, une responsabilité partagée qui mérite le soutien de l’Union européenne.

Pensons aussi à la croissance et à la création d’emplois qui sont le résultat d’une relation économique particulièrement dynamique marquée par la complémentarité, l’équilibre et l’intégration de chaînes de valeur, et qui font de l’Espagne le premier partenaire commercial du Maroc depuis 10 ans. Pensons finalement à la demande croissante de coopération éducative et culturelle, qui démontre la richesse et la force de nos liens qui puisent leur force dans des siècles d’histoire partagée. Ce n’est pas seulement que nous partagions d’immense trésors culturels, des patrimoines artistiques et même des racines linguistiques qui unissent nos âmes et nos esprits, mais c’est aussi que nous avons une même passion, que ce soit pour la danse et la musique, pour la gastronomie ou pour la joie de vivre.

Voici pourquoi tous les ans plus de 2 millions d’Espagnols visitent le Royaume et que près d’un million de Marocains ont choisi l’Espagne pour leurs vacances. Voilà pourquoi augmente sans cesse au Maroc les demandes d’inscription pour apprendre la langue espagnole dans nos centres de l’Institut Cervantès et dans le réseau des Écoles espagnoles au Maroc. Tout cela, sans oublier que nous sommes passés de 75.000 marocains résidant en Espagne en 1995 à plus d’un million en ce moment, que nous remercions pour leur contribution au développement économique et social de notre pays.

Aujourd’hui on ne peut plus évoquer les relations entre les deux pays sans parler de l’organisation conjointe de la Coupe du monde de football 2030. Comment cette organisation conjointe pourra-t-elle élargir les horizons de la coopération maroco-espagnole ?

Cette candidature conjointe est la meilleure preuve que si nous travaillons ensemble rien n’est impossible et que l’on a tout à gagner. Je suis donc extrêmement fier et heureux de la désignation du Maroc, du Portugal et de l’Espagne, par le Conseil de la FIFA, pour organiser la Coupe du monde de football masculin 2030, qui je suis sûr va nous rapprocher autour de ce défi partagé, ainsi que favoriser notre connaissance mutuelle comme pays. Elle nous apportera sans doute de grands moments et rapprochera le monde entier autour des grandes valeurs sportives ! L’horizon de cette Coupe du monde va en même temps se traduire par l’ouverture de nouvelles filières de coopération et va nous inciter à travailler véritablement ensemble et de façon très intense dans la très large coordination multisectorielle de nos Administrations et de nos entreprises qu’exige cette échéance sportive au niveau mondial.

Hormis la Coupe du monde, existe-t-il des projets structurants prévus qui pourraient avoir un impact durable sur l’avenir des relations entre les deux pays ?

Bien sûr. Le Maroc se trouve dans un moment crucial de développement et d’amélioration de ses infrastructures, de ses capacités et de son tissu industriel, favorisés par l’accélération de tous les chantiers dans la perspective de la Coupe du monde 2030. Les projets dans le domaine du transport, comme l’expansion du réseau à grande vitesse au Maroc, pionnier sur le continent africain, les ambitieux projets nationaux dans les domaines des énergies renouvelables ou de l’eau, pour n’en citer que quelques-uns, laissent entrevoir des possibilités de coopération de plus en plus étroite et fructueuse entre nos deux pays. Chaque jour qui passe renforce l’idée que le Maroc et l’Espagne sont des économies complémentaires et interdépendantes, et qui par ce biais se consolident de plus en plus comme de vrais partenaires.

Le Maroc accueille près de la moitié des investissements espagnols en Afrique et plus de 800 entreprises espagnoles.

Quels sont les moyens à même de permettre le développement de cette coopération économique dans l’avenir ?

Je pense qu’au cours des années passées, l’un des domaines dans lesquels nous avons le plus progressé est celui de la meilleure connaissance mutuelle, la confiance et la sécurité juridique pour les opérateurs économiques. Ce sont trois éléments clés pour continuer à progresser sur des bases solides et durables au-delà des conjonctures. Nous sommes ainsi très satisfaits du fait que, non seulement l’Espagne soit le premier partenaire commercial du Royaume du Maroc depuis 2014, mais surtout de constater que le volume des échanges entre nos deux pays a presque doublé pendant les 8 dernières années en passant, selon Eurostat, de près de 11 milliards d’euros en 2015, à plus de 20 milliards en 2023. Le Maroc est devenu, après les États-Unis et le Royaume-Uni, notre troisième partenaire commercial en dehors de l’UE et le neuvième tous pays confondus. Mais nous devons faire plus et mieux, surtout en matière d’investissement où nous sommes le troisième pays en stock et de participation de grandes entreprises espagnoles dans les projets stratégiques du Royaume. Dans ce sens, grâce à l’implication de nos deux grandes organisations patronales et du CEMAES (Comité économique Maroc-Espagne), en 2023 seulement, nous avons célébré cinq grands séminaires entrepreneuriaux de caractère bilatéral entre l’Espagne et le Maroc, un vrai record, preuve de l’intérêt réciproque pour aller plus loin.

Dans ses relations avec le Maroc, quelle place occupe la coopération culturelle et linguistiques dans les priorités de la diplomatie Espagne ? Comment la promouvoir, compte tenu de la forte demande côté marocain ?

Il y a quelques mois, je disais dans les «Cahiers du Matin» qu’il existe tout un ensemble de sentiments qui unissent nos esprits en tant qu’Espagnols et que Marocains. Ces sentiments ne peuvent être compris sans l’attraction réciproque pour nos équipes de football, nos musiques ou nos gastronomies. L’Espagne est pleinement consciente de l’importance de la coopération éducative, culturelle et linguistique avec le Maroc et nous constatons que les jeunes Marocaines et Marocains sont attirés par la qualité de l’éducation de nos Écoles et Universités et reconnaissent la valeur ajoutée que leur procure la connaissance de la langue espagnole et de la culture en espagnol. Cela s‘est traduit dans une forte augmentation des demandes d’inscription dans nos écoles, nos écoles d’affaires et nos universités, à laquelle nous essayons de répondre par les Foires annuelles d’Universités espagnoles qui se déroulent depuis plus de huit ans dans les principales villes du Maroc.

La demande d’inscription dans les six centres de l’Institut Cervantès ouverts dans le Royaume enregistre également des augmentations vraiment très fortes de personnes avides d’apprendre l’espagnol. Mais notre coopération culturelle va au-delà et est engagée pour projeter les valeurs partagées par nos deux Royaumes de tolérance, de respect mutuel et de coexistence à travers la Fondation des Trois Cultures de la Méditerranée placée sous le Haut Patronage de nos deux Souverains et à laquelle nous rendons hommage en cette année où elle fêtera le 25e anniversaire de sa création.
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