Dix jours après avoir gelé leurs activités, les avocats ont finalement décidé de suspendre leur grève. L'annonce a été faite via un communiqué de l'Association des barreaux des avocats du Maroc (ABAM). Une décision prise suite à des négociations «approfondies et prometteuses» avec le ministère de la Justice, qui ont permis «d'aplanir plusieurs différends liés aux revendications des avocats», indique un communiqué de l'Association.
Sans plus de détails sur les tenants et aboutissants de cette réconciliation, la page d'une grève qui a paralysé les tribunaux semble avoir été tournée avec tact. Pour mieux comprendre les enjeux de cette mobilisation et les perspectives du dialogue renoué entre les robes noires et le ministère de la Justice, Rachid Hallaouy a invité Maître Omar Bendjelloun, docteur en droit international et avocat aux barreaux de Rabat et Marseille, dans le cadre de l'émission «L'Info en Face». Après avoir précisé qu'il se prononçait en son propre nom, Maître Bendjelloun a livré une analyse approfondie sur l’après-grève des avocats et les défis des réformes judiciaires au Maroc.
Sans plus de détails sur les tenants et aboutissants de cette réconciliation, la page d'une grève qui a paralysé les tribunaux semble avoir été tournée avec tact. Pour mieux comprendre les enjeux de cette mobilisation et les perspectives du dialogue renoué entre les robes noires et le ministère de la Justice, Rachid Hallaouy a invité Maître Omar Bendjelloun, docteur en droit international et avocat aux barreaux de Rabat et Marseille, dans le cadre de l'émission «L'Info en Face». Après avoir précisé qu'il se prononçait en son propre nom, Maître Bendjelloun a livré une analyse approfondie sur l’après-grève des avocats et les défis des réformes judiciaires au Maroc.
Interrogé sur la levée du boycott observé du 1er au 11 novembre, Maître Bendjelloun a tenu à préciser d’emblée que la récente grève des avocats, bien que décriée pour son impact sur les tribunaux et le cours normal des affaires en justice, visait à défendre des principes fondamentaux. Pour lui, il ne s'agissait pas de boycott ni de grève, «mais une cessation d’activité, un moyen de défendre les principes fondamentaux de la justice et de l’état de droit, bien au-delà des revendications corporatistes». Et de rappeler que toute réforme passe par une réforme législative, mais se doit de respecter une démarche participative. Pour la réforme judiciaire, «cette démarche participative a été quelque part enfreinte et contrariée par ce gouvernement», estime l'invité. Pour lui, cette mobilisation était une réponse à une série de réformes jugées précipitées, voire inéquitables, notamment concernant l’accès à un procès équitable et à une justice accessible à tous.
Des commissions thématiques pour une réforme concertée
Le retour au dialogue, matérialisé par la mise en place de commissions mixtes entre le ministère de la Justice et l’ABAM, est perçu comme une avancée. Ces commissions abordent des thématiques majeures, notamment les révisions des Codes de procédure civile et pénale, ainsi que la réforme de la profession d’avocat. «On accueille, à bras ouverts, le fait que le gouvernement restaure le dialogue tel qu'il est prévu par la Constitution, tel qu'il est prévu par la déontologie, tel qu'il est prévu par le travail institutionnel et tel qu'il est défendu par les avocats depuis la création de cette noble profession dans le pays, vers 1916», a souligné Maître Bendjelloun, fervent défenseur de la profession. Il tient toutefois à expliquer que les revendication sont en lien avec le procès équitable et les droits des citoyens.
«Ce n'est absolument pas une question de défense de la défense ou de défense de la position des avocats à l'intérieur du système judiciaire. Les avocats sont protégés par des conventions internationales et une Constitution qui a été ratifiée et adoptée par le Maroc. Donc à partir de là, on ne s'inquiète pas. En revanche, on s'inquiète pour l'État de droit et la démocratie par rapport à ce que représentent ces Codes de procédure qui régulent le procès équitable et la justice». Il a dans ce sens expliqué qu'au niveau du Code de procédure civile, il y a quelques points qui «paraissent dangereux». Ainsi, parmi les revendications phares figure la suppression des seuils financiers (30.000 dirhams pour l’appel et 80.000 dirhams pour la cassation), qui, selon Maître Bendjelloun, instaurent une «justice des riches». «Ces montants, anodins pour certains, représentent des années de revenus dans les régions les plus défavorisées. Cela remet en cause le droit constitutionnel d’accès à la justice», déplore-t-il.
Une justice administrative menacée ?
Un autre point sensible évoqué est l’exécution des jugements administratifs. Maître Bendjelloun a alerté sur une disposition du projet de réforme qui empêcherait l’exécution des décisions judiciaires contre l’État ou les collectivités territoriales. «Une telle mesure signerait la fin de 30 ans de jurisprudence progressiste en matière de justice administrative», a-t-il déclaré. «Nous avons une justice administrative qui a quand même produit depuis une trentaine d'années une belle jurisprudence sur les libertés publiques, sur les marchés publics, sur les questions de l'égalité par rapport au décision des collectivités territoriales sur les questions justement du droit de la fonction publique et tout le reste. tout cela est remis en cause aujourd'hui avec une simple disposition dans le cadre du projet de Code de procédure civile qui décide de ne plus permettre à un jugement ayant l'autorité de la chose jugée d'être exécuté contre l'État et contre la collectivité territoriale, ce qui veut dire que c'est un assassinat méthodique de la justice administrative», s'indigne l'avocat qui va jusqu'à qualifier cette éventualité de «recul constitutionnel majeur».
Fiscalité et couverture médicale : trouver un équilibre
Le débat a également porté sur des sujets plus corporatistes, notamment la mise en conformité fiscale des avocats et leur intégration dans le système de couverture médicale. À ce sujet, Maître Bendjelloun a insisté sur l’importance de préserver l’autonomie des avocats. «La profession dispose déjà d’une mutuelle classée AAA par les autorités compétentes. La question est de savoir pourquoi cet acquis ne serait pas reconnu comme une alternative légitime», s'interroge-t-il. En matière fiscale, il a dénoncé une stigmatisation injustifiée, rappelant que la majorité des avocats respectent leurs obligations fiscales, bien que des ajustements soient nécessaires pour intégrer les nouvelles générations d’avocats stagiaires et collaborateurs.
Réformer dans un contexte d’urgence
L’engorgement des tribunaux est également l'un des sujets sur lesquels les avocats et le ministère devront arriver à un accord. Maître Bendjelloun a appelé à un renforcement massif des effectifs judiciaires, qui ne représentent que 4.500 magistrats pour 38 millions d’habitants. «Vous ne pouvez pas attendre d’un magistrat qui traite 1.500 dossiers par an de rendre des décisions de qualité», a-t-il noté. Il a également plaidé pour une digitalisation maîtrisée, soulignant que celle-ci devrait respecter le secret professionnel et l’immunité des avocats, essentiels pour un procès équitable.
Si le fait que le dialogue soit renoué est perçu comme une avancée, Maître Bendjelloun reste prudent quant à son issue. «Cette suspension de la grève est temporaire. Elle dépendra des compromis trouvés sur les revendications fondamentales», alerte l'invité. Tout en saluant un début d'approche participative retrouvée, l'avocat appelle à une vigilance accrue en soulignant que les réformes judiciaires ne doivent pas affaiblir les fondations de l’État de droit, mais les renforcer. «C’est en respectant ces principes que nous pourrons construire une justice équitable et accessible pour tous», a-t-il dit. Un message clair et déterminé, qui résonne au-delà des tribunaux pour interpeller l’ensemble des acteurs engagés dans l’avenir de la justice au Maroc.