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Entre avancées et défis : le CNDH dresse le bilan de la situation des droits de l’Homme au Maroc

Dans un rapport exhaustif présenté hier à Rabat, le Conseil national des droits de l’Homme (CNDH) dresse un panorama contrasté de la situation des droits humains au Maroc en 2023. Sous la houlette de sa présidente, Amina Bouayach, l’institution nationale met en lumière des progrès notables, notamment dans le traitement des dossiers historiques, mais pointe également du doigt des zones d’ombre persistantes. Entre l’aboutissement des analyses ADN des victimes des années de plomb et la persistance de la peine capitale, le rapport 2023 du CNDH offre une radiographie sans concession des avancées et des défis qui attendent le Royaume dans sa quête d’un État de droit renforcé.

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Les locaux du siège du Conseil national des droits de l’Homme à Rabat étaient inhabituellement plus animés ce mardi 2 juillet 2024. Journalistes et représentants de la société civile s’y étaient donné rendez-vous pour assister à un moment clé dans l’évaluation de l’état des droits humains au Maroc : la présentation du rapport annuel 2023 du CNDH. À la tribune, Amina Bouayach, présidente de l’institution, a levé le voile sur une année riche en développements, oscillant entre avancées significatives et défis persistants.

Un pas décisif vers la réconciliation

La voix empreinte d’émotion, Amina Bouayach a d’emblée annoncé une nouvelle attendue depuis des décennies par de nombreuses familles marocaines : «Les opérations d’identification génétique des victimes des violations des droits de l’Homme dans les fosses communes sont achevées. Les résultats seront révélés en septembre prochain». Cette annonce marque un tournant dans le processus de réconciliation entamé il y a près de 20 ans avec l’Instance équité et réconciliation (IER). C’est aussi une réponse indirecte aux victimes des années de plomb, organisés depuis 1999 dans le cadre du Forum marocain Vérité et Justice (fondé par Driss Benzakri, nommé plus tard président de l’IER, et d’autres qui ont également siégé à la tête de la même Instance). Réunis le weekend dernier en assemblé générale, les membres du Forum ont interpellé les pouvoirs publics et le CNDH pour accélérer les procédures pour l’application des recommandations de l’IER, notamment sur le volet relatif à la «vérité» et d’autres recommandations.

Justement, ce travail de mémoire ne s’arrête pas là, a indiqué la présidente du CNDH. Elle a également évoqué l’aménagement en cours du site de Tazmamart, la tristement célèbre prison secrète des années de plomb. «Ce lieu rejoindra bientôt d’autres cimetières collectifs que le Conseil a réhabilités. Ils seront ouverts au public en tant que lieux de mémoire», a-t-elle précisé. Ce qui est, rappelons-le, une des revendications exprimées le weekend dernier par le Forum. Une démarche qui s’inscrit dans la volonté du Maroc de faire face à son passé pour mieux construire son avenir.

Des progrès notables, mais des zones d’ombre persistantes

Si le traitement des dossiers du passé marque des avancées significatives, le rapport du CNDH met également en lumière des domaines où les progrès restent à consolider. Amina Bouayach a ainsi souligné la «relation complexe entre les opportunités offertes par certains chantiers de réforme pour la réussite des efforts de construction d’un système national de protection des droits économiques et sociaux, et les défis posés par la transformation de certaines crises et risques en contraintes structurelles pressantes».

Le choix même du titre du rapport annuel, «Poser les fondements d’un système national de protection des droits économiques et sociaux», témoigne de l’importance accordée à ces enjeux. La présidente du CNDH a expliqué que ce titre reflétait «un processus de synthèse de l’ensemble des projets, initiatives et programmes observés par le Conseil dans le cadre de son suivi des politiques publiques sous l’angle de l’approche basée sur les droits de l’Homme, ainsi que les problématiques, obstacles et dysfonctionnements constatés».

La peine de mort : un frein aux ambitions constitutionnelles

Parmi les points noirs relevés par le rapport figure la persistance de la peine capitale dans l’arsenal juridique marocain. Amina Bouayach a révélé des chiffres alarmants : «83 condamnations à mort ont été prononcées par différents tribunaux du Royaume en 2023, dont 81 définitives et une concernant une femme». La présidente du CNDH n’a pas mâché ses mots, affirmant que «la poursuite des condamnations à mort entrave la disposition constitutionnelle sur le droit à la vie et l’interdiction de porter atteinte à l’intégrité physique et morale». Cette situation soulève des questions cruciales quant à l’adéquation entre les engagements internationaux du Maroc, ses ambitions constitutionnelles et la réalité de sa pratique judiciaire. Le CNDH appelle ainsi implicitement à une réflexion profonde sur l’abolition de la peine de mort, un débat qui divise encore la société marocaine.

Les droits des femmes : un combat qui s’intensifie

Le rapport du CNDH met également en lumière une augmentation préoccupante des plaintes déposées par des femmes et des jeunes filles. Sur les 3.318 plaintes reçues par le Conseil en 2023, quelque 280 émanaient de femmes et de jeunes filles, principalement pour des cas de violence. Amina Bouayach a souligné que ces plaintes avaient «considérablement augmenté par rapport à l’année précédente». Cette tendance à la hausse des signalements peut être interprétée de deux manières : d’une part, elle peut témoigner d’une prise de conscience accrue des femmes quant à leurs droits et d’une plus grande confiance dans les institutions pour les défendre. D’autre part, elle révèle la persistance, voire l’aggravation des violences faites aux femmes dans la société. Le CNDH appelle ainsi à renforcer les mécanismes de protection des femmes et à accélérer la mise en œuvre effective des lois visant à lutter contre les violences basées sur le genre. La présidente a insisté sur la nécessité d’une approche globale, impliquant tous les acteurs de la société, pour faire face à ce fléau.

La traite des êtres humains : un fléau sous surveillance

Le rapport du CNDH met également en lumière la problématique préoccupante de la traite des êtres humains au Maroc. Le rapport a révélé des chiffres alarmants : en 2023, 110 affaires liées à la traite ont été portées devant la justice, aboutissant à la condamnation de 77 personnes et à l’acquittement de 16 autres. Le séisme dévastateur de l’Atlas a malheureusement offert un terreau fertile à ce type de criminalité, avec 34 cas suspects identifiés dans le sillage de la catastrophe. Ces tentatives d’exploitation des victimes, en particulier des femmes et des enfants, se sont notamment manifestées à travers les réseaux sociaux. Face à cette menace, la Commission nationale de coordination des mesures de lutte contre la traite des êtres humains et de prévention a mis en place un numéro vert gratuit pour signaler les victimes potentielles. Entre le 14 septembre et le 3 octobre, ce dispositif a reçu pas moins de 1.794 appels, témoignant de l’ampleur du phénomène et de la vigilance accrue de la population. Le CNDH souligne l’importance de renforcer les mécanismes de détection précoce et de protection des victimes potentielles, tout en appelant à une coopération internationale renforcée pour lutter contre ces réseaux criminels transfrontaliers.

Les défis du système carcéral

Le rapport du CNDH consacre une partie importante à la situation dans les prisons marocaines, révélant des chiffres qui interpellent. En 2023, 249 décès ont été enregistrés dans les établissements pénitentiaires, dont 185 dans les hôpitaux, 33 sur le chemin de l’hôpital et 31 dans les prisons elles-mêmes. Face à ces données, Amina Bouayach a précisé que «le Conseil et ses commissions régionales ont mené des enquêtes sur un certain nombre de cas de décès dans les lieux de privation de liberté, dont les causes variaient entre suicide, maladies chroniques et causes naturelles».

Par ailleurs, le phénomène des grèves de la faim reste préoccupant, avec 1.357 cas enregistrés selon les données fournies par la Délégation générale à l’administration pénitentiaire et à la réinsertion au 8 avril 2024. Le CNDH souligne toutefois que «la plupart des cas de grève de la faim sont arrêtés après consultation avec le Conseil dans le cadre des réunions organisées par la délégation des prisons». Ces chiffres mettent en lumière les défis auxquels le système carcéral marocain est confronté, notamment en termes de surpopulation, d’accès aux soins et de respect des droits fondamentaux des détenus. Le CNDH a effectué environ 285 visites dans les établissements pénitentiaires en 2023, donnant lieu à des rapports assortis de recommandations pour défendre les droits des détenus.

Malgré les efforts déployés pour améliorer les conditions d’hébergement, le respect des normes internationales en termes d’espace minimal par détenu reste un défi majeur. Le taux élevé de détenus en détention provisoire, atteignant 37,56% en 2023, exacerbe cette problématique. L’accès aux soins de santé demeure l’une des principales préoccupations relevées par les commissions du CNDH. Bien que de nombreux établissements disposent d’équipes médicales, d’infirmeries et de médicaments, la qualité des soins prodigués reste souvent en deçà des standards requis. Le Conseil soulève également la question épineuse de la détention de personnes déclarées pénalement irresponsables ou souffrant de troubles mentaux, dont le nombre s’élevait à 12.105 en 2023. Ces constats alarmants appellent à une refonte urgente du système pénitentiaire, axée sur le respect de la dignité humaine et la réinsertion effective des détenus.

La société civile : un dynamisme à préserver

Le rapport du CNDH met également en exergue le dynamisme de la société civile. À la fin de l’année 2023, on dénombrait 266.610 ONG réparties dans toutes les régions du Royaume et travaillant sur divers sujets. Cependant, Amina Bouayach a souligné l’existence de «certains défis qui entravent le développement de l’action associative, dont certains sont de nature administrative liés aux pratiques de certains fonctionnaires administratifs». La présidente du CNDH a notamment évoqué «la persistance de certains obstacles qui entravent parfois le processus de création d’associations, de renouvellement de leurs structures ou d’utilisation de salles publiques pour organiser leurs activités conformément à leurs objectifs statutaires».

Face à ces constats, le CNDH recommande «le lancement d’un processus de consultation entre les différents acteurs civils et institutionnels en vue de réviser la loi sur les associations et d’organiser la vie associative, en tenant compte des évolutions du système des droits relatifs à la liberté d’association». Cette recommandation souligne l’importance accordée par le CNDH à une société civile dynamique et libre, considérée comme un pilier essentiel de toute démocratie et un acteur clé dans la protection et la promotion des droits humains.

Liberté d’expression : des progrès et des inquiétudes

Le rapport du CNDH aborde également la question sensible de la liberté d’expression, notamment dans l’espace numérique. Amina Bouayach a révélé que «le Conseil a recensé, à travers ses commissions régionales, cinq affaires concernant des poursuites judiciaires liées à la vie privée contre quatre blogueurs pour avoir publié des nouvelles ou des commentaires sur les réseaux sociaux». Ces cas, bien que peu nombreux, soulèvent des questions sur l’équilibre délicat entre la liberté d’expression, le droit à la vie privée et la responsabilité dans l’usage des réseaux sociaux. Le CNDH appelle à une réflexion approfondie sur ces enjeux, dans un contexte où le numérique prend une place croissante dans le débat public.

Par ailleurs, le rapport fait état de 600 manifestations publiques sur un total de 11.086 rassemblements et manifestations dans l’espace public, portant notamment sur la protestation contre la hausse des prix, le soutien à la Palestine et les revendications des fonctionnaires de l’éducation. Ces chiffres témoignent d’une liberté de manifester globalement respectée, mais le CNDH reste vigilant quant aux modalités d’encadrement de ces rassemblements.

Le rapport annuel 2023 du CNDH dresse donc un tableau nuancé de la situation des droits humains au Maroc. Si des avancées significatives sont à noter, notamment dans le traitement des dossiers du passé et le dynamisme de la société civile, des défis importants persistent. La question de la peine de mort, la situation dans les prisons, les violences faites aux femmes et les enjeux liés à la liberté d’expression appellent à une vigilance continue et à des efforts soutenus. Amina Bouayach a conclu sa présentation en soulignant l’importance d’une approche holistique des droits humains : «Notre vision est celle d’un Maroc où chaque citoyen jouit pleinement de ses droits fondamentaux, économiques et sociaux. C’est un travail de longue haleine qui nécessite l’engagement de tous les acteurs de la société.»
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