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Occupation illégale, expropriation sans indemnité... Le Médiateur révèle les failles du système foncier

Plans d’aménagement obsolètes, expropriations sans indemnisation, complexité administrative… Le dernier Rapport du Médiateur du Royaume tire la sonnette d’alarme sur des dérives structurelles qui compromettent un droit pourtant garanti par la Constitution : le droit de propriété.

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Le Rapport annuel 2024 du Médiateur du Royaume met en lumière une réalité désormais connue, voire banalisée : l'écart entre les principes légaux et leur application concrète en matière de droit de propriété. En effet, malgré son caractère fondamental et constitutionnellement garanti, ce droit fait l’objet de nombreuses atteintes et dysfonctionnements administratifs persistants au Maroc. Ces entraves, signale le Médiateur, sapent la confiance des citoyens, freinent l’investissement et remettent en question les principes de justice dans l’accès aux ressources et de bonne gouvernance économique.

Un droit fondamental sous pression

L’article 35 de la Constitution marocaine est pourtant sans ambiguïté : le droit de propriété est garanti et l’expropriation ne peut se faire que pour cause d’utilité publique et selon les conditions fixées par la loi. Mais le Rapport 2024 du Médiateur montre une réalité bien différente : les atteintes à ce droit se multiplient et prennent des formes diverses – des plus visibles aux plus insidieuses : expropriations sans fondement juridique, occupations illégales de biens immobiliers, retards considérables dans le versement des indemnités dues, entraves à la libre disposition des biens et blocages administratifs silencieux.

Des pratiques qui sapent la confiance dans les institutions, compromettent la sécurité juridique et alourdissent les finances publiques via des contentieux coûteux, souligne le Médiateur.

L'expropriation pour cause d'utilité publique : un parcours semé d'embûches

L’expropriation pour cause d’utilité publique, bien que légale, reste une source majeure de préoccupations. D’ailleurs, les Rapports annuels du Médiateur ont constamment pointé du doigt les problèmes liés à ce processus, notamment la complexité et la lenteur des procédures, mais aussi l’évaluation injuste des indemnités, souvent inférieures à la valeur réelle du marché.

Ces lacunes contraignent fréquemment les citoyens à recourir à la justice pour obtenir une indemnisation équitable. Bien que ces procédures protègent les droits, elles alourdissent la charge de l’État et retardent le versement des indemnisations, en partie à cause de l’insuffisance des crédits budgétaires. Pire encore, l’exécution des jugements favorables aux expropriés rencontre des difficultés, avec des exigences supplémentaires parfois injustifiées (documents additionnels, levée d’hypothèques inexistantes...), affaiblissant ainsi le principe même d’une indemnisation juste et rapide.

Les plans d’aménagement : un cadre juridique dépassé qui hypothèque les biens

Autre dysfonctionnement majeur : des plans d’aménagement urbain périmés depuis plus de 10 ans continuent de produire des effets juridiques. Résultat : des propriétaires sont empêchés de vendre, de construire ou de lotir leurs terrains, sans que cela ne repose sur aucune base légale.

Malgré les recommandations antérieures de l’Institution et les circulaires ministérielles de 2012 et 2016 appelant à la mise à jour des plans, les agences urbaines affichent un faible niveau d’engagement. Le Rapport du Médiateur révèle que plusieurs d’entre elles continuent de délivrer des fiches de renseignements mentionnant des restrictions basées sur des plans caducs, violant ainsi l’article 28 de la loi 12.90, qui impose la levée automatique des restrictions à l’expiration des plans.

Pire encore : même après expiration légale, certains citoyens se voient encore refuser le droit de disposer librement de leurs biens. Cette situation prive les familles de leur patrimoine foncier, mine l’investissement immobilier et freine le développement urbain local.

«Bien qu’elles justifient cela par les efforts en cours pour élaborer de nouveaux plans et le besoin de coordination avec d’autres intervenants, les faits montrent une lenteur extrême dans leur exécution», relève le Médiateur, tout en s’interrogeant sur l’utilité d’une durée de validité si elle n’entraîne pas une libération automatique des biens à son expiration.

Pour y remédier, l’Institution propose des alternatives concrètes, notamment l’initiation immédiate, par les autorités administratives, de procédures d’acquisition des biens concernés, en coordination avec la Direction des domaines de l’État, afin de garantir des indemnisations dans des délais raisonnables, accompagnées du lancement effectif des projets prévus.

«En aucun cas, les propriétaires ne doivent supporter les conséquences du retard dans l’activation des plans», souligne l’Institution, estimant qu’une révision des modes de gestion et d’application de la planification est nécessaire pour préserver un équilibre entre les exigences d’aménagement et les droits de propriété.

Les terres «Soulaliyates» – une réforme qui patine

Les terres collectives, ou «Soulaliyates» représentent un patrimoine foncier, social et culturel d’une importance capitale. Les Lois de réforme de 2019 (62.17, 63.17, 64.17) avaient pourtant marqué un tournant, notamment en introduisant l’égalité des sexes dans l’accès à ces terres et en créant des organes représentatifs. Cependant, plusieurs dysfonctionnements entravent la mise en œuvre effective de cette réforme.

Les réclamations reçues par le Médiateur pointent la lenteur dans la mise à jour des listes des ayants droit, la complexité des procédures d’indemnisation lors de conversions de terres à des usages économiques, ainsi que la difficulté d’application du principe d’égalité entre hommes et femmes, particulièrement dans les zones rurales où les pratiques coutumières patriarcales sont tenaces.

À cet égard, le Médiateur insiste sur l’impératif d’une application rigoureuse des dispositions de la loi. Il souligne, également, la nécessité de consolider la prise de conscience collective concernant les droits des femmes, mais aussi de renforcer la transparence dans la gestion de ce patrimoine immobilier collectif.
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