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Les Parlements marocain et européen tournent la page des tensions

Les relations entre le Parlement marocain et son homologue européen reprennent leur cours normal après une brouille qui aura duré près de deux ans. Le président de la Chambre des représentants, Rachid Talbi Alami, et la présidente du Parlement européen, Roberta Metsola, ont convenu, mardi dernier à Bruxelles, d’une feuille de route pour la relance des relations entre les deux institutions législatives. D’un côté comme de l'autre, la volonté est clairement affichée de tourner la page d’un épisode délicat qui a mis à mal le partenariat stratégique entre Rabat et Bruxelles. Mais si les deux parties entrevoient l’avenir désormais avec optimisme, le Maroc insiste sur «le cadre de respect mutuel» et le «respect des conditions marocaines» pour tout partenariat d’avenir.

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Une nouvelle ère de coopération parlementaire s’est ouverte entre le Maroc et l’Union européenne ce mardi 3 décembre 2024 à Bruxelles. L’étape qui s’ouvre sera marquée d’abord et avant tout par le «respect des conditions marocaines» et un «cadre de respect mutuel». En effet, après plusieurs mois de négociations, le président de la Chambre des représentants, Rachid Talbi Alami, et la présidente du Parlement européen (PE), Roberta Metsola, ont dévoilé une nouvelle feuille de route qui vise à relancer et à renforcer les liens institutionnels entre les Parlements marocains et européen. L’accord matérialise la volonté des deux parties de tourner la page des tensions passées pour établir un dialogue structuré et durable.
Invité officiellement à l’hémicycle européen, M. Talbi Alami a souligné la «volonté certaine, exprimée par Mme Metsola, pour rétablir et relancer les relations» dans le contexte des récentes élections européennes et de la restructuration du PE. Il a également affirmé que les deux parties s’étaient engagées à «surmonter les dysfonctionnements» ayant marqué leurs relations par le passé tout en respectant «les conditions marocaines». Mme Metsola, quant à elle, a salué le Maroc comme un «partenaire clé», rappelant la place que le Royaume occupe dans le voisinage européen à «la faveur de sa stabilité politique, économique et sociale, ses multiples acquis dans de nombreux domaines et sa politique extérieure, sous le leadership de S.M. le Roi Mohammed VI».

Aux origines de la crise, une volonté de saper le partenariat Maroc-UE

Visiblement donc, Rabat et Bruxelles sont déterminés à enterrer la hache de guerre qui avait envenimé leurs rapports pendant près de deux années. C’est pourquoi, pour comprendre la portée de la nouvelle feuille de route dévoilée la semaine dernière, il convient de jeter un coup d’œil dans le rétroviseur pour mettre cette évolution dans son contexte. Depuis quelques années, les crises se sont succédé au point d’avoir donné un coup de frein au dialogue entre les deux institutions, marquant une pause de deux ans dans une coopération pourtant stratégique.

En effet, l’un des moments les plus tendus de cette période délicate reste sans conteste l’adoption, en janvier 2023, d’une résolution du Parlement européen qui dénonce la situation des droits de l’Homme au Maroc. Par 356 voix pour, 32 contre et 42 abstentions, les eurodéputés avaient appelé les autorités marocaines à «respecter la liberté d'expression et la liberté des médias», sur fond des cas de trois journalistes incarcérés pour des accusations liées à des agressions sexuelles (les dits journalistes ont été graciés par S.M. le Roi et libérés le 29 juillets 2024).
Le texte, bien que non contraignant, avait aussi abordé des accusations de corruption liées au scandale dit du «Marocgate» et l’utilisation présumée du logiciel Pegasus pour surveiller des journalistes. Cette résolution avait provoqué une réaction immédiate et énergique de Rabat. Le Parlement marocain avait dénoncé «une ingérence flagrante dans les affaires internes du Royaume» et décidé de suspendre ses relations avec l’hémicycle européen. «Cette résolution constitue une attaque inacceptable contre notre souveraineté et notre système judiciaire indépendant», avait déclaré Rachid Talbi Alami à l’époque. Tous les groupes parlementaires marocains s’étaient alignés derrière cette position.



La détérioration de la relation entre les deux Parlements trouve ses racines également dans les allégations du «Marocgate». Cette affaire, qui a éclaté le 9 décembre 2022 avec l’arrestation de l’eurodéputé Antonio Panzeri à Bruxelles, a suscité une série d’accusations de corruption qui visait le Maroc, accusé d’avoir influencé des parlementaires européens pour défendre ses intérêts. Rabat avait vigoureusement démenti ces allégations et dénoncé une campagne qui vise à nuire à son image et à ses relations stratégiques avec l’Europe, d’autant qu’aucune preuve formelle n’a été établie. La justice belge, après enquête, a d’ailleurs abandonné le volet marocain de l’affaire, soulignant la souveraineté du Royaume dans ce dossier. Ce scandale, largement médiatisé, n’a pourtant pas altéré le rôle du Maroc comme partenaire indispensable de l’Europe sur des questions clés comme la migration, la sécurité et le développement.
Ainsi, Bruxelles a salué le Maroc comme un acteur clé dans la gestion des flux migratoires. En 2024, le Royaume a intercepté plus de 50% des tentatives de traversées illégales vers l’Europe, selon Frontex, ce qui confirme pour Bruxelles le rôle central du Royaume en tant que partenaire fiable et engagé. Par ailleurs, les relations économiques entre le Maroc et l’Europe montrent leur forte interdépendance. Les accords de pêche et d’agriculture soutiennent des échanges solides, tandis que le Maroc, avec ses avancées dans les énergies renouvelables et l’hydrogène vert, s’affirme comme un acteur clé de la transition énergétique. Son rôle est essentiel dans les efforts communs pour un avenir plus durable. Ainsi, malgré ces années de tensions, le Maroc reste un partenaire incontournable pour l’Union européenne et cette nouvelle feuille de route, fruit d’un dialogue franc, montre la volonté des deux parties de dépasser les fractures passées pour construire un partenariat durable et pragmatique, à la hauteur des défis communs.
«Le rapprochement entre le Parlement européen et le Parlement marocain résulte d’une prise de conscience mutuelle des enjeux stratégiques d’une relation apaisée et constructive. Le Maroc et l’Union européenne partagent une interdépendance économique, sécuritaire et culturelle. Les accusations portées contre le Maroc, bien que graves, ont été traitées avec diplomatie et discernement par le Royaume, tout en rejetant avec force ces accusations, et tout en rappelant son attachement aux valeurs du partenariat euro-méditerranéen», analyse Azeddine Hannoun, professeur de droit public à la Faculté des sciences juridiques et politiques de l'Université Ibn Tofaïl.

Entretien avec le professeur de droit public à la Faculté des sciences juridiques et politiques de l'Université Ibn Tofaïl

Azeddine Hannoun : «Le Parlement européen semble avoir réalisé que maintenir une crise ouverte avec le Maroc n’est ni viable ni souhaitable»

Les Parlements marocain et européen tournent la page des tensions



Le Matin : Après une longue période de tension, le Parlement européen et son homologue marocain ont décidé de tourner la page et d’entamer une nouvelle étape. Qu’est ce qui explique selon vous ce raccommodement, sachant que les accusations portées contre le Maroc étaient plutôt graves ?

C’est une preuve que le Maroc n’était pas responsable de tout ce dont on l’accuse. Parce que comme vous l’avez affirmé, les accusations sont très graves et ne sauraient être tolérées de cette façon. Le rapprochement entre le Parlement européen et le Parlement marocain résulte d’une prise de conscience mutuelle des enjeux stratégiques d’une relation apaisée et constructive. Le Maroc et l’Union européenne partagent une interdépendance économique, sécuritaire et culturelle. Les accusations portées contre le Maroc, bien que graves, ont été traitées avec diplomatie et discernement par le Royaume, tout en rejetant avec force ces accusations, et tout en rappelant son attachement aux valeurs du partenariat euro-méditerranéen.

Le Parlement européen a, semble-t-il, réalisé que maintenir une crise ouverte avec le Maroc, acteur clé de la stabilité régionale et partenaire stratégique dans des domaines aussi sensibles que la lutte contre le terrorisme, la gestion migratoire et la coopération économique, n’est ni viable ni souhaitable. Ce raccommodement traduit une volonté de dépasser les incompréhensions et de se concentrer sur les priorités communes. En outre, ce changement est également à expliquer par certains redéploiements. C’est le cas du rapprochement entre le Maroc et la France. On se rappelle que les députés français étaient très impliqués dans l’attitude hostile du Parlement européen. Le deuxième redéploiement est constitué par les dernières élections européennes de juin 2024 qui ont donné lieu à une nouvelle configuration dans le Parlement européen.

Peut-on dire que la brouille est derrière nous et que les deux institutions sont condamnées à s’entendre ?

Bien que ce rapprochement constitue un pas significatif, il serait prématuré de considérer que toutes les tensions se soient dissipées. Cependant, les deux institutions semblent avoir pris conscience de la nécessité de maintenir un dialogue constant et respectueux. Le Maroc est un partenaire incontournable pour l’Union européenne dans des domaines stratégiques. Cette interdépendance pousse les deux parties à œuvrer en faveur d’une coopération renforcée et à surmonter les divergences. Le respect mutuel et l’écoute réciproque sont désormais les piliers pour tourner définitivement la page des tensions.

Néanmoins, plusieurs facteurs peuvent influencer la suite des événements et la pérennité de cette réconciliation :

• Le maintien de la dynamique diplomatique positive autour de la cause de la marocanité du Sahara.

• La capacité du front hostile au Maroc mené par l’Algérie et l’Afrique du Sud à pénétrer les institutions de l’UE.

• La capacité des groupes parlementaires marocains à aller dans le sens des Orientations Royales en ce qui concerne le renforcement de la diplomatie parlementaire.

Quels sont les enjeux du partenariat entre les deux Parlements, pour le Maroc et pour l’UE ?

Le partenariat entre les Parlements marocain et européen est crucial pour plusieurs raisons :

1. Pour le Parlement européen :

• Stabilité régionale : le Maroc est un pilier de la stabilité en Méditerranée et en Afrique du Nord, jouant un rôle de premier plan dans la lutte contre le terrorisme et la gestion des flux migratoires.

• Accès à l’Afrique : en tant que porte d’entrée vers l’Afrique, le Maroc offre à l’Union européenne une opportunité unique de renforcer sa présence sur ce continent. Dans ce cadre, l’Initiative Royale pour l’Afrique Atlantique présente des perspectives excellentes. L’UE de manière générale, et le Parlement européen plus particulièrement, voudrait tirer bénéfice de cette dynamique.

• Coopération économique : les accords bilatéraux, notamment agricoles et industriels, renforcent les chaînes de valeur partagées et soutiennent des millions d’emplois des deux côtés.

2. Pour le Maroc :

• Soutien politique : l’Union européenne reste un acteur influent sur la scène internationale et un soutien renforcé sur des dossiers clés, comme le Sahara marocain, qui reste un enjeu vital.

• Partenariat économique et technique : l’UE est le premier partenaire commercial du Maroc et la coopération parlementaire peut débloquer des projets ambitieux dans les domaines de l’énergie verte, de la digitalisation et des infrastructures.

• Cette réconciliation devrait constituer un bon terrain pour l’activation de la nouvelle dynamique de la diplomatie parlementaire, comme évoqué par Sa Majesté le Roi. Les parlementaires marocains devraient ainsi faire leurs preuves à ce niveau, qui présente beaucoup d’adversité potentielle, mais également beaucoup d’opportunités.

La question du Sahara marocain reste un point de discorde. Peut-elle être surmontée ?

La question du Sahara marocain est une priorité absolue pour le Maroc, non négociable et centrale dans sa politique nationale. Le Maroc s’attend à ce que ses partenaires respectent sa souveraineté et les efforts sérieux qu’il a déployés à travers son initiative d’autonomie, reconnue comme crédible et réaliste par de nombreux pays. Néanmoins, le Parlement européen, de par sa nature, demeurera un terrain de confrontation entre le Maroc et ses adversaires. Devant les positionnements pro-marocains des gouvernements européens, illustration d’un respect du bon sens, ces adversaires devraient continuer à essayer de mobiliser certains mouvements politiques minoritaires qui se trouvent dans le Parlement européen afin de freiner cette dynamique positive.

Le Parlement européen, malgré les divergences de vues en son sein, gagnerait à adopter une position pragmatique. Ignorer les progrès réalisés par le Maroc dans ce dossier ou continuer à s’aligner sur des positions contraires à ses intérêts compromettrait la relation bilatérale. Cependant, un dialogue franc et constructif pourrait permettre de clarifier les attentes et réduire les tensions sur ce sujet sensible.

Quelles sont, selon vous, les «conditions marocaines» évoquées par M. Talbi Alami ?

Les conditions évoquées par M. Talbi Alami s’inscrivent dans une vision de partenariat équilibré et respectueux. Elles peuvent être déduites de différentes expressions de la position marocaine. Elles se traduisent par :

1. Le respect mutuel et la souveraineté : le Maroc attend que ses choix politiques, économiques et stratégiques soient respectés, en particulier sur des questions très importantes comme le Sahara marocain.

2. La fin des accusations infondées : toute relation saine exige une abstention de jugements ou d’accusations sans preuves, qui nuisent à la confiance mutuelle.

3. Le dialogue constant et concerté : les deux institutions doivent travailler de manière coordonnée pour éviter les malentendus et renforcer les synergies dans les domaines d’intérêt commun.

4. La reconnaissance du rôle stratégique du Maroc : le Parlement européen doit reconnaître le rôle clé du Maroc en tant que partenaire fiable et responsable.

Ces conditions traduisent la volonté du Maroc de bâtir une relation fondée sur des principes solides, où les divergences sont gérées dans un esprit de coopération et non de confrontation.

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