Submergés par la marée de désinformation qui déferle sur les réseaux sociaux et confrontés à une érosion progressive de la confiance du public, les médias marocains sont sommés de renouer avec leurs fondamentaux éthiques. Un séminaire organisé la semaine dernière par le Conseil national de la presse (CNP) à Casablanca émerge comme un moment charnière, promettant une réflexion collective audacieuse, malgré quelques absences significatives qui en nuancent la portée.
«Un journalisme sans éthique devient une presse commerciale dévalorisée, une presse de chantage et de diffamation», a indiqué à cette occasion Younes Mjahed, président de l’instance provisoire de gestion du secteur de la presse. Ce qui frappe, cependant, c’est l’absence du Syndicat national de la presse marocaine (SNPM), la plus ancienne corporation regroupant de nombreux journalistes, qui avait pourtant réussi à accéder à la représentation du Conseil national de la presse. Ironie du sort, ce syndicat avait été le premier, il y a deux décennies déjà, à lancer le débat sur la déontologie journalistique en créant l’Instance nationale indépendante pour l’éthique de la profession.
Des professions unies par des valeurs communes
Par ailleurs, il faut le dire, dans une société où l’information circule à vitesse exponentielle, les journalistes ne sont pas les seuls à faire face à des dilemmes éthiques. Juges, avocats et médecins partagent des préoccupations similaires : indépendance, responsabilité, protection du public et maintien de la confiance. «Chaque profession possède ses propres règles déontologiques, car elle sert l’intérêt général et non seulement ses membres», a rappelé M. Mjahed. Cette vision transcende les frontières professionnelles et pose les bases d’une réflexion collective sur l’éthique. La rencontre a permis de mettre en lumière les points communs entre ces différentes instances professionnelles, mais également leurs spécificités et les enseignements que les journalistes peuvent en tirer.
La commission temporaire chargée de la gestion du secteur de la presse a été déterminée à tirer parti de ces échanges pour proposer une refonte du cadre juridique et éthique du journalisme marocain en focalisant sur une série de recommandations présentées comme issue du séminaire (lire un résumé des 14 recommandations dans l’encadré ci-contre).
Ce colloque intervient donc à un moment charnière pour la presse marocaine, confrontée à des défis majeurs : transformation numérique, concurrence des réseaux sociaux, crise du modèle économique... Dans ce contexte, l’éthique apparaît non pas comme une contrainte, mais comme un atout différenciant pour reconquérir la confiance du public.
1. Respect absolu des codes d’éthique : engagement total envers le respect du code d’éthique et de conduite, avec un accent sur la solidarité entre collègues et la mise en place de mécanismes disciplinaires efficaces.
2. Au-delà des lois : reconnaissance que les lois seules ne suffisent pas à garantir l’éthique, nécessitant une culture de conscience professionnelle et des programmes de formation renforcés.
3. Apprentissage mutuel : étude des expériences d’autorégulation d’autres professions similaires (juges, avocats, médecins) et ouverture aux modèles internationaux.
4. Réforme législative : révision du cadre législatif, notamment la loi 90.13 instituant le Conseil national de la presse, pour corriger les dysfonctionnements constatés.
5. Équilibre délicat : garantir l’équilibre entre liberté de la presse et droits des individus et de la société.
6. Accessibilité améliorée : simplification de l’accès à la Commission d’éthique pour permettre aux citoyens et organisations de soumettre leurs plaintes, avec un traitement rapide et efficace.
7. Bilan et formation : réalisation d’une étude approfondie sur le bilan de la Commission d’éthique et élaboration de programmes de formation continue.
8. Stratégie globale : développement d’une approche complète combinant sensibilisation, accompagnement et sanctions disciplinaires, privilégiant les mesures morales aux sanctions punitives.
9. Lutte contre l’usurpation : combat contre l’usurpation du titre de journaliste par des personnes non qualifiées qui nuisent à la réputation de la profession.
10. Régulation de l’accès : organisation de l’accès à la profession de journaliste pour mettre fin aux pratiques laxistes.
11. Formation éthique : intégration de l’éthique journalistique comme matière essentielle dans les écoles de journalisme et introduction de l’éducation aux médias dans les programmes scolaires.
12. Collaboration interprofessionnelle : encouragement de la coopération entre différentes instances professionnelles régulatrices.
13. Transparence des sanctions : révision de la loi sur le Conseil national de la presse pour permettre la publication des décisions disciplinaires, à l’instar d’autres professions.
14. Code éthique commun : élaboration d’une charte éthique commune aux professions réglementées pour promouvoir une culture de responsabilité professionnelle.
Un carrefour d’expériences marqué par des absences
En effet, la capitale économique a abrité, le 26 février dernier, les travaux d’une rencontre cruciale pour la presse marocaine qui traverse une phase assez critique en raison du morcellement des organisations représentatives du secteur qui continue d’ailleurs d’être géré par une instance provisoire. Le thème de cette rencontre a porté sur «les expériences des instances professionnelles dans la gestion des questions de la déontologie et de l’éthique». Des représentants de plusieurs professions réglementées – juges, médecins, avocats et journalistes – se sont ainsi retrouvés autour d’une même table. L’enjeu ? Partager leurs expériences dans la gestion des questions d’éthique professionnelle.«Un journalisme sans éthique devient une presse commerciale dévalorisée, une presse de chantage et de diffamation», a indiqué à cette occasion Younes Mjahed, président de l’instance provisoire de gestion du secteur de la presse. Ce qui frappe, cependant, c’est l’absence du Syndicat national de la presse marocaine (SNPM), la plus ancienne corporation regroupant de nombreux journalistes, qui avait pourtant réussi à accéder à la représentation du Conseil national de la presse. Ironie du sort, ce syndicat avait été le premier, il y a deux décennies déjà, à lancer le débat sur la déontologie journalistique en créant l’Instance nationale indépendante pour l’éthique de la profession.
Un déséquilibre de représentation révélateur
Les chiffres parlent d’eux-mêmes : selon les données 2024 du Conseil national de la presse, on compte à peine 366 directeurs de publications détenteurs de la carte de presse (sachant que dans une même entreprise de presse, il peut y avoir plusieurs directeurs), contre 3.627 journalistes détenteurs de cette même carte. Pourtant, l’Instance provisoire a préféré inviter l’Association nationale de la presse et des éditeurs, représentant les patrons de presse. Selon nos informations, le SNPM, le syndicat le plus représentatif des journalistes, n’a pas été invité à prendre part à cette conférence. Un choix qui interroge sur la véritable nature de la démarche et sa légitimité auprès de l’ensemble de la profession.Des professions unies par des valeurs communes
Par ailleurs, il faut le dire, dans une société où l’information circule à vitesse exponentielle, les journalistes ne sont pas les seuls à faire face à des dilemmes éthiques. Juges, avocats et médecins partagent des préoccupations similaires : indépendance, responsabilité, protection du public et maintien de la confiance. «Chaque profession possède ses propres règles déontologiques, car elle sert l’intérêt général et non seulement ses membres», a rappelé M. Mjahed. Cette vision transcende les frontières professionnelles et pose les bases d’une réflexion collective sur l’éthique. La rencontre a permis de mettre en lumière les points communs entre ces différentes instances professionnelles, mais également leurs spécificités et les enseignements que les journalistes peuvent en tirer.
Un état des lieux chiffré de la déontologie journalistique
Les chiffres présentés lors du séminaire par Hamid Saadni, membre de la commission temporaire, renseignent sur l’état de la déontologie journalistique au Maroc. Entre 2019 et 2024, le Conseil national de la presse a réceptionné un total de 183 plaintes, ciblant 16 journalistes professionnels et 72 entreprises de presse. Cette donnée révèle l’ampleur des défis éthiques auxquels fait face le secteur médiatique marocain. La répartition de ces plaintes est tout aussi révélatrice : sur 54 entreprises de presse enregistrées, 51 sont des médias électroniques et seulement 3 sont des journaux imprimés. Les plaignants sont majoritairement des personnes physiques (151 plaintes), tandis que 32 plaintes émanent d’entités morales telles que des institutions, des administrations publiques, des partis politiques et des associations.Un système d’autorégulation à repenser
Comment les expériences des magistrats, des avocats et des médecins peuvent-elles transformer la pratique journalistique au Maroc ? Quelles sont les limites actuelles du système d’autorégulation de la presse ? L’analyse des interventions révèle des pistes concrètes pour renforcer l’éthique journalistique dans le pays, à travers un système d’autorégulation plus efficace et respecté. De la formation continue à la transparence des sanctions, en passant par l’accessibilité des instances de régulation pour les citoyens, c’est tout un modèle qui a été questionné lors de cette rencontre.La commission temporaire chargée de la gestion du secteur de la presse a été déterminée à tirer parti de ces échanges pour proposer une refonte du cadre juridique et éthique du journalisme marocain en focalisant sur une série de recommandations présentées comme issue du séminaire (lire un résumé des 14 recommandations dans l’encadré ci-contre).
Un pas décisif vers l’autorégulation
Cette rencontre a également été marquée par l’annonce de l’Association nationale des médias et des éditeurs (ANME) de franchir un seuil important en annonçant l’adoption d’un code de conduite commun. Ce référentiel inspiré de la Charte élaborée par le CNP et de la Charte de l’ANME «vise à encadrer les pratiques des directeurs de publication, des journalistes et de l’ensemble des professionnels travaillant au sein des entreprises médiatiques». Une initiative qui traduit la volonté du secteur de se doter d’outils de régulation internes, au-delà des seuls cadres légaux existants.Vers un code éthique commun, mais avec qui ?
L’une des propositions les plus audacieuses issues du colloque est la création d’un code éthique commun aux professions réglementées. Cette initiative a été présentée comme pouvant favoriser l’émergence d’une culture éthique transversale, permettant aux différentes professions de se nourrir mutuellement de leurs expériences et de leurs bonnes pratiques. Une commission de coordination pourrait voir le jour pour superviser cette initiative inédite, marquant une nouvelle étape dans la collaboration entre les instances professionnelles au Maroc. Mais l’absence du SNPM et la sous-représentation des journalistes par rapport aux propriétaires de médias soulèvent une question cruciale : qui définira les standards éthiques de la profession ? Les premiers concernés – les journalistes eux-mêmes – auront-ils voix au chapitre ?Ce colloque intervient donc à un moment charnière pour la presse marocaine, confrontée à des défis majeurs : transformation numérique, concurrence des réseaux sociaux, crise du modèle économique... Dans ce contexte, l’éthique apparaît non pas comme une contrainte, mais comme un atout différenciant pour reconquérir la confiance du public.
Quatorze recommandations pour réformer l’éthique journalistique
Selon le CNP, cette rencontre a abouti à quatorze recommandations précises, qui dessinent une feuille de route ambitieuse pour le secteur :1. Respect absolu des codes d’éthique : engagement total envers le respect du code d’éthique et de conduite, avec un accent sur la solidarité entre collègues et la mise en place de mécanismes disciplinaires efficaces.
2. Au-delà des lois : reconnaissance que les lois seules ne suffisent pas à garantir l’éthique, nécessitant une culture de conscience professionnelle et des programmes de formation renforcés.
3. Apprentissage mutuel : étude des expériences d’autorégulation d’autres professions similaires (juges, avocats, médecins) et ouverture aux modèles internationaux.
4. Réforme législative : révision du cadre législatif, notamment la loi 90.13 instituant le Conseil national de la presse, pour corriger les dysfonctionnements constatés.
5. Équilibre délicat : garantir l’équilibre entre liberté de la presse et droits des individus et de la société.
6. Accessibilité améliorée : simplification de l’accès à la Commission d’éthique pour permettre aux citoyens et organisations de soumettre leurs plaintes, avec un traitement rapide et efficace.
7. Bilan et formation : réalisation d’une étude approfondie sur le bilan de la Commission d’éthique et élaboration de programmes de formation continue.
8. Stratégie globale : développement d’une approche complète combinant sensibilisation, accompagnement et sanctions disciplinaires, privilégiant les mesures morales aux sanctions punitives.
9. Lutte contre l’usurpation : combat contre l’usurpation du titre de journaliste par des personnes non qualifiées qui nuisent à la réputation de la profession.
10. Régulation de l’accès : organisation de l’accès à la profession de journaliste pour mettre fin aux pratiques laxistes.
11. Formation éthique : intégration de l’éthique journalistique comme matière essentielle dans les écoles de journalisme et introduction de l’éducation aux médias dans les programmes scolaires.
12. Collaboration interprofessionnelle : encouragement de la coopération entre différentes instances professionnelles régulatrices.
13. Transparence des sanctions : révision de la loi sur le Conseil national de la presse pour permettre la publication des décisions disciplinaires, à l’instar d’autres professions.
14. Code éthique commun : élaboration d’une charte éthique commune aux professions réglementées pour promouvoir une culture de responsabilité professionnelle.