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Mariages précoces des filles : le rapport accablant du CESE

Le Conseil économique, social et environnemental (CESE) a rendu public, il y a quelques jours, un rapport accablant sur l’impact des mariages d’enfants, notamment des filles, sur le plan socio-économique. Le document souligne les conséquences dévastatrices sur l’éducation, la santé maternelle et les violences subies par ces enfants.

Ahmed Reda Chami, président du CESE.
Ahmed Reda Chami, président du CESE.
La Chambre des représentants a officiellement soumis une requête au Conseil économique, social et environnemental (CESE) pour l’élaboration d’un avis portant sur la problématique du mariage des mineurs et ses répercussions sur la situation socio-économique des jeunes filles. Cette démarche s’inscrit dans le cadre de la dynamique de concertations accompagnant le projet de réforme du Code de la famille. L’avis sollicité a été accueilli favorablement lors de l’assemblée générale du Conseil, tenue le 21 décembre 2023, et a été adopté à l’unanimité, témoignant ainsi de l’importance accordée à cette question cruciale. Quelles sont les conclusions du rapport du CESE ?

Mariage des mineurs : des chiffres alarmants

Le phénomène perdure malgré l’interdiction. Des milliers d’autorisations de mariage de mineurs sont enregistrées au Maroc avec près de 13.000 déposées en 2022 (17.435 en 2021, 10.299 en 2020, 20.738 en 2019), avec un pic enregistré en 2011 avec 39.031 demandes déposées. La grande majorité concerne des filles issues de milieux défavorisés et ruraux. Chose que confirment des données fournies par la présidence du ministère public dont les chiffres sont issus de l’analyse des dossiers de mariage de mineurs à partir des données statistiques enregistrées sur une période de cinq ans, de 2015 à 2019, dans dix-huit tribunaux. Citant d’autres données du Conseil supérieur de l’autorité judiciaire, le rapport du CESE a indiqué qu’entre 2017 et 2021, 46% des demandes de mariage impliquant des enfants ont reçu l’aval des instances judiciaires. Ces chiffres ne tiennent toutefois pas compte des mariages non officiels, dits «mariages coutumiers par la fatiha», qui demeurent non répertoriés dans les registres officiels.

Une instruction limitée qui restreint l'avenir des petites filles

Seules 13% des filles mariées avant 18 ans atteignent le niveau du secondaire qualifiant. Pour 14% d’entre elles, l’obligation du mariage est la cause de l’abandon scolaire. Les données analysées par le Conseil révèlent que les filles mariées avant l’âge de 18 ans présentent majoritairement un niveau d’instruction faible, voire inexistant. En effet, elles sont 44% à ne détenir aucun diplôme, contre seulement 29% pour celles mariées après cet âge, et 33% à posséder uniquement un certificat d’études primaires, comparativement à 26% pour les autres. Toutefois, cette tendance s’inverse pour les filles ayant suivi un enseignement secondaire qualifiant, parmi lesquelles seules 4% sont mariées avant la majorité, contre 11% pour celles mariées après 18 ans.

Une dépendance accrue envers le foyer conjugal

Le document du CESE révèle également que 78% des jeunes couples habitent chez la famille du mari après leur union. Cette cohabitation souligne le fort lien de dépendance économique de ces couples envers leurs familles respectives, ainsi que leur aliénation à cette dernière. En effet, 25% des foyers dépendent financièrement des parents, tandis que 46% ne bénéficient d’aucune autonomie décisionnelle significative.

Des grossesses à risque précoces et rapprochées

Autre fait révélé par le rapport : plus de 74% des femmes mariées avant 18 ans ont déjà eu un enfant, contre 58% de celles mariées après 18 ans. Ce qui est inquiétant, c’est que les adolescentes risquent davantage d’avoir des complications lors des grossesses et accouchent souvent sans suivi médical adéquat. L’enquête de terrain citée dans le rapport, conduite par la présidence du ministère public dans la province d’Azilal auprès de 2.300 jeunes filles mineures ayant obtenu une autorisation de mariage entre 2015 et 2018, révèle un constat alarmant : près de 83% de ces jeunes filles étaient déjà mères au moment de leur mariage. Par ailleurs, selon les données de l’Enquête nationale sur la population et la santé familiale (ENPSF-2018), le taux de fécondité pour les femmes âgées de 15 à 19 ans est significativement plus élevé en milieu rural, atteignant 33%, comparé à celui des zones urbaines où il se limite à 12%.

Des violences physiques et psychologiques fréquentes

Selon l’étude du CESE, les mineures mariées sont plus exposées aux violences, notamment de leur belle-famille avec laquelle elles cohabitent. Près de 22% des sondées par le rapport ont déclaré en avoir été victimes. En effet, indique le rapport, les jeunes filles mineures sont particulièrement vulnérables aux violences familiales et conjugales, incluant les agressions physiques, sexuelles et verbales, avec des répercussions physiques et psychologiques graves telles que la privation de liberté, les blessures, les troubles dépressifs, anxieux et les risques de suicide. Selon les données du ministère de la Santé, les femmes de moins de 25 ans sont encore plus exposées à la violence physique que les femmes plus âgées. Selon une enquête de la présidence du ministère public, plus de 22% des mineures interrogées ont été victimes de violences, principalement de nature psychologique (plus de 60%), suivies des violences physiques (17%) et sexuelles (11%).

La nécessité d’une stratégie globale

Face à ce constat alarmant, le CESE préconise une stratégie nationale pour lutter contre ces mariages précoces aux lourdes conséquences. L’enjeu : offrir un meilleur avenir aux filles et futures femmes du Maroc. Ainsi, le Conseil, à la lumière de cette analyse, réitère sa position exprimée précédemment sur cette question (voir le rapport du CESE : «Que faire face à la persistance du mariage d’enfants au Maroc ?», publié en 2019). Il préconise, dans l’intérêt supérieur de l’enfant et du développement socio-économique du Royaume, d’accélérer le processus visant à éliminer la pratique du mariage d’enfants sous toutes ses formes.
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