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Maroc 2030 : entre boom économique et défi climatique, la course contre la montre

Alors que le Maroc s’apprête à franchir le cap de 2024, quelles perspectives s’ouvrent pour son économie et son développement durable ? Pour répondre à cette question cruciale, nous nous sommes adressés à deux experts de premier plan : Dr Hatim Marouane, économiste marocain et conseiller ministériel au gouvernement du Québec, et Salima Cherti, chercheuse en économie de l’innovation à l’Université de Perpignan Via Domitia. Collaborant étroitement, les deux chercheurs mènent des travaux communs sur l’économie de l’innovation et du développement. Leur recherche vise un double objectif : d’une part, analyser comment les politiques publiques influencent l’innovation et stimulent le développement économique et, d’autre part, explorer les mécanismes par lesquels l’innovation peut devenir un moteur de développement durable et d’inclusion sociale. Cette approche multidimensionnelle leur permet d’appréhender les défis complexes auxquels sont confrontées les économies contemporaines, en particulier dans le contexte marocain. De la gestion du stress hydrique aux promesses des énergies renouvelables, en passant par l’impact potentiel de la Coupe du monde 2030, les deux chercheurs nous livrent dans cet entretien une analyse approfondie des stratégies qui pourraient permettre au Maroc de concilier croissance économique et durabilité environnementale dans les années à venir.

Le Matin : Quelles sont les implications de l’évolution récente de la position de certains pays vis-à-vis du Sahara marocain sur le développement économique et social des provinces du Sud ?

Hatim Marouane et Salima Cherti :
L’évolution récente de la position de certains pays dans le cadre du Sahara marocain constitue un nouvel enjeu et ce à plusieurs égards. C’est une consécration des différents efforts consentis par la Maroc pour développer les provinces du Sud et renforcer ainsi la confiance des investisseurs étrangers. L’évolution de la position française pourrait attirer davantage d’investisseurs étrangers et encourager d’autres pays à faire de même. Il faudra noter aussi que les potentialités de cette partie du Maroc sont énormes et multiples dans différents secteurs tels que le tourisme, les énergies renouvelables et l’industrie minière.

S’agissant d’un territoire pivot de la stratégie de régionalisation, la Maroc y a déjà réalisé et encouragé depuis quelques années les investissements dans les infrastructures avec des liaisons routières, des ports, des hôpitaux et des installations énergétiques, stimulant la croissance économique de cette zone du pays.

Les relations diplomatiques renforcées avec des pays qui soutiennent la position marocaine peuvent aboutir à des partenariats économiques et commerciaux bénéfiques. Le Maroc pourrait bénéficier de l’expertise, des technologies et des financements étrangers pour des projets de développement durable dans la région. Celui-ci étant crucial pour préserver l’environnement fragile de la région. Le soutien pourrait inclure des initiatives pour la gestion des ressources en eau, la protection de la biodiversité et la lutte contre la désertification, mais il va surtout impacter le bien-être des populations locales en améliorant davantage les conditions de vie et en favorisant la création de richesses. Cette dynamique est de nature à hisser les provinces du Sud parmi les pionnières en termes de création de richesse nationale.



Quels sont les prévisions économiques pour le Maroc après 2024 ?

Avant de parler des prévisions économiques pour le Maroc après 2024, il est important de parler de la situation actuelle du pays. Je pense que le Maroc est actuellement bien positionné pour maintenir une croissance économique en 2024 et au-delà. Malgré les défis significatifs et indéniables auxquels le pays est confronté, les prévisions économiques restent optimistes. Selon la Banque mondiale, les prévisions pour le Maroc en 2024 prévoient une croissance de 3,2% du PIB, après une augmentation de 2,9% en 2023.

Cette tendance positive s’explique par plusieurs facteurs tels que le Fonds d’investissement Mohammed VI qui, selon la Banque africaine de développement (BAD, African Development Bank) en 2023, a contribué à attirer plus de 5 milliards de dollars d’investissements étrangers, avec une part significative dédiée aux infrastructures. Par exemple, 1 milliard de dollars du Fonds a été reçu comme financement pour le projet de modernisation du port de Tanger Med, 500 millions de dollars pour le développement de zones industrielles spécialisées et 300 millions de dollars à des projets d’irrigation moderne et de développement rural, augmentant ainsi la productivité agricole du Royaume et soutenant les exportations agricoles.

Ces investissements ont contribué à l’augmentation des Investissements directs étrangers (IDE) de 36,7% en 2023 par rapport à la même période en 2022. Cette croissance a été facilitée par des réformes administratives et fiscales introduites par la nouvelle Charte de l’investissement qui vise à simplifier les procédures et offrir des incitations fiscales, chose qui a créé un environnement propice à l’investissement.

Maintenant, la question qui se pose est de savoir est-ce que le Maroc peut maintenir cette croissance dans les années futures, au-delà de 2024 ?

En ce qui concerne les perspectives économiques pour le Maroc après 2024, nous pouvons dire qu’elles s’annoncent prometteuses. On s’explique : en 2023, plusieurs feuilles de route nationales ont été lancées, visant à renforcer divers secteurs économiques et à promouvoir un développement durable. Parmi elles, le «Plan Maroc Vert» pour l’agriculture, le «Plan d’accélération industrielle» et la «Stratégie énergétique nationale» sont particulièrement notables.

Le Plan Maroc Vert, par exemple, a permis de doubler la production agricole, d’augmenter les exportations de produits agricoles et de créer des milliers d’emplois dans les zones rurales pour la période 2008-2023. Pour le futur, la continuité de ce plan sous le programme «Génération Green 2020-2030» vise à promouvoir l’agriculture durable et à améliorer les revenus des agriculteurs.

Le Plan d’accélération industrielle, quant à lui, a renforcé l’industrie marocaine en augmentant sa contribution au PIB et en créant plus de 500.000 emplois industriels. Après 2024, ce plan a comme objectifs de continuer à diversifier l’économie marocaine, de renforcer la compétitivité industrielle et de favoriser l’innovation, aidant ainsi le Maroc à devenir un hub industriel régional.

La Stratégie énergétique nationale vise à diversifier les sources d’énergie et à promouvoir les énergies renouvelables. D’ici 2030, le Maroc prévoit que 52% de sa capacité électrique provienne de sources renouvelables. Cette stratégie contribue à réduire la dépendance énergétique, à diminuer les émissions de CO2 et à créer des emplois verts.

En plus de ces initiatives stratégiques nationales, les événements sportifs internationaux constituent un levier puissant pour stimuler la croissance économique du Maroc après 2024. Sur le moyen terme, l’événement phare qui devrait avoir des retombées économiques significatives est la Coupe du monde 2030, co-organisée avec l’Espagne et le Portugal. Les préparatifs pour ce tournoi, incluant des investissements dans les infrastructures sportives et de transport, créeront des milliers d’emplois et stimuleront le secteur du tourisme. Selon le département du Tourisme, on prévoit une augmentation de 80% des arrivées touristiques d’ici 2030. D’après les chiffres du ministère du Tourisme, le Maroc a accueilli 14,5 millions de touristes en 2023 et prévoit donc d’atteindre 26 millions de touristes d’ici 2030, avec une augmentation significative pendant et après la Coupe du monde. Cela injectera des milliards de dirhams dans l’économie locale. Aussi, un rapport de Volaris Securities indique que l’organisation de la Coupe du monde 2030 pourrait générer environ 1,2 milliard de dollars pour l’économie marocaine, en comptant les investissements dans les infrastructures et les revenus générés par le tourisme pendant l’événement.

Je pense que ce type d’événements sportifs de grande envergure peut servir de catalyseur économique. Et ce à l’instar des perspectives relevées en France qui organise les Jeux olympiques de 2024. Les JO de Paris devraient générer plus de 10 milliards d’euros pour l’économie française grâce à l’afflux des visiteurs, aux infrastructures améliorées et à la promotion internationale. De même, le Maroc peut s’attendre à des avantages similaires avec la Coupe du monde 2030 et la Coupe d’Afrique des Nations en 2025, positionnant le pays comme une destination touristique et sportive de premier plan.

En conclusion, les initiatives stratégiques nationales et les événements sportifs internationaux sont des leviers puissants pour stimuler la croissance économique du Maroc après 2024, en attirant des investissements, en créant des emplois et en renforçant la position du pays sur la scène internationale. Néanmoins, les défis auxquels le Maroc pourrait être confronté, notamment les challenges liés à la durabilité, représentent un défi réel pour le pays et nécessitent des réformes radicales de gouvernance et de gestion des ressources naturelles.

Quels sont justement ces défis auxquels le Maroc est confronté en termes de durabilité et de changement climatique ?

Le Maroc est confronté à des défis environnementaux significatifs, notamment les vagues de chaleur extrêmes, les pluies irrégulières et les inondations, l’érosion côtière et la perte de biodiversité. Mais le défi principal est le stress hydrique sévère qui impacte lourdement l’agriculture et les ressources en eau, dû à la diminution des précipitations et à l’utilisation intensive des ressources en eau. Selon le Geopolitics Journal, en 2023, les précipitations étaient en baisse de 30% par rapport à la moyenne historique, aggravant la situation du stress hydrique au Maroc. La sécheresse chronique affecte la production agricole, essentielle pour l’économie marocaine, représentant environ 14% du PIB et employant près de 40% de la population active. À titre indicatif, en 2022, les pertes agricoles dues à la sécheresse ont été estimées à 50% de la production céréalière !

Nous trouvons que cette situation est alarmante et nécessite des réformes urgentes et de nouvelles mesures en termes de gestion des ressources, parce que malheureusement cette sécheresse affecte non seulement la production agricole, essentielle pour l’économie marocaine, mais exacerbe également l’exode rural vers les villes. Ce qui crée des tensions urbaines supplémentaires.

Le stress hydrique est malheureusement loin d’être le seul défi environnemental auquel notre pays est confronté. Il y a également le changement climatique qui entraîne des vagues de chaleur de plus en plus fréquentes et intenses. En 2023, le Maroc a enregistré des températures record, avec des pics atteignant 49°C dans certaines régions. Le risque qui accompagne ces conditions climatiques, c’est l’impact qu’ils ont sur la santé publique, augmentant les risques de maladies liées à la chaleur et de mortalité chez les populations vulnérables, comme les personnes âgées et les enfants.

Le problème est que ces périodes de sécheresse ont tendance ces derniers temps à être suivies de pluies torrentielles. En 2021, les inondations à Casablanca ont causé des dommages estimés à 100 millions de dirhams, endommageant non seulement les infrastructures, mais aussi les habitations et les terres agricoles. Les régimes des précipitations deviennent de plus en plus imprévisibles et ces conditions de chaleur extrême ou d’inondation affectent malheureusement la sécurité alimentaire et économique du pays. Dans la même perspective d’inondation, le Maroc, avec ses longues côtes atlantiques et méditerranéennes, est vulnérable aussi à l’élévation du niveau de la mer et à l’érosion côtière. Entre 2000 et 2023, le taux d’érosion côtière a augmenté de 15%, menaçant les habitats côtiers, les infrastructures et les économies locales basées sur le tourisme et la pêche. En ce qui concerne la biodiversité, La forêt de cèdres de l’Atlas par exemple a diminué de 30% au cours des deux dernières décennies, réduisant la résilience écologique du pays face aux changements climatiques.

En conclusion, les défis climatiques et environnementaux auxquels le Maroc est confronté sont variés et complexes. Le stress hydrique, les vagues de chaleur, les pluies irrégulières, l’érosion côtière et la perte de biodiversité sont des problématiques majeures qui nécessitent des actions coordonnées et durables pour assurer la résilience du pays face au changement climatique.

Quelles sont, selon vous, les principales réformes économiques mises en place par le gouvernement pour faire face à ces défis environnementaux et soutenir la croissance durable ?

Pour surmonter ces défis environnementaux, à notre avis, une gestion durable des ressources est cruciale. Dans cette optique, le gouvernement marocain a mis en place plusieurs réformes et initiatives. Actuellement, pour faire face au stress hydrique, le Maroc a lancé des projets de dessalement de l’eau de mer. Ces projets peuvent représenter une réponse prometteuse. Par exemple, le projet de dessalement de Chtouka, d’une capacité de 275.000 m³/jour, vise à fournir de l’eau potable à 1,6 million de personnes et à soutenir l’agriculture locale. Ce projet est financé par la Banque africaine de développement et le gouvernement marocain, et représente un investissement de 4 milliards de dirhams (environ 400 millions de dollars). Un autre projet de dessalement est celui de Laâyoune avec une capacité de 60.000 m³/jour, ce projet fournira de l’eau potable à 150.000 personnes, soutenant ainsi les besoins en eau d’une région aride.

En revanche, dans le contexte actuel, je pense que l’innovation technologique seule n’est pas suffisante pour garantir la sécurité hydrique du Maroc. Afin de garantir l’efficacité du projet de dessalement de l’eau de mer, des investissements à long terme s’imposent. Mais pas que ça, le Maroc doit, à notre point de vue, promouvoir les bonnes pratiques agricoles durables pour atténuer les impacts tout en assurant une croissance durable.

Dans le cadre de ces bonnes pratiques agricoles, le Maroc a lancé le Programme national d’économie d’eau en irrigation (PNEEI) qui a pour objectif de moderniser les systèmes d’irrigation traditionnels pour améliorer l’efficacité de l’utilisation de l’eau dans l’agriculture. Depuis son lancement, il a permis de convertir 550.000 hectares en des systèmes d’irrigation au goutte-à-goutte, augmentant ainsi la productivité tout en réduisant la consommation d’eau.

En ce qui concerne la croissance durable, le gouvernement marocain a mis en place des réformes stratégiques. En 2023, le Maroc a signé des accords d’investissement avec plusieurs pays, notamment avec l’Espagne, qui prévoient des investissements dans les infrastructures et la sécurité énergétique. Il a également établi une stratégie énergétique nationale avec des projets qui visent le switch vers une croissance durable. Par exemple, le complexe solaire Noor à Ouarzazate, qui est l’un des plus grands complexes solaires au monde, a aidé le Maroc à diminuer ses émissions de CO2 de 760.000 tonnes par an. Avec ces projets, les énergies renouvelables représentent 37% de la capacité électrique installée au Maroc, et ce n’est pas fini, car le Maroc prévoit, d’ici 2030, que 52% de sa capacité électrique provienne de ressources renouvelables. Cette transition énergétique est cruciale pour promouvoir une croissance durable.

En ce qui concerne les autres défis environnementaux précédemment cités, tels que les vagues de chaleur, les inondations et l’érosion côtière, le Maroc a lancé le Plan national pour la prévention et la gestion des risques climatiques. Un plan qui a pour objectif de renforcer la résilience du pays face aux aléas climatiques. Il inclut des mesures pour améliorer les infrastructures de protection et sensibiliser les communautés aux risques climatiques.

En résumé, nous pensons que toutes ces réformes et initiatives sont importantes. Nous sommes très optimistes par rapport à la transition énergétique en 2030 vers une énergie plus durable et des green practices. Certes, ces initiatives montrent l’engagement du Maroc à construire un avenir résilient et prospère, mais le pays doit créer des agences locales de supervision pour les bonnes pratiques durables agricoles, suite à l’alarme déclenchée par la situation de stress hydrique dans le pays. Sachant qu’une grande partie de l’irrigation agricole au Maroc utilise encore des méthodes traditionnelles qui entraînent une utilisation inefficace de l’eau. Ce qui est démontré par une étude de la Banque mondiale qui confirme qu’environ 45% des terres irriguées au Maroc utilisent des techniques traditionnelles qui entraînent des pertes d’eau considérables dues à l’évaporation, au ruissellement et à l’infiltration. En effet, on estime que les systèmes d’irrigation inefficaces peuvent perdre jusqu’à 50% de l’eau utilisée. C’est pourquoi nous considérons que des mesures doivent être prises pour faire face à la situation du stress hydrique. Finalement, bien que les défis climatiques soient nombreux et complexes, des mesures stratégiques et des investissements ciblés peuvent permettre au Maroc de surmonter ces obstacles et de bâtir une économie plus résiliente et durable.

Mais comment le Maroc peut-il concilier ses objectifs de croissance économique avec la nécessité de durabilité environnementale ?

L’équilibre entre croissance économique et durabilité environnementale repose sur une approche intégrée et proactive. Le Maroc doit continuer à investir dans les énergies renouvelables, réduisant ainsi ses émissions de gaz à effet de serre et sa dépendance aux énergies fossiles. Le complexe solaire Noor est un exemple de cette stratégie réussie, qui crée des emplois et stimule l’innovation. En parallèle, la gestion efficace des ressources en eau est essentielle. Des technologies de dessalement, couplées à des pratiques agricoles durables, peuvent atténuer les effets de la sécheresse et assurer une utilisation rationnelle des ressources hydriques. Cela soutient la production agricole et contribue à la stabilité sociale et économique du pays.

De plus, un cadre réglementaire robuste et des incitations pour les entreprises adoptant des pratiques durables sont nécessaires. Cela inclut des mesures incitatives pour encourager les pratiques responsables et des sanctions pour les pratiques ne respectant pas les normes environnementales. Une gouvernance solide et une mise en œuvre rigoureuse des politiques environnementales garantiraient que la croissance économique ait lieu en harmonie avec la protection de l’environnement. Sachant qu’en 2023, le Maroc a pensé à l’adoption de plusieurs lois environnementales pour renforcer la protection de la biodiversité et la gestion des déchets. Ainsi, en combinant investissements dans les énergies renouvelables, gestion efficace des ressources en eau et cadre réglementaire solide, le Maroc peut atteindre un équilibre harmonieux entre croissance économique et durabilité environnementale.
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