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Maroc-Ghana : comment le pragmatisme a pris le dessus

Avec une stabilité politique solide et une économie en plein essor, le Ghana s’impose aujourd’hui comme un acteur clé en Afrique de l’Ouest. En l’espace de quelques années, le pays a vu son PIB croître à un rythme soutenu, atteignant 82,65 milliards de dollars en 2023, ce qui le place parmi les dix économies les plus dynamiques du continent. C’est à l’évidence cette volonté d’Accra de consolider son émergence qui explique sa décision pragmatique de rompre tout lien avec la pseudo «Rasd». Le Ghana a fait le choix de l’avenir, du développement et de la coopération et c’est auprès du Royaume qu’il a trouvé le bon allié.

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C’est sans doute la blague diplomatique de l’année. Brahim Ghali, chef de l’autoproclamée «Rasd», a cru bon d’adresser ses félicitations au Président ghanéen fraîchement élu, John Dramani Mahama, le 7 janvier 2025. Sauf qu’en guise de réponse, ce n’est pas un mot de remerciement qu’il a reçu, mais un document officiel du ministère des Affaires étrangères et de l’intégration régionale ghanéen, transmis au Maroc le même jour de l’investiture du nouveau Président qui annonce la suspension finale des relations d’Accra avec le Polisario. Et ce n’est pas tout, dans sa correspondance, le pays a exprimé un soutien explicite aux efforts «sérieux et de bonne foi» du Maroc pour parvenir à une solution politique réaliste.

Une prise de position qui ne laisse aucun doute quant au choix du Ghana : tourner la page d’une alliance sans avenir pour rejoindre une dynamique africaine portée par le pragmatisme et la coopération. Une approche que le Maroc prône depuis plusieurs années déjà. En fait, lorsque S.M. le Roi Mohammed VI avait visité ce pays anglophone d’Afrique de l’Ouest en 2017, peu d’observateurs pariaient à l’époque sur une transformation majeure des relations diplomatiques entre Rabat et Accra. Le contexte était alors complexe : le Maroc venait de revenir au sein de l’Union africaine et le Ghana reconnaissait encore la pseudo «Rasd» depuis 1979. Pourtant, cette visite, qui s’est soldée par la signature de plusieurs accords de coopération économique, agricole, financier et politique a incarné la philosophie de la stratégie marocaine en matière de relations extérieures. Subtile et visionnaire, la diplomatie de Rabat privilégie la construction de partenariats utiles et mutuellement bénéfiques sur le long terme et il faut dire que jusqu’à présent, cette approche porte ses fruits.



Le Ghana, acteur clé en Afrique de l’Ouest

Avec une stabilité politique solide et une économie en plein essor, le Ghana s’impose aujourd’hui comme un acteur clé en Afrique de l’Ouest. En l’espace de quelques années, le pays a vu son PIB croître à un rythme soutenu, atteignant 82,65 milliards de dollars en 2023, ce qui le place parmi les dix économies les plus dynamiques du continent. Ce succès repose notamment sur le cacao, dont le Ghana est le premier exportateur mondial. Mais le pays ne se limite pas à ses terres fertiles. Ses secteurs minier et énergétique, véritables piliers de son développement, connaissent une expansion rapide. L’or, qui représente près de la moitié des recettes d’exportation et une production pétrolière qui dépasse les 200.000 barils par jour, confèrent au Ghana un poids stratégique dans la région. Ajoutons à cela sa position privilégiée au cœur du Golfe de Guinée, un carrefour crucial des échanges commerciaux mondiaux.

Cette ascension économique n’est pas passée inaperçue. Depuis la visite Royale de 2017, les relations entre le Maroc et le Ghana se sont nettement renforcées. En témoignent les exportations marocaines, principalement d’engrais phosphatés produits par l’OCP, qui affichent une croissance moyenne impressionnante de 14% par an sur les deux dernières décennies. En 2021, elles étaient estimées à 133 millions de dollars. Par ailleurs, plusieurs entreprises marocaines, telles que CIMAF (cimenterie) et BMCE Bank, se sont établies solidement dans le pays. Ces investissements renforcent la présence économique marocaine et participent activement à la croissance ghanéenne. En 2023, un accord de non-double imposition entre le Maroc et le Ghana qui vise à faciliter les échanges commerciaux et lutter contre l’évasion fiscale avait par ailleurs illustré la volonté des deux nations de favoriser un environnement propice aux affaires.

C’est à l’évidence cette volonté d’Accra de consolider son essor économique et son positionnement politique qui explique sa décision pragmatique de rompre tout lien avec la pseudo «Rasd». Le Ghana a fait le choix de l’avenir, du développement et de la coopération et c’est auprès du Royaume qu’il a trouvé le bon allié. Sa démarche cadre en effet parfaitement avec la vision ambitieuse et inclusive du Maroc qui a fait du développement et de l’émergence de l’Afrique un axe majeur de sa politique extérieure.

Entretien avec Ali Moutaïb, directeur de l’École de guerre économique au Maroc, formateur, éditeur et expert en intelligence stratégique : Contrairement à ses adversaires, le Maroc démontre qu’il est le partenaire le plus fiable

Le Ghana a décidé il y a quelques jours de suspendre ses relations avec la pseudo-Rasd, une victoire supplémentaire à mettre à l’actif de la diplomatie marocaine sous la conduite éclairée de S.M. le Roi Mohammed VI. Le Polisario continue ainsi de perdre, l’un après l’autre, ses appuis en Afrique. Sauf que ce nouveau revers bat en brèche la propagande séparatiste dans un pays qui est demeuré pendant longtemps, pour des raisons historiques et géopolitiques, imperméable aux évolutions du dossier du Sahara marocain. Pays anglophone, le Ghana rejoint désormais plus d’une trentaine de pays africains qui ont choisi de considérer le monde à travers le prisme du pragmatisme, loin des idéologies surannées et improductives.

Maroc-Ghana : comment le pragmatisme a pris le dessus
Ali Moutaïb.



Le Matin : Le Ghana vient de suspendre ses relations avec le Polisario. Selon beaucoup d’observateurs, il s’agit d’un point de bascule pour l’avenir de la Rasd ? Êtes-vous d’accord avec cette lecture ?

Ali Moutaïb :
Il s’agit en effet d’une victoire diplomatique majeure, car le Ghana reconnaissait la pseudo-Rasd depuis 1979. C’est un pays dont le poids économique est considérable en Afrique de l’Ouest et qui joue un rôle central au sein de la Communauté des États de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao). Pour autant, je ne qualifierais pas cette suspension de «point de bascule», mais plutôt d’une nouvelle étape dans la série de succès diplomatiques engrangés par le Maroc. Elle illustre l’adhésion à la démarche marocaine, que ce soit au plan d’autonomie ou à la vision portée par Sa Majesté. Ce processus a notamment été amorcé par le retour du Maroc au sein de l’Union africaine en 2018, suivi de la tournée Royale dans plusieurs pays du continent. Les fruits de ces efforts sont visibles aujourd’hui et s’ajoutant à plusieurs autres victoires diplomatiques, dont la reconnaissance par les États-Unis de la souveraineté du Maroc sur ses provinces du Sud.

Comment expliquez-vous ce changement de position de la diplomatie ghanéenne ? La visite de S.M. le Roi à ce pays en 2017 y est-elle pour quelque chose ?

Le Maroc récolte aujourd’hui les fruits de plusieurs années de travail et de coopération. L’Afrique a changé et fait preuve de plus de pragmatisme. Cette évolution se traduit notamment par une coopération bilatérale renforcée, sur les plans économique, culturel et cultuel, dont les effets commencent à se faire sentir. La visite de Sa Majesté en 2017, suivie du retour du Maroc au sein de l’Union africaine, a d’ailleurs marqué un tournant, confirmant aux yeux de beaucoup que le Maroc est un partenaire crédible. Par comparaison, la diplomatie algérienne, très influente dans les années 1970 et 1980 – en lien avec le Polisario –, semble aujourd’hui en retrait, dans un monde qui a lui-même beaucoup évolué. Les efforts de coopération marocaine, notamment autour de projets économiques comme le gazoduc, continuent de produire des résultats et devraient encore porter leurs fruits. Ce dialogue inclut également des partenaires extérieurs tels que l’Allemagne, mais aussi d’autres pays, y compris en Amérique latine, ce qui illustre la portée internationale de la stratégie marocaine.

Pays anglophone, le Ghana a toujours fait partie de la zone d’influence de l’Afrique du Sud. Pensez-vous que ce retrait marquerait une brèche dans ce bloc réputé pour son hostilité pour le Maroc ?

Tout d’abord, je pense qu’il n’existe pas seulement des blocs définis par la langue – anglophone ou francophone –, mais également des regroupements par régions. Sincèrement, je ne dirais pas que le Ghana fait partie de la zone d’influence de l’Afrique du Sud, ce sont plutôt les pays d’Afrique australe, comme la Namibie, qui se situent dans l’orbite sud-africaine. Il sera d’ailleurs difficile de les faire évoluer tant que l’Afrique du Sud restera hostile au Maroc, du moins sur la question du Sahara. Quant au Ghana, on peut évoquer d’autres cas similaires en Afrique de l’Ouest anglophone, comme la Sierra Leone ou le Liberia, qui ont aussi révisé leur position vis-à-vis de la pseudo-Rasd. Le Ghana est, en plus, un poids lourd économique dans la région, et cette décision constitue donc un signal positif. Aujourd’hui, il ne reste plus tellement de pays en Afrique de l’Ouest qui reconnaissent encore cette entité. On espère que cette dynamique incitera également le Nigeria, le Mali ou la Mauritanie à reconsidérer leur position. Avec le temps et une coopération diplomatique et stratégique accrue, je suis convaincu que ces États pourraient un jour pencher eux aussi du côté du Maroc.

Pourquoi justement, selon vous, l’Afrique anglophone a toujours adopté des positions anti-marocaines s’agissant de la question du Sahara ?

Je ne pense pas que l’Afrique anglophone constitue un bloc homogène, et j’ai donné plusieurs exemples qui le montrent. Il reste néanmoins un acteur majeur en Afrique de l’Ouest anglophone : le Nigeria. Pour des raisons complexes et historiques, ce pays adopte actuellement une position de neutralité pragmatique, tout en maintenant des coopérations avec le Maroc. Je suis convaincu que, tôt ou tard, il finira par pencher du côté marocain. Je reste toutefois persuadé qu’à terme, il rejoindra la position marocaine.

Quelle approche le Maroc doit-il adopter pour rallier les pays de cette zone à sa cause, quelles cartes doit-il jouer ?

L’approche pragmatique et réaliste de Sa Majesté repose sur la coopération dans plusieurs domaines stratégiques. Cela inclut l’Alliance Atlantique des pays africains, l’Initiative Royale pour le désenclavement du Sahel, ainsi que des projets majeurs comme le gazoduc et la coopération bilatérale et régionale économique. Cependant, cette coopération ne se limite pas à l’économie ; d’autres cartes importantes sont à jouer, notamment dans les domaines culturel et sécuritaire. Je pense qu’il est ainsi essentiel d’avancer de manière pragmatique et progressive. Le Maroc est dans son droit et maîtrise parfaitement son dossier, ce que les autres pays reconnaissent. L’objectif est de progresser sur différents fronts pour susciter une adhésion naturelle, en démontrant que le Maroc est le partenaire le plus fiable sur plusieurs enjeux. C’est précisément ce qui se passe aujourd’hui : le Maroc est perçu comme le meilleur allié stratégique dans la région, contrairement à son principal adversaire diplomatique, l’Algérie, qui soutient activement le Polisario. L’approche de Sa Majesté est de convaincre par les faits : montrer qui est le partenaire le plus fiable et avec qui il est dans l’intérêt des autres pays de collaborer, tout en tenant compte des dossiers clés de la diplomatie marocaine. Cette méthode, fondée sur des résultats concrets, renforce la position du Maroc sur la scène internationale.

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