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Moratoire sur la peine de mort : toujours pas d’unanimité au Maroc

Pour la première fois depuis 1993, date de la dernière exécution, le Maroc s’apprête à voter en faveur du moratoire universel sur la peine de mort lors de l’Assemblée générale des Nations unies, le 15 décembre prochain. L’annonce, faite par le ministre de la Justice, Abdellatif Ouahbi, a été largement applaudie par les défenseurs des droits humains. Cependant, cette décision relance le débat au sein de la société marocaine opposant ceux qui militent pour l’abolition totale de cette peine à ceux qui la considèrent encore indispensable, que ce soit au nom de la charia ou pour punir les crimes les plus graves.

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Le Maroc votera favorablement au moratoire universel sur l’application de la peine de mort. C’est lors de la séance hebdomadaire des questions orales, tenue le lundi 9 décembre à la Chambre des représentants, que le ministre de la Justice a fait cette annonce historique. En effet, bien que le Royaume ait ratifié le Pacte international relatif aux droits civils et politiques en 1979, il n’a pas encore ratifié le Deuxième Protocole facultatif sur l’abolition de la peine de mort. Actuellement, le Maroc compte 88 condamnés à mort, parmi lesquels figure une femme. Ces condamnations sont souvent liées à des affaires de terrorisme, comme c’était le cas en 2021 contre les trois auteurs de l’assassinat de deux jeunes touristes scandinaves aux environs de Marrakech. Toutefois, «depuis 2020, nous avons commué les peines de 161 détenus, les remplaçant par des peines de réclusion à perpétuité. Cette démarche reflète notre engagement progressif vers l’humanisation du système pénal et la défense des droits fondamentaux», a annoncé M. Ouahbi à la même occasion.

Ainsi, après trois décennies d’abstention, le Maroc s’apprête à rompre avec sa position traditionnelle. Une position qui vient témoigner de la dynamique en cours dans le Royaume sur les plans tant constitutionnel et juridique, qu’au niveau de la pratique en la matière, selon M. Ouahbi. Mais que veut dire concrètement ce vote ? Pour le ministre, ce vote devra illustrer l’interaction positive du Maroc avec les recommandations des mécanismes onusiens des droits de l’Homme, notamment celles issues du Comité en charge du Pacte international des droits de l’Homme et du Comité de lutte contre la torture, ainsi que du mécanisme de l’Examen périodique universel (EPU).



Toutefois, «le soutien de cette résolution, bien qu’il marque un pas en avant, ne signifie guère l’abolition automatique de la peine capitale», a-t-il fait observer, rappelant que nombre d’États favorables à ce texte disposent de lois stipulant la peine de mort. Dans une déclaration exclusive au «Matin», Amina Bouayach, présidente du Conseil national des droits de l’Homme (CNDH), a exprimé sa «grande satisfaction» quant à la décision du Maroc de voter en faveur du moratoire universel sur la peine de mort. «C’est une étape cruciale dans un processus entamé depuis plus de deux décennies avec l’Instance équité et réconciliation. Ce vote marque une consécration importante pour la protection du droit à la vie», a-t-elle souligné.

Mme Bouayach a rappelé que ce pas intervient dans un contexte mondial particulièrement complexe en matière de droits humains, notamment au Moyen-Orient et en Afrique. «Nous saluons la position du Maroc, qui confirme son engagement à défendre le droit à la vie, un droit absolu sur lequel reposent tous les autres droits fondamentaux», a-t-elle déclaré. La présidente du CNDH a également insisté sur le rôle de l’institution dans la défense de ce droit essentiel. «Nous appelons le législateur à aligner les dispositions juridiques nationales avec l’article 20 de la Constitution, ainsi qu’avec les conventions et pactes internationaux ratifiés par le Maroc», a-t-elle affirmé, mettant en lumière la nécessité d’une réforme législative cohérente pour garantir la primauté du droit à la vie.

Des étapes encore nécessaires selon l’AMDH

Pour sa part, Abdelilah Benabdeslam, vice-président de l’Association marocaine des droits humains (AMDH), a salué la décision du Maroc de voter en faveur du moratoire universel sur la peine de mort comme une «avancée positive». Il a souligné que «depuis 1993, le Maroc n’a plus exécuté de peine capitale, mais il s’abstenait jusqu’à présent de voter ce moratoire. C’est une victoire importante pour le mouvement des droits humains qui n’a cessé de plaider en faveur de l’abolition de cette pratique.» M. Benabdeslam a néanmoins rappelé qu’il restait des étapes cruciales à franchir pour aller au-delà de ce vote. «Il est impératif de ratifier le Protocole facultatif du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, ainsi que le Statut de Rome de la Cour pénale internationale. Ces engagements sont mentionnés dans le rapport final de l’Instance équité et réconciliation et leur adoption marquerait un tournant décisif», a-t-il affirmé.

Concernant la réaction des citoyens marocains face à cette évolution, le vice-président de l’AMDH a évoqué les défis liés à l’opinion publique. «En France, par exemple, lors de l’abolition sous François Mitterrand, la décision s’est faite malgré un désaccord initial de l’opinion publique. Il est parfois nécessaire de prendre des décisions courageuses qui ne suivent pas toujours les sentiments populaires immédiats, mais qui s’appuient sur des principes universels de droits humains.» En ce qui concerne les arguments de la dissuasion souvent avancés pour justifier la peine capitale, il a ajouté que «les études montrent que les pays ayant aboli la peine de mort enregistrent souvent des taux de criminalité inférieurs à ceux qui maintiennent cette pratique. L’Union européenne en est un exemple frappant, en comparaison avec les États-Unis ».

Les milieux islamistes : entre acceptation et rejet

Longtemps opposé à l’abolition de la peine de mort, le Parti de la justice et du développement (PJD) a toujours défendu cette sanction comme un ultime rempart contre les crimes les plus ignobles. Pourtant, Abdelali Hami Eddine, haut cadre du parti, adopte un ton plus nuancé. «Les tribunaux marocains se montrent très prudents et équilibrés dans l’application de la peine capitale. La décision de voter en faveur du moratoire universel est donc une simple formalisation de ce que le Maroc applique déjà depuis 30 ans», a-t-il affirmé. Mais pour ce responsable politique, cette avancée ne doit pas s’arrêter là. «Il est désormais nécessaire de revoir la liste des crimes passibles de la peine de mort, afin de réduire progressivement son usage, dans la perspective de son abolition totale», a-t-il conclu. Sur le même ton, Mohamed Yatim, ancien ministre du PJD, nous a assuré que «la charia établit le principe du qasas pour punir les crimes graves, mais elle ouvre également la voie au pardon et à des alternatives comme la diya (compensation financière)», a-t-il affirmé, en insistant sur l’importance de comprendre le cadre spirituel et législatif islamique. Pour M. Yatim, l’islam n’est pas figé dans son approche des sanctions. «Des concepts fondamentaux tels que la prévention par le doute et le droit au choix dans les peines montrent que la charia offre des outils pour s’adapter aux réalités sociales et culturelles changeantes», a-t-il expliqué. En ce sens, il estime que la peine de mort, bien que légalement maintenue, peut être suspendue ou remplacée par des sanctions alternatives. «Le Maroc, par son choix de limiter l’application de la peine capitale depuis des décennies, démontre déjà une avancée importante dans la défense du droit à la vie», a-t-il ajouté.

Néanmoins, dans d’autres milieux islamistes, la décision du Maroc de voter en faveur du moratoire universel sur la peine de mort suscite un vif débat. Mohamed Fizazi, cheikh salafiste, a une position claire et sans concession. «Abdellatif Ouahbi peut dire ce qu’il veut, mais il ne représente pas les références religieuses ou spirituelles du peuple marocain», a-t-il déclaré. Pour M. Fizazi, la peine capitale est profondément ancrée dans les préceptes de la charia et de la sunna. «Le peuple marocain est avec les lois divines. Certains crimes sont si graves qu’ils ne méritent que cette sanction ultime», a-t-il affirmé.

La peine de mort, seul châtiment pour les pédophiles !

Certains milieux associatifs expriment également des réserves face à une possible abolition de la peine de mort au Maroc. Najia Adib, présidente de l’association «Touche pas à mes enfants», adopte une position nuancée sur cette question. «Le droit à la vie est fondamental, mais il doit être encadré par des limites et des responsabilités», explique-t-elle. Si elle se dit favorable à l’abolition de la peine capitale pour des affaires liées à la liberté d’expression, de culte ou aux opinions politiques, son avis est très différent lorsqu’il s’agit de crimes contre les enfants. «Quand un enfant est violé, mutilé ou tué, la seule sanction qui peut offrir un semblant de justice à sa famille et à la société, c’est la peine de mort», déclare-t-elle. Najia Adib insiste également sur la gravité de la pédophilie, qu’elle estime incurable. «Ces criminels représentent un danger permanent. Ils doivent être définitivement écartés de notre société pour garantir la sécurité de nos enfants», conclut-elle.
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