Le Matin: Vous avez annoncé à Tétouan le dépôt d’une proposition de loi visant à faire reconnaître par la Belgique la souveraineté du Maroc sur le Sahara. Avec quelques jours de recul, comment percevez-vous la portée de ce geste, tant au Maroc qu’en Belgique ? Était-ce l’effet recherché ?
Vous rompez avec la traditionnelle prudence belge sur le Sahara. Pourquoi maintenant ?
Vous dites avoir été surpris par ce que vous avez découvert au Sahara. Est-ce un malentendu européen plus large ?
Oui, clairement. Moi-même, avant de m’y rendre, je m’attendais à trouver une région tendue, voire dangereuse. On parle de souveraineté contestée, de conflit gelé... Et sur place, j’ai trouvé des familles en vacances, des surfeurs à Dakhla, des infrastructures modernes, des gens engagés dans la vie civique. C’est à des années-lumière du discours souvent anxiogène qu’on entend chez nous. Cette méconnaissance entretient une forme d’inertie diplomatique. Mon initiative vise aussi à cela: à faire connaître cette réalité. Ce qui se passe sur le terrain mérite d’être dit, vu, reconnu. C’est une région stable, bien gouvernée, tournée vers l’avenir. Et tant qu’on n’actualisera pas notre lecture, on ne pourra pas sortir du flou politique qui bloque toute avancée.
Soyons clairs: ma position est sans ambiguïté. Le Sahara est marocain, c’est une réalité politique, institutionnelle et humaine. Elle s’incarne chaque jour sur le terrain, à travers la stabilité, le développement et la participation démocratique des populations. C’est cette réalité que la Belgique doit enfin reconnaître pleinement, et c’est le sens de ma proposition de loi. Cela étant dit, je suis aussi convaincu qu’une reconnaissance claire de cette souveraineté ne doit pas empêcher une réflexion plus large sur l’équilibre régional. L’Algérie, bien sûr, a son rôle à jouer dans cet espace. Et je pense qu’il est possible, dans le respect total de la souveraineté du Maroc, d’imaginer des mécanismes de coopération économique qui permettent à chacun de trouver sa place dans un nouvel ordre régional plus apaisé. La crainte algérienne d’un isolement stratégique, notamment en lien avec l’accès à l’Atlantique, est connue. Ce n’est pas en la niant qu’on avancera, mais en la dépassant. Des accords de circulation, des dispositifs d’ouverture commerciale, des partenariats transfrontaliers sont envisageables. Ils ne remettent nullement en cause l’intégrité territoriale du Maroc, au contraire: ils peuvent contribuer à stabiliser durablement la région autour de cette souveraineté reconnue. La Belgique, par sa position au sein de l’Union européenne, peut jouer un rôle utile: celui d’un facilitateur, qui assume clairement son soutien au Maroc tout en encourageant des dynamiques de coopération pragmatiques.
Vous dites vouloir rallier une majorité parlementaire pour faire de cette proposition un texte collectif. Ce soutien existe-t-il déjà ? Et comment répondez-vous à ceux qui y voient un calcul électoral ?
Sur le plan parlementaire, je suis confiant. Nous devrions pouvoir obtenir une majorité au sein de la coalition gouvernementale et peut-être même au-delà. Cela ne se fera pas en un claquement de doigts, bien sûr, mais les premiers échanges montrent une ouverture réelle. Mon objectif est d’en faire un texte collectif, porté par une adhésion large, et non une initiative isolée. Quant aux accusations d’électoralisme, permettez-moi de sourire. D’abord, parce que ceux qui avancent cet argument ne sont eux-mêmes pas engagés sur ce dossier. Ensuite, parce que cette démarche s’inscrit dans un temps long. Je me suis rendu au Sahara marocain il y a trois ans. J’ai eu le temps de construire une position réfléchie, argumentée. Si cela avait été une manœuvre électorale, je l’aurais opportunément sortie juste avant les élections. Or nous sommes au début d’une nouvelle législature et les prochaines échéances électorales sont encore lointaines. Ce que je propose aujourd’hui, c’est d’ouvrir un débat clair, assumé, pour faire avancer un dossier qui stagne depuis trop longtemps. Ce n’est pas de la tactique, c’est une responsabilité politique. La Belgique a tout à gagner à clarifier sa position vis-à-vis d’un partenaire stratégique comme le Maroc.
Trois domaines me semblent prioritaires. D’abord, la sécurité. Nos deux pays partagent les mêmes préoccupations: lutte contre le terrorisme, contre les trafics, contre la criminalité transnationale. Cela suppose une coopération judiciaire plus fluide, notamment sur le renvoi des personnes condamnées. Ensuite, l’économie. Le Maroc est en pleine expansion, avec un tissu entrepreneurial qui s’ouvre et des infrastructures modernes. La Belgique a des compétences à faire valoir dans l’agroalimentaire, la logistique, l’innovation. Il y a là un champ de collaboration énorme, trop peu exploité. Enfin, l’énergie. Le Maroc est en train de devenir un acteur-clé dans les renouvelables, notamment sur l’hydrogène vert. Son potentiel solaire et éolien est considérable. La Belgique, elle, a des besoins croissants et des technologies à partager. Avancer ensemble sur ce front, c’est stratégique, pour les deux pays, mais aussi pour l’Europe dans son ensemble.
Oui, très clairement. Si nous parvenons à faire adopter cette proposition de loi, ce ne sera pas seulement une avancée pour la Belgique. Ce sera aussi un signal fort envoyé à l’échelle européenne. Aujourd’hui, beaucoup de pays restent dans une forme d’ambiguïté diplomatique sur un sujet pourtant central pour la stabilité du pourtour méditerranéen. L’Europe observe, mais elle tarde à agir. Or elle ne peut plus rester spectatrice. Il y a eu un premier tournant avec la position française, puis l’Espagne. Si la Belgique, État membre fondateur de l’Union européenne et siège de ses institutions, s’engage clairement en faveur de la souveraineté marocaine, cela peut créer un effet d’entraînement. Un effet domino, en quelque sorte. Et je le souhaite, car il est temps que l’Europe assume ses partenariats stratégiques avec clarté et cohérence. Puis, au-delà de l’initiative parlementaire, je crois profondément à la force des liens politiques. J’ai eu l’occasion d’échanger longuement avec le ministre marocain de la Justice, notamment sur la coopération judiciaire. Ces discussions montrent que nos deux pays partagent bien plus que des intérêts: ils partagent des défis communs. Il est donc de notre responsabilité, en tant que responsables politiques, de renforcer ces passerelles, de les traduire en actes, et de faire entendre cette voix claire dans le concert européen.