Si d’ordinaire les soirées ramadanesques sont synonymes de détente et d’échanges conviviaux, celle organisée le 20 mars 2025 par l’Organisation des femmes ittihadies a été particulièrement studieuse. Ayant rassemblé d’éminents juristes et des militants des droits humains de la première heure, cette rencontre s’est proposée d’examiner un sujet de la plus haute importance : le projet de Code de procédure pénale marocain, un texte qui franchit les étapes parlementaires dans «une indifférence inquiétante». «Malheureusement, le projet a déjà épuisé la discussion générale et détaillée au Parlement, et la date de dépôt des amendements est fixée au 23 avril prochain. Pourtant, ce projet n’a pas encore fait l’objet du débat sociétal nécessaire, comme si c’était un simple sujet procédural sans grande importance», regrette Hanane Rihab, présidente de l’Organisation, devant un parterre d’experts venus disséquer ce projet qui façonnera l’avenir de la justice marocaine.
L’Histoire nous l’enseigne, rappelle-t-il, les institutions législatives ne se contentent pas de créer des lois, elles façonnent l’histoire elle-même. À ses yeux, le Parlement doit agir comme «une université qui donne naissance aux idées et aux grandes orientations», particulièrement sur les questions qui touchent à l’individu et à sa relation avec la justice.
Pour ce juriste chevronné, l’objectif premier de ce projet semble être la lutte contre la criminalité, la prévention et la protection de la sécurité. «C’est bien pour nos institutions», concède-t-il, «mais je rappelle que le but essentiel d’un Code de procédure pénale doit être la protection de la liberté et de ceux qui sont en contact direct avec elle».
Les signes de ce recul sont multiples selon lui : l’élargissement des pouvoirs de la police judiciaire en matière de garde à vue, le maintien de sa durée alors que d’autres pays l’ont réduite, et une détention provisoire encore trop fréquente. «Pourquoi ne pas avoir réduit la durée de la garde à vue chez nous ? Avons-nous un manque de personnel ou de moyens en termes de forces de sécurité ?», s’interroge-t-il.
À cet égard, il pointe notamment deux éléments préoccupants : le maintien de la qualité d’officier de police judiciaire pour le juge d’instruction et la relation «problématique» entre ce dernier et le ministère public. «Actuellement, le parquet peut choisir le juge d’instruction auquel il confie un dossier, ce qui crée inévitablement une dépendance et une influence», explique-t-il.
Mᵉ Maryam Jamal Idrissi, avocate au barreau de Casablanca et membre de l’Organisation des femmes de l’Union socialiste des forces populaires (USFP), a soulevé quant à elle une «contradiction fondamentale» dans le projet de loi. Elle estime que l’article 51 bis introduit une définition problématique de la politique pénale. Elle cite notamment le troisième paragraphe qu’elle juge «dangereux» : «De même, le chef du Ministère Public supervise l’exécution des contenus et des orientations de la politique pénale liée aux politiques publiques établies par le gouvernement et qui lui sont communiquées par le ministre». Où est la séparation des pouvoirs ? Quel est le rapport du Ministère Public avec les politiques publiques et quel est son rapport avec le gouvernement ? s’interroge-t-elle. Mᵉ Maryam Jamal Idrissi y voit en tout cas une contradiction avec la Constitution et les décisions de la Cour Constitutionnelle, qui a défini la politique pénale différemment. «Il y a un déphasage entre le projet de code de procédure pénale et la Constitution», conclut-elle.
Parmi les lacunes qu’il identifie : «L’absence de mention du droit à la défense et à l’assistance d’un avocat dès le premier moment de l’arrestation», «le maintien de la situation de l’enfant en difficulté dans une position délicate, traité légalement comme un enfant délinquant» et «l’absence de mécanismes d’incitation à la justice réparatrice».
En ce qui concerne les femmes, il souligne : «Parler de la protection des droits des femmes dans le projet de Code de procédure pénale ne doit pas être interprété comme si nous, en tant que défenseurs des droits humains ou associations, réclamions un privilège judiciaire en faveur des femmes». Il s’agit plutôt «d’introduire des dispositions qui tiennent compte de leur situation en tant que femmes dans le cadre d’une approche genre, dans laquelle l’État assume sa responsabilité, puisqu’il s’est engagé à prendre les mesures nécessaires à cet effet».
Parmi ses propositions concrètes avancées par ce militant : une procédure de fouille corporelle adaptée, des lieux équipés lors du placement en garde à vue, la désignation de lieux de détention spécifiques, et la possibilité d’éviter la détention pour les femmes enceintes, allaitantes ou mères de jeunes enfants.
Me Atiqa El Ouaziri, avocate au barreau de Rabat, aborde quant à elle la question particulière des mineurs. Elle critique le maintien du terme «mineurs» dans le projet de loi, qui selon elle «stigmatise l’enfant et n’est pas conforme à nos engagements internationaux et constitutionnels». «Afin d’éviter tous les termes qui marquent les enfants d’un stigmate», explique-t-elle, «la première chose à faire avec le projet de loi actuel est de l’adapter et de le rendre conforme aux Conventions internationales signées par Maroc et à la Constitution marocaine».
Pour étayer ses propos, il cite l’exemple frappant des procès-verbaux transmis aux parquets, qui commencent systématiquement par la mention : «Nous l’avons informé de son droit de garder le silence, de bénéficier de l’assistance d’un avocat et de contacter son avocat, mais il y a renoncé». Pour lui, cette formule semble être appliquée mécaniquement, sans mise en œuvre réelle des garanties qu’elle implique. «Peut-on concevoir qu’une personne en garde à vue, détenue par la police et confrontée à des accusations, se voie dire qu’elle a le droit de garder le silence, de bénéficier d’une aide juridique et de la présence d’un avocat, et qu’elle y renonce ?», s’interroge-t-il. Et Mᵉ Abdelaziz Asqarib de dénoncer, également, le recours excessif à la détention provisoire, malgré les alternatives disponibles comme le contrôle judiciaire, déplorant une «culture» qui considère que «la justice ne peut être rendue ou que le droit de la victime ne peut être préservé qu’en détenant le mis en cause».
Me Abdelaziz Asqarib préconise quant à lui «la mise en place d’un mécanisme de contrôle de l’application correcte des normes du procès équitable, de recensement des violations et de suivi des jugements répressifs». Il appelle, également, les organisations de défense des droits de l’Homme à ne pas se limiter aux affaires liées à la liberté d’expression ou aux affaires politiques, mais à s’intéresser davantage aux violations quotidiennes qui se produisent dans les affaires de droit commun.
Me Maryam Jamal Idrissi souligne l’importance de protéger la présomption d’innocence face à «climat général au sein de la société qui, aujourd’hui, a tendance à prendre pour argent comptant tout ce qui circule sur les réseaux sociaux» et «qui transforme l’accusé en criminel d’un trait de plume».
Alors que la date limite de dépôt des amendements approche, l’Organisation des femmes ittihadies s’est engagée à formuler ses recommandations et à les transmettre au groupe socialiste (groupe parlementaire de l’USFP) à la Chambre des représentants. Seront-elles prises en compte ? L’avenir le dira. Mais cette rencontre aura eu le mérite de lancer un débat essentiel sur un projet de loi qui, comme l’a rappelé Mᵉ Abderrahim Jamaï, «façonnera l’Histoire de notre pays et aura des répercussions sur notre justice».
La présomption d’innocence en danger
D’entrée de jeu, le ton est donné. L’ancien bâtonnier de Rabat, Mᵉ Abderrahim Jamaï, a attaqué ce qu’il considère comme le cœur du problème : «Il y a eu un véritable recul de la présomption d’innocence dans ce projet, contrairement à ce que nous avions après la sombre période de 1974, où elle était pourtant l’article premier».L’Histoire nous l’enseigne, rappelle-t-il, les institutions législatives ne se contentent pas de créer des lois, elles façonnent l’histoire elle-même. À ses yeux, le Parlement doit agir comme «une université qui donne naissance aux idées et aux grandes orientations», particulièrement sur les questions qui touchent à l’individu et à sa relation avec la justice.
Pour ce juriste chevronné, l’objectif premier de ce projet semble être la lutte contre la criminalité, la prévention et la protection de la sécurité. «C’est bien pour nos institutions», concède-t-il, «mais je rappelle que le but essentiel d’un Code de procédure pénale doit être la protection de la liberté et de ceux qui sont en contact direct avec elle».
Les signes de ce recul sont multiples selon lui : l’élargissement des pouvoirs de la police judiciaire en matière de garde à vue, le maintien de sa durée alors que d’autres pays l’ont réduite, et une détention provisoire encore trop fréquente. «Pourquoi ne pas avoir réduit la durée de la garde à vue chez nous ? Avons-nous un manque de personnel ou de moyens en termes de forces de sécurité ?», s’interroge-t-il.
L’équilibre des pouvoirs en question
L’équilibre des pouvoirs au sein du système judiciaire constitue une autre préoccupation majeure soulevée lors de cette table ronde. Mᵉ Abderrahim Jamaï fait remarquer un «déséquilibre croissant entre les forces fondamentales de notre système de procédure pénale : la police judiciaire, le ministère public et le juge d’instruction».À cet égard, il pointe notamment deux éléments préoccupants : le maintien de la qualité d’officier de police judiciaire pour le juge d’instruction et la relation «problématique» entre ce dernier et le ministère public. «Actuellement, le parquet peut choisir le juge d’instruction auquel il confie un dossier, ce qui crée inévitablement une dépendance et une influence», explique-t-il.
Mᵉ Maryam Jamal Idrissi, avocate au barreau de Casablanca et membre de l’Organisation des femmes de l’Union socialiste des forces populaires (USFP), a soulevé quant à elle une «contradiction fondamentale» dans le projet de loi. Elle estime que l’article 51 bis introduit une définition problématique de la politique pénale. Elle cite notamment le troisième paragraphe qu’elle juge «dangereux» : «De même, le chef du Ministère Public supervise l’exécution des contenus et des orientations de la politique pénale liée aux politiques publiques établies par le gouvernement et qui lui sont communiquées par le ministre». Où est la séparation des pouvoirs ? Quel est le rapport du Ministère Public avec les politiques publiques et quel est son rapport avec le gouvernement ? s’interroge-t-elle. Mᵉ Maryam Jamal Idrissi y voit en tout cas une contradiction avec la Constitution et les décisions de la Cour Constitutionnelle, qui a défini la politique pénale différemment. «Il y a un déphasage entre le projet de code de procédure pénale et la Constitution», conclut-elle.
La protection des femmes et des enfants : des avancées insuffisantes
Me Mourad Faouzi, président de l’association Droits, déplore pour sa part l’absence de prise en compte des recommandations émises par le Comité des droits de l’enfant des Nations unies en 2014 et par le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes en juillet 2022.Parmi les lacunes qu’il identifie : «L’absence de mention du droit à la défense et à l’assistance d’un avocat dès le premier moment de l’arrestation», «le maintien de la situation de l’enfant en difficulté dans une position délicate, traité légalement comme un enfant délinquant» et «l’absence de mécanismes d’incitation à la justice réparatrice».
En ce qui concerne les femmes, il souligne : «Parler de la protection des droits des femmes dans le projet de Code de procédure pénale ne doit pas être interprété comme si nous, en tant que défenseurs des droits humains ou associations, réclamions un privilège judiciaire en faveur des femmes». Il s’agit plutôt «d’introduire des dispositions qui tiennent compte de leur situation en tant que femmes dans le cadre d’une approche genre, dans laquelle l’État assume sa responsabilité, puisqu’il s’est engagé à prendre les mesures nécessaires à cet effet».
Parmi ses propositions concrètes avancées par ce militant : une procédure de fouille corporelle adaptée, des lieux équipés lors du placement en garde à vue, la désignation de lieux de détention spécifiques, et la possibilité d’éviter la détention pour les femmes enceintes, allaitantes ou mères de jeunes enfants.
Me Atiqa El Ouaziri, avocate au barreau de Rabat, aborde quant à elle la question particulière des mineurs. Elle critique le maintien du terme «mineurs» dans le projet de loi, qui selon elle «stigmatise l’enfant et n’est pas conforme à nos engagements internationaux et constitutionnels». «Afin d’éviter tous les termes qui marquent les enfants d’un stigmate», explique-t-elle, «la première chose à faire avec le projet de loi actuel est de l’adapter et de le rendre conforme aux Conventions internationales signées par Maroc et à la Constitution marocaine».
Application versus législation : le véritable enjeu
Me Abdelaziz Asqarib, membre du barreau de Casablanca, apporte, lui, une perspective différente au débat. Selon lui, «nous avons un problème d’application et non de législation». Il insiste sur le fait que le Maroc dispose déjà «d’un arsenal juridique capable de garantir l’essentiel pour un procès équitable et pour le respect de la présomption d’innocence», mettant en avant les nombreux accords et traités internationaux ratifiés par le Maroc, qui garantissent le procès équitable et le respect des droits de l’Homme, ainsi que les dispositions de la Constitution de 2011 et du Code de procédure pénale actuel qui réaffirment ces droits. «Le problème réside cependant dans l’application et la foi en ces garanties de la part de ceux qui sont chargés de leur mise en œuvre : officiers de police judiciaire, magistrats du Ministère Public, magistrats assis ou encore la société civile», explique-t-il.Pour étayer ses propos, il cite l’exemple frappant des procès-verbaux transmis aux parquets, qui commencent systématiquement par la mention : «Nous l’avons informé de son droit de garder le silence, de bénéficier de l’assistance d’un avocat et de contacter son avocat, mais il y a renoncé». Pour lui, cette formule semble être appliquée mécaniquement, sans mise en œuvre réelle des garanties qu’elle implique. «Peut-on concevoir qu’une personne en garde à vue, détenue par la police et confrontée à des accusations, se voie dire qu’elle a le droit de garder le silence, de bénéficier d’une aide juridique et de la présence d’un avocat, et qu’elle y renonce ?», s’interroge-t-il. Et Mᵉ Abdelaziz Asqarib de dénoncer, également, le recours excessif à la détention provisoire, malgré les alternatives disponibles comme le contrôle judiciaire, déplorant une «culture» qui considère que «la justice ne peut être rendue ou que le droit de la victime ne peut être préservé qu’en détenant le mis en cause».
Pour une approche globale et participative
Face à ces insuffisances, les intervenants sont unanimes à souligner la nécessité d’une approche globale pour améliorer le système de justice pénale au Maroc. Me Mourad Faouzi insiste sur deux points essentiels soulevés par les principes en cours sur le plan international : «Premièrement, l’approche doit être participative, en particulier avec les organisations de la société civile travaillant à la protection des droits de l’enfant et des droits des femmes. Deuxièmement, il faut assurer des formations et un renforcement des capacités, tant pour les agents chargés de l’application de la loi, que pour garantir le renforcement des capacités des magistrats et leur spécialisation concernant les dispositions des conventions internationales, ainsi que pour les avocats et autres axillaires de la justice».Me Abdelaziz Asqarib préconise quant à lui «la mise en place d’un mécanisme de contrôle de l’application correcte des normes du procès équitable, de recensement des violations et de suivi des jugements répressifs». Il appelle, également, les organisations de défense des droits de l’Homme à ne pas se limiter aux affaires liées à la liberté d’expression ou aux affaires politiques, mais à s’intéresser davantage aux violations quotidiennes qui se produisent dans les affaires de droit commun.
Me Maryam Jamal Idrissi souligne l’importance de protéger la présomption d’innocence face à «climat général au sein de la société qui, aujourd’hui, a tendance à prendre pour argent comptant tout ce qui circule sur les réseaux sociaux» et «qui transforme l’accusé en criminel d’un trait de plume».
Alors que la date limite de dépôt des amendements approche, l’Organisation des femmes ittihadies s’est engagée à formuler ses recommandations et à les transmettre au groupe socialiste (groupe parlementaire de l’USFP) à la Chambre des représentants. Seront-elles prises en compte ? L’avenir le dira. Mais cette rencontre aura eu le mérite de lancer un débat essentiel sur un projet de loi qui, comme l’a rappelé Mᵉ Abderrahim Jamaï, «façonnera l’Histoire de notre pays et aura des répercussions sur notre justice».