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Séisme d’Al Haouz : pourquoi le quotidien français «Libération» a intérêt à faire amende honorable

Touria Sarka, l'une des victimes du séisme d'Al Haouz, a été doublement traumatisée par cette catastrophe naturelle dévastatrice. D’un côté, elle a perdu, comme des milliers de Marocains, ses biens et probablement des membres de sa famille, et de l'autre, elle a vu sa détresse exploitée sans vergogne par le quotidien français «Libération». Ce dernier affichait, en Une de sa livraison du 11 septembre dernier, la photo de cette femme avec un titre laissant entendre qu’elle criait son impuissance : «Aidez-nous, nous mourons en silence». Un photomontage d’autant plus abject qu’il n’a rien à voir avec la réalité. S’estimant instrumentalisée, Touria Sarka envisage de porter plainte. Maître Robin Binsard, l'un des deux avocats chargés d'engager une procédure contre le quotidien de gauche, nous affirme que le journal encourt, outre une condamnation à des dommages-intérêts, une sanction pénale.

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Pour sa Une du 11 septembre 2023, le quotidien français «Libération» s'expose à des poursuites civiles et pénales après avoir affiché une photographie de Touria Sarka, prise dans un état de détresse suite à l'effondrement de sa maison, avec le titre «Aidez-nous, nous mourons en silence». Un communiqué de Me Robin Binsard, avocat au barreau de Paris, et Me Mourad Elajouti, avocat au barreau de Casablanca, indique que «cette phrase n'a jamais été prononcée par Mme Touria Sarka, qui s'écriait “vive le Roi” au moment de la photographie, comme le démontre une vidéo en notre possession et largement relayée sur les réseaux sociaux».

>>Lire aussi : Séisme : la femme figurant en Une du journal français Libération menace de porter plainte

En d'autres termes, soulignent les deux avocats, «le journal “Libération”, certainement mû par un objectif sensationnaliste, n'a pas craint d'imputer à notre mandante des propos qu'elle n'a jamais prononcés, ce qui constitue le délit de montage illicite, au sens de l'article 226-8 du Code pénal, outre l'atteinte à la vie privée que caractérise déjà la diffusion de cette photographie sans l'accord de la principale intéressée». Ce photomontage, ajoute le communiqué, «est d'autant plus pernicieux qu'il s'inscrit dans un contexte particulier, à la suite de la décision du Maroc de ne pas se prononcer sur l'aide de la France, suggérant ainsi que Mme Sarka serait en désaccord avec les autorités de son pays». Et les deux avocats de conclure que «notre mandante s'estime aujourd'hui déshonorée et injustement instrumentalisée par “Libération”. Pour ces raisons, nous avons mis en demeure ce journal de supprimer ce photomontage de son site internet et de publier des excuses au bénéfice de Mme Touria Sarka. Sans réponse satisfaisante, une plainte sera déposée entre les mains du Procureur de la République de Paris».

Qu'encourt «Libération» en cas de dépôt d’une plainte ?

Si le quotidien français s'abstenait de retirer ce photomontage de son site Internet et de publier des excuses à l'adresse de Mme Touria Sarka, que risquerait-t-il ? Contacté par «Le Matin», Me Robin Binsard explique que cette affaire présente deux aspects. «Le premier est d'ordre civil, et ici le journal encourt des dommages et intérêts pour atteinte à l'image et à la vie privée». L'autre aspect, poursuit Me Binsard, relève du droit pénal, «car nous considérons que ce qu'ils ont fait constitue un délit au sens de l'article 226-8 du Code pénal français. Ce délit est puni d'un an d'emprisonnement et de 15.000 euros d'amende, et en l'occurrence c'est la responsabilité de l'auteur de l'article et/ou du directeur de la publication qui est engagée». Et d'ajouter que dans ce cas, «le délit est constitué», étant donné que «le journal a publié un montage sans en faire expressément mention».

«Libération» rejette la faute sur l'AFP

En réponse aux accusations de manipulation intentionnelle de la photo de Mme Sarka Touria sur sa Une du 11 septembre, «Libération», dans une tentative pour se blanchir, avait publié le 19 septembre un «checknews» renvoyant la responsabilité à l'AFP. L’auteure du checknews précise que la photo au cœur de la polémique est l’œuvre du photographe de l’AFP Fadel Senna et a été légendée par l’AFP comme suit : «Une femme réagit à la destruction de sa maison par le tremblement de terre, dans le centre-ville de Marrakech le 9 septembre 2023. Un puissant séisme qui a secoué le Maroc tard le 8 septembre a tué plus de 600 personnes, a indiqué le ministère de l’Intérieur, amenant des habitants terrifiés à fuir leurs maisons au milieu de la nuit». «Nulle mention, dans la légende, du fait que la femme invoque le roi au moment de la prise de vue», note-t-on dans le checknews.

D’après la directrice adjointe de «Libération», Alexandra Schwartzbrod, «le choix de cette Une a été présidé par l’alliance d’une photo et d’un titre qui soient le plus percutants possible afin de rendre compte de la tragédie». Concernant le fait d’appliquer une citation sur une photo qui ne soit pas tirée du même reportage, la directrice adjointe indique : «Ça nous arrive, mais c’est vrai que c’est rare qu’on le fasse quand ce n’est pas la personne en photo qui parle.

Là, on a considéré que cette femme incarnait tous ces Marocaines et Marocaines à la rue à cause du séisme et qui demandaient de l’aide.» En revanche, regrette-t-elle, «à aucun moment, il ne nous a été rapporté que cette personne pouvait être en train de dire “vive le Roi”. Il aurait été bon que l’AFP précise ce qu’elle était en train de crier», précise-t-on dans le checknews.

Commentant ces explications de «Libération», Me Binsard rappelle que «c'est leur Une à eux, et non celle de l'AFP. La déontologie des journalistes impose des vérifications, et dans ce cas, cette faute incombe à “Libération”». Selon l’avocat, «l'AFP peut être complice, et ça c'est au procureur de Paris d'en décider. Mais en tout état de cause, le principal responsable est “Libération”, qui a publié une Une associant une photo et des propos, sans préciser qu'il s'agissait d'un montage».

Autant dire que le quotidien de gauche, qui, en l’espèce, est à mille lieux d’incarner les valeurs de gauche, a commis une grave entorse à la déontologie journalistique. C’est pourquoi il se doit de présenter des excuses à la femme dont l’image a été éhontément exploitée, mais aussi à ses lecteurs qu’il a induits en erreur et qui faisaient confiance aux choix de sa rédaction. Mais au-delà des considérations juridiques de cette affaire, c’est la réputation de «Libération» qui a été sérieusement entachée aux yeux des Marocains, mais aussi des Français qui croient encore à l’éthique professionnelle des médias.

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