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Protectionnisme : pourquoi le Maroc doit impérativement repenser ses stratégies industrielles (Driss Benhima)

Invité de l’émission «L’Info en Face», Driss Benhima a dressé un état des lieux sans fard des bouleversements de l’industrie marocaine à l’aune des recompositions géo-économiques globales. Consultant, ancien ministre, ex-directeur général de l’Office national de l’électricité (ex-ONE) et de Royal Air Maroc (RAM), M. Benhima a relevé l’urgence pour le Royaume de sortir d’une posture d’adaptation passive en repensant en profondeur sa stratégie industrielle dans un monde où la souveraineté productive redevient un enjeu central. «Le Maroc doit prendre conscience qu’il fait face à une compétition mondiale accrue, dans laquelle il n’a pas encore trouvé la juste place», a-t-il souligné, ajoutant que la reconversion de certaines industries, notamment dans les secteurs à forte valeur ajoutée, est ainsi devenue une nécessité pour le Royaume, s’il veut espérer renforcer sa présence sur le marché mondial.

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La réflexion sur l’avenir industriel du Maroc ne saurait être dissociée des grandes reconfigurations géo-économiques qui s’opèrent à l’échelle mondiale. C’est l’idée-maîtresse avancée par Driss Benhima qui était l’Invité de l’émission «L’Info en Face», diffusée sur Matin TV le 14 avril. Fort de son expérience à la tête de l’ONE et de Royal Air Maroc, et en tant qu’ancien ministre, l’intervenant a dressé un constat sans fard : bien que le Maroc ait développé des filières industrielles structurées, il demeure en position d’ajustement face à des mutations qui se jouent bien au-delà de sa sphère d’influence. Pour lui, il est primordial de repenser les fondements du modèle industriel national, à l’heure où la transition économique globale impose de nouveaux repères.

Le Maroc dans la recomposition industrielle mondiale

M. Benhima a rappelé dans ce sens les récentes transformations dans l’industrie mondiale, notamment la tendance à la relocalisation, qui ont été grandement accélérées par la pandémie et la guerre en Ukraine. Ces événements ont mis en lumière les failles des chaînes logistiques mondiales, incitant de nombreux pays du Nord à relocaliser leurs industries afin de réduire leur dépendance envers des zones géographiques jugées trop risquées. «La crise en Ukraine a agi comme un catalyseur», a-t-il déclaré, ajoutant que cette dynamique de relocalisation touche durement des secteurs-clés de l’industrie marocaine, comme celui du textile, dont certaines unités de production ont été transférées en Espagne ou au Portugal.

En contraste avec cette dynamique, le Maroc, bien qu’il ait fait des avancées notables dans certains secteurs industriels, se retrouve dans une position de suiveur. Selon l’invité, «le Maroc doit prendre conscience qu’il fait face à une compétition mondiale accrue, dans laquelle il n’a pas encore trouvé la juste place». La reconversion de certaines industries, notamment dans les secteurs à forte valeur ajoutée, est ainsi devenue une nécessité pour le Royaume s’il veut espérer renforcer sa compétitivité sur le marché mondial, a-t-il ajouté.

La guerre tarifaire : une menace pour la compétitivité du Maroc

Parmi les signaux d’alerte que le Maroc doit capter, selon Driss Benhima, figure la perspective d’une guerre tarifaire induite par l’évolution des politiques commerciales des grandes puissances économiques, au premier rang desquelles l’Union européenne. Il a particulièrement insisté sur les implications du mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF), récemment initié par Bruxelles. Ce dispositif, qui prévoit l’imposition d’une taxe sur les produits importés selon leur empreinte carbone, constitue à ses yeux un changement de paradigme majeur, porteur de risques structurels pour l’économie exportatrice du Maroc.



«Les produits marocains risquent de se voir pénalisés si leur empreinte carbone est jugée trop élevée», a averti l’ancien ministre, soulignant l’ampleur du défi posé par la convergence normative environnementale imposée par les marchés développés. Pour lui, la mise en œuvre de ce mécanisme traduit une logique de protectionnisme climatique à laquelle les pays en développement, dont le Maroc, ne sont pas suffisamment préparés.

L’enjeu dépasse de simples ajustements techniques. Il s’agit, selon M. Benhima, d’un changement dans les règles du commerce international, où les standards environnementaux deviennent des instruments de régulation tarifaire. Pour un pays dont l’appareil productif reste dépendant d’industries énergivores et peu décarbonées, l’impact pourrait être lourd. Ce dispositif européen menace directement la compétitivité des exportations marocaines, notamment dans les secteurs industriels clés tournés vers l’Union européenne, principal partenaire commercial du Royaume.

La nécessaire reconfiguration stratégique

Face à cette donne, Driss Benhima appelle à une reconfiguration stratégique. «Le Maroc est à un tournant. Il ne peut ignorer les transformations en cours dans l’économie mondiale, notamment la prise en compte croissante des considérations environnementales dans les politiques commerciales», a-t-il affirmé. La question n’est plus de s’interroger sur la nécessité d’adopter une politique industrielle plus verte, mais d’agir avec célérité pour éviter une marginalisation progressive dans les chaînes de valeur globales.

À l’ère de la «dégradation de l’environnement international», selon ses termes, M. Benhima insiste sur l’urgence d’une adaptation structurelle, qui suppose une anticipation rigoureuse des évolutions normatives mondiales. L’alignement sur les exigences de durabilité n’est pas une option, mais un impératif stratégique pour préserver la viabilité des secteurs productifs marocains les plus exposés aux turbulences commerciales de demain.

Le Maroc, acteur passif d’une dynamique brownienne

Tout à sa lucidité, et compte tenu du contexte mondial qui se dessine, Driss Benhima a évoqué une image lourde de sens pour illustrer l’absence de direction claire de l’industrie marocaine. Il a en effet qualifié l’évolution de cette dernière de «brownienne», en référence au mouvement aléatoire des particules. Selon lui, le tissu industriel marocain évolue sans cohérence d’ensemble, au gré de décisions isolées, souvent dictées par des intérêts extérieurs plutôt que par une stratégie nationale réfléchie.

Les investissements industriels, a-t-il fait observer, répondent davantage à des opportunités ponctuelles qu’à un plan structurant pensé sur le long terme. «Ce sont les impulsions venues de l’extérieur qui orientent nos choix productifs», a-t-il déploré. Cette logique d’adaptation permanente, sans anticipation ni priorisation, affaiblit la capacité du pays à s’inscrire dans des chaînes de valeur durables, selon l’intervenant.

Partant de là, M. Benhima appelle ainsi à rompre avec ce fonctionnement pour bâtir une politique industrielle capable de fixer des orientations, d’identifier des filières prioritaires et d’anticiper les grandes transitions à venir. Il a insisté sur l’urgence de donner à l’action industrielle une cohérence d’ensemble, à travers des choix assumés, étayés par une vision stratégique et une lecture rigoureuse des évolutions internationales.

Rivalités sino-américaines : une trêve stratégique aux effets systémiques

Dans son analyse des déterminants géo-économiques contemporains, Driss Benhima n’a pas manqué de souligner l’impact des tensions systémiques entre grandes puissances sur les trajectoires économiques des pays intermédiaires. Il s’est attardé en particulier sur le face-à-face stratégique opposant les États-Unis à la Chine, devenu un facteur structurant des nouvelles reconfigurations industrielles à l’échelle mondiale. Il a rappelé à cet égard que malgré l’intensité croissante de leur rivalité, les deux puissances ont récemment convenu d’une trêve de 90 jours, le temps d’ouvrir un canal de discussion autour des enjeux économiques globaux. «Cette trêve, bien qu’elle puisse paraître temporaire, montre que même les grandes puissances comprennent que l’interdépendance mondiale est désormais une réalité», a-t-il relevé.
Pour M. Benhima, cette suspension momentanée des hostilités illustre une vérité profonde : aucune économie, même parmi les plus puissantes, ne peut évoluer en vase clos dans un monde aussi interdépendant. Dès lors, les décisions prises dans les cercles stratégiques de Washington ou de Pékin peuvent produire des effets d’entraînement bien au-delà de leurs sphères immédiates. Le Maroc, dans ce contexte, se retrouve exposé à des répercussions qu’il ne maîtrise pas. «Ce que nous voyons, c’est une économie globale où chaque décision prise à l’échelle internationale a des répercussions directes, même pour des pays comme le Maroc», souligne-t-il. Cette réalité impose au Royaume une vigilance stratégique constante, capable d’anticiper les effets indirects des confrontations entre puissances, et d’adapter ses choix économiques en conséquence.

Des arbitrages politiques structurants

Concrètement, il est plus que jamais question d’activer des leviers d’action internes. Dans ce sens, Driss Benhima met en lumière l’urgence d’une intervention stratégique de l’État pour orienter l’industrie nationale. Pour lui, les mutations en cours sur la scène internationale ne peuvent être abordées efficacement sans un pilotage politique assumé et structurant. «Le politique doit trancher», affirme-t-il avec clarté, en référence à l’impératif d’arbitrages entre des orientations industrielles souvent divergentes. L’invité de «L’Info en Face» n’a pas manqué d’interroger les fondements mêmes de la stratégie industrielle marocaine : faut-il privilégier une politique de substitution aux importations, visant à réduire la dépendance extérieure, ou bien approfondir l’intégration dans les chaînes de valeur globales, en acceptant une certaine spécialisation productive ? Le dilemme ne s’arrête pas là. Faut-il concentrer les efforts sur les secteurs à haute valeur ajoutée, moteurs d’innovation et de compétitivité, ou plutôt sur ceux à fort potentiel d’emploi, plus inclusifs mais moins rentables à court terme ?

Pour M. Benhima, ces choix ne peuvent être laissés ni aux seules dynamiques de marché ni à l’initiative privée, aussi dynamique soit-elle. La configuration actuelle du commerce mondial, marquée par l’instabilité géopolitique, les politiques protectionnistes et les ruptures d’approvisionnement, exige une vision industrielle nationale construite, anticipative et résiliente. C’est pourquoi il n’a pas hésité à appeler à la réaffirmation d’un État stratège, capable de formuler une politique industrielle cohérente avec les priorités nationales et les réalités globales.
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