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Sahara : comment les États-Unis sont en train de sonner le glas d’un conflit vieux de 50 ans

Une reconnaissance officielle réaffirmée de la souveraineté marocaine sur le Sahara, un appui explicite au plan d’autonomie, une mobilisation transpartisane au Congrès américain et en prime une proposition de classer le Polisario parmi les organisations terroristes… En quelques jours, Washington a déployé tout son poids diplomatique pour accélérer la fin d’un conflit vieux d’un demi-siècle. Un tournant décisif qui pourrait définitivement rebattre les cartes dans toute la région.

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Le conflit autour du Sahara marocain, longtemps synonyme d’impasse diplomatique et d’attentisme onusien, semble connaître une accélération aussi significative qu’inattendue. Le tournant est venu des États-Unis, où, le 10 avril 2025, Lisa Kenna, haute responsable américaine, a assuré que «Le seul cadre réaliste et durable pour résoudre ce conflit est l’autonomie sous souveraineté marocaine». La déclaration de Lisa Kenna, émise lors de sa rencontre avec Staffan de Mistura, envoyé personnel du Secrétaire général de l’ONU, enterre définitivement deux décennies d’ambiguïtés diplomatiques américaines sur cette question. Depuis la reconnaissance historique opérée par Donald Trump en décembre 2020, et confirmée implicitement sous Joe Biden, la diplomatie américaine n’a cessé de consolider son soutien au Maroc. Mais cette fois, c’est une étape supplémentaire, décisive, qui est franchie : les États-Unis ne se contentent plus de reconnaître une souveraineté, ils prennent activement parti pour une solution politique claire, celle de l’autonomie sous souveraineté marocaine, jugée réaliste et durable.

Cette déclaration n’est pas isolée. Quelques jours auparavant, le 8 avril, le secrétaire d’État américain Marco Rubio avait déjà posé les jalons de ce changement majeur en recevant à Washington le ministre marocain des Affaires étrangères, Nasser Bourita. M. Rubio avait alors affirmé, sans équivoque, que «le plan d’autonomie proposé par le Maroc est sérieux, crédible et réaliste», ajoutant que cette solution constituait désormais la «seule base possible pour une solution juste et durable au conflit du Sahara». La diplomatie américaine franchit ainsi une étape supplémentaire : elle ne se contente plus de reconnaître formellement la souveraineté marocaine sur le Sahara, elle plaide activement en faveur de la proposition de Rabat.

Une diplomatie active

Derrière ces déclarations officielles, c’est toute une mobilisation politique transpartisane qui est à l’œuvre. Durant sa visite à Washington, Nasser Bourita a multiplié les rencontres avec des membres influents du Congrès américain, transcendant les lignes partisanes. Parmi eux, le sénateur républicain Lindsey Graham ainsi que les représentants Brian Mast, Mario Díaz-Balart et surtout Joe Wilson, figures-clés des commissions stratégiques de politique étrangère et acteurs majeurs du Caucus des Accords d’Abraham. Tous ces responsables politiques convergent désormais vers une position commune : pérenniser et institutionnaliser le soutien américain à la souveraineté marocaine, au-delà des changements d’administration.

C’est précisément Joe Wilson, congressman républicain de Caroline du Sud, qui a décidé de franchir une étape supplémentaire en annonçant, le 11 avril, son intention de déposer une proposition de loi visant à classer officiellement le Front Polisario comme organisation terroriste. Dans une prise de position forte publiée sur la plateforme X (anciennement Twitter), il affirme clairement que «l’autonomie sous souveraineté marocaine est la seule solution viable pour le Sahara», accusant le Polisario de servir de relais stratégique à l’influence russe et iranienne en Afrique. Cette initiative, si elle venait à aboutir, constituerait un tournant radical dans la manière dont les États-Unis gèrent le dossier saharien, transformant une question diplomatique en un enjeu sécuritaire majeur.

Un partenariat stratégique

Cette évolution intervient alors que le Royaume voit sa relation avec Washington entrer dans une nouvelle phase stratégique : coopération militaire accrue, investissements économiques croissants (plus de 7,4 milliards de dirhams d’investissements directs américains en 2022) et un dialogue stratégique élargi aux nouvelles technologies, notamment le digital, l’intelligence artificielle et la cybersécurité. Le Maroc est aujourd’hui perçu par Washington comme un partenaire fiable et modéré, crucial dans un contexte où les États-Unis révisent leur stratégie africaine, étant confrontés à de complexes défis au Sahel, particulièrement au Niger, au Mali et en Libye.

Ainsi, à l’approche de la réunion du Conseil de sécurité de l’ONU prévue ce 14 avril, l’envoyé spécial Staffan de Mistura sait pertinemment que les équilibres diplomatiques ont radicalement évolué. L’appui américain, désormais clairement assumé et institutionnalisé, pourrait exercer une pression nouvelle, décisive, sur les acteurs du conflit. Pour le Maroc, à quelques mois du cinquantenaire de la Marche Verte prévu en novembre 2025, cette dynamique ouvre une perspective historique : celle d’un règlement proche et définitif d’un conflit qui aura duré près d’un demi-siècle.

Calvin Dark, analyste politique américain, fondateur et président du cabinet RC Communications à Washington : «Ce qui rend la relation avec le Maroc particulièrement forte, c’est sa longévité et sa constance au-delà des alternances politiques à Washington»



Le Matin : Comment qualifiez-vous aujourd’hui l’état des relations stratégiques entre les États-Unis et le Maroc, dans un contexte international en recomposition et à l’aube d’un second mandat Trump ? Peut-on dire que les relations entre les deux pays ont franchi un nouveau palier ? Et surtout, qu’est-ce qui fait la force du partenariat entre les deux parties ?

Calvin Dark :
Les États-Unis ne peuvent pas relever seuls les défis globaux. Nous avons besoin de partenaires solides, stables, en qui nous avons confiance et avec qui nous partageons une histoire de coopération et des valeurs communes. Le Maroc, sous la conduite du Roi Mohammed VI, est précisément ce type de partenaire stratégique. Ce qui rend cette relation particulièrement forte, c’est sa longévité et sa constance, au-delà des alternances politiques à Washington. Il n’y a pas beaucoup de pays dans le monde qui peuvent se targuer d’avoir une relation aussi fiable et aussi transversale avec les États-Unis. Dans le contexte actuel, marqué par l’incertitude géopolitique, le Maroc apparaît comme un point d’ancrage naturel pour la diplomatie américaine.

Vu les récentes rencontres de Nasser Bourita avec plusieurs grands responsables, quel rôle le Congrès américain peut-il jouer dans la consolidation à long terme de partenariats diplomatiques avec des alliés comme le Maroc, au-delà des changements d’administration ?

Le Congrès peut jouer un rôle déterminant. C’est justement lui qui permettrait de transformer un engagement politique en un cadre juridique durable. Je pense sincèrement qu’il est temps que le Congrès codifie dans la loi la reconnaissance de la souveraineté du Maroc sur le Sahara. Cela garantirait que cette position ne soit pas remise en cause à chaque changement d’administration. Une telle loi renforcerait la sécurité juridique et politique du partenariat, tout en créant les conditions d’un développement accru : commerce, investissements, échanges académiques, coopération en matière de sécurité... On sait que le soutien au Maroc est aujourd’hui bipartisan au Congrès – c’est une chance à saisir pour bâtir un partenariat encore plus solide.

Pensez-vous que le partenariat entre les deux pays et la coordination diplomatique peuvent créer des dynamiques régionales vertueuses au service de la paix régionale et de la stabilité au Proche-Orient ? Si oui, comment ?

Oui, absolument. Le partenariat entre les États-Unis et le Maroc peut servir de levier de stabilisation dans plusieurs zones de tension, notamment au Proche-Orient. Il ne faut pas oublier que le Maroc a toujours joué un rôle actif et crédible dans les processus de paix, et cela a été reconnu à plusieurs reprises à Washington. Sur la question du Sahara, ce qui est unique, c’est que la solution existe déjà : le plan d’autonomie proposé par le Maroc. Contrairement à d’autres conflits prolongés, celui-ci dispose d’un cadre réaliste, soutenu par les faits sur le terrain et reconnu comme tel par les États-Unis. C’est là que le rôle américain est crucial : il faut désormais porter ce message au sein du Conseil de sécurité de l’ONU, avec cohérence. Régler ce conflit, c’est aussi permettre à la région de se projeter vers l’avenir, de débloquer d’autres dynamiques de paix, notamment via les Accords d’Abraham, et de créer une zone d’échanges, de coopération et de stabilité durable, avec le Maroc comme acteur central.

Selon vous, qu’est-ce qui pourrait potentiellement menacer ou remettre en question le partenariat entre Rabat et Washington ?

Ce qui rend le partenariat fort aujourd’hui, c’est justement sa stabilité au-delà des cycles politiques. Mais cela ne signifie pas qu’il est à l’abri. Le principal risque, selon moi, viendrait d’un manque de suivi institutionnel : si les avancées ne sont pas consolidées par des lois, des accords concrets, des projets bilatéraux tangibles, alors elles peuvent être fragilisées. Il est donc essentiel que le Maroc continue à traduire le soutien diplomatique en coopération active, dans des domaines stratégiques comme la sécurité, l’investissement, l’éducation ou l’innovation. C’est de cette manière que le partenariat deviendra, non seulement plus visible, mais aussi indispensable pour les deux pays.
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