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Sahara marocain : les répercussions de la nouvelle position de la France

En juillet 2024, la diplomatie française a pris un tournant décisif en apportant son soutien total au plan d’autonomie marocain pour le Sahara. Cette nouvelle position marque une avancée significative dans les relations internationales. Qu’implique cette position et comment sera-t-elle traduite sur le terrain et dans les instances internationales ? Trois universitaires nous répondent.

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La nouvelle position de la France sur la question du Sahara marocain a indéniablement été l’événement diplomatique le plus marquant de juillet 2024. Paris apporte désormais un soutien total au plan d’autonomie proposé par le Maroc en 2007, le considérant comme la solution unique et viable pour résoudre ce conflit régional. Ce changement constitue une avancée significative dans la diplomatie française, qui, selon diverses analyses convergentes, devrait générer des effets positifs sur l’évolution du dossier. Ces analyses suggèrent que cette initiative diplomatique pourrait inciter d’autres pays à reconnaître la souveraineté du Maroc sur ses provinces du Sud. Elle devrait également renforcer la position du Royaume sur la scène internationale, notamment au sein du Conseil de sécurité des Nations unies.

Mohamed Badine El Yattioui, professeur d’études stratégiques au Collège de défense nationale des Émirats arabes unis (EAU), confirme cette perspective. Cet expert en relations internationales souligne que le Maroc se dote d’un soutien précieux au sein du Conseil de sécurité de l’ONU. «Cela représente une véritable victoire diplomatique. C’est le deuxième membre permanent du Conseil de sécurité, après les États-Unis, qui soutient le projet d’autonomie marocain en affirmant qu’il s’agit de la seule solution viable. Bien que cela ne soit pas comparable à la reconnaissance de la marocanité du Sahara par Donald Trump, Emmanuel Macron a, quant à lui, reconnu la souveraineté marocaine sur les provinces du Sud. C’est un pas extrêmement significatif», précise-t-il.

Des conséquences diplomatiques, géopolitiques et juridiques

En plus de ses répercussions diplomatiques, la nouvelle position de la France aura des conséquences sur les plans géopolitique et juridique, affirme, de son côté, Zakaria Abouddahab, professeur de droit et de relations internationales. «Sur le plan diplomatique, la France va désormais appliquer ce “nouveau paradigme” dans ses relations, que ce soit au niveau bilatéral, régional ou plurilatéral. Cela inclut des instances comme l’Union européenne, le Conseil de l’Europe et même l’OTAN, qui est à la fois une organisation militaire et civile. Au sein du Conseil de l’OTAN, des discussions portent également sur des sujets tels que la démocratie, l’État de droit et les droits de l’Homme, entre autres», précise-t-il.

M. Abouddahab estime que l’influence de la France dans divers espaces multilatéraux devrait contribuer au développement du dossier du Sahara marocain, notamment dans la francophonie et des formats spécifiques comme le groupement des 5+5, désormais dénommé «Sommet des deux rives». Il évoque aussi des cercles d’amitié et des sommets comme celui de l’Union européenne-Union africaine, le G7 ou le G20. «L’influence géopolitique peut se manifester aussi dans des cadres faisant appel à des approches innovantes. Cette influence ne se limite pas aux institutions, mais s’étend au domaine médiatique, culturel, académique et social», ajoute M. Abouddahab.



Azzeddine Hanoune, professeur de droit public à la Faculté des sciences juridiques et politiques de l’Université Ibn Tofaïl, soutient, quant à lui, que le timing de cette décision favorisera l’évolution de la question du Sahara marocain, dans un contexte international marqué par des défis liés à la redistribution des rapports de force. Ceci pour le volet géopolitique. Pour le volet diplomatique, le professeur souligne que l’action de la France sera désormais guidée par cette nouvelle position, ce qui ne pourra que jouer en faveur du Maroc. Cette action s’appliquera particulièrement à l’ONU et à ses trois principaux organes : le Conseil de sécurité, l’Assemblée générale et le Conseil économique et social. Ce dernier Conseil aborde également des questions d’autodétermination, notamment en relation avec les ressources naturelles sur le plan géopolitique, rappelle l’expert.

L’avenir du dossier au sein de l’ONU : une évolution favorable... à long terme

Cela dit, nos trois analystes ne s’attendent pas à un changement significatif sur la question du Sahara marocain lors de l’Assemblée générale (AG) de l’ONU, bien que le Maroc ait fait des progrès diplomatiques ces dernières années. «L’Assemblée générale, qui regroupe tous les États membres de l’ONU, agit comme un véritable indicateur de l’évolution des positions internationales sur la question du Sahara. Néanmoins, je ne prévois pas d’évolution majeure de la position de l’AG. En effet, un équilibre doit toujours être maintenu», affirme Azzeddine Hanoune.

«De plus, étant donné que les résolutions de l’AG ne sont pas contraignantes, cette instance sert surtout de cadre pour maintenir la discussion classique de l’ONU sur des thèmes tels que la décolonisation et le principe d’autodétermination», précise-t-il. M. Hanoune admet toutefois que le soutien de la France compte dans la balance, étant l’un des États influents au sein de l’ONU. «À l’instar de l’Espagne, des États-Unis et de la Russie, la France est régulièrement consultée par les envoyés personnels des secrétaires généraux de l’ONU», souligne-t-il.

Au cours des 25 dernières années, le Maroc a gagné du terrain à l’Assemblée générale, où tous les pays sont représentés, rappelle Mohamed Badine El Yattioui. «De nombreux pays africains, qui étaient soit opposés à la souveraineté marocaine sur le Sahara, soit hésitants, adoptent aujourd’hui des positions plus favorables au Maroc. De plus, le Royaume a fait des efforts pour établir des relations avec divers pays à l’échelle mondiale, notamment en Amérique latine, où plusieurs États ont modifié leur position en faveur du Maroc», précise l’universitaire.

La situation devrait ainsi continuer à évoluer en faveur du Royaume, grâce à l’action de la diplomatie française ainsi que celle de la diplomatie américaine, si Donald Trump reprend les rênes de la Maison Blanche, prédit M. Badine El Yattioui. «En ce qui concerne l’Assemblée générale de l’ONU prévue pour octobre, je ne pense pas qu’il y aura des avancées significatives. Nous constaterons simplement que le Maroc a progressé, la majorité des États représentés soutenant clairement le plan d’autonomie, tandis que d’autres ne sont plus opposés à cette initiative», conclut-il.

Azzeddine Hanoune reste toutefois pessimiste quant à un changement rapide de la position du Conseil de sécurité. «À mon sens, il faudra attendre au moins 2025 pour entrevoir un changement dans la position du Conseil de sécurité concernant le plan d’autonomie marocain», annonce-t-il. Par ailleurs, le Maroc est en voie de devenir membre non permanent, mais cela ne se produira, selon lui, pas avant 2027-2028.

L’influence de la France dans les institutions européennes, une carte maîtresse

Azzeddine Hanoune affirme que l’on peut être très optimiste quant à la position de l’UE sur le Sahara marocain. «La France joue un rôle majeur dans cette Communauté. Par exemple, au niveau du Parlement européen, les dernières élections ont été favorables au Maroc. La composition de ce Parlement renforce ceux qui soutiennent la cause de la marocanité du Sahara», précise-t-il. Néanmoins, il souligne un défi : les institutions judiciaires de l’UE restent plutôt réceptives aux thèses des séparatistes. «Mais la dynamique actuelle devrait permettre de porter les arguments juridiques marocains au sein de ces institutions», ajoute-t-il.

De son côté, Mohammed Badine El Yattioui pense que la France pourrait faire avancer le dossier du Sahara au sein des instances de l’UE, à condition que le lobbying français soit efficace. «Au Parlement européen, le nombre de députés est proportionnel à la population. Les Français, étant en deuxième position après les Allemands, disposent d’un avantage pour faire avancer la cause marocaine, avec le soutien d’autres parties pro-Maroc», explique l’universitaire.

Il en va de même pour le Conseil européen, qui réunit les Chefs d’État et de gouvernement. Emmanuel Macron devra tenir son engagement auprès de S.M. le Roi Mohammed VI, en agissant en cohérence avec la nouvelle position de Paris au niveau national et international. «Le président français devrait pousser le Chancelier allemand Olaf Scholz et la présidente de la Commission européenne, Ursula Von der Leyen, à soutenir pleinement le Maroc», note-t-il.

Zakaria Abouddahab, pour sa part, estime que le Maroc n’a pas de problème au niveau du Conseil de l’UE et de la Commission européenne. Pour lui, l’influence politique française devrait surtout s’exercer au sein du Parlement européen, où plusieurs eurodéputés ne soutiennent pas la cause marocaine. Le Parlement européen joue un rôle crucial dans l’appréciation et le contrôle des accords externes conclus par l’UE, notamment par la Commission, rappelle-t-il.

«Cependant, on pourrait envisager une évolution lente au sein de ce Parlement sur les cinq ans suivant les élections de juin 2024», précise-t-il. L’expert évoque également une action possible au sein de la Cour de justice de l’UE, bien que les juges de cet organe soient indépendants des positions de leurs États respectifs. «Il est possible d’agir en amont, par exemple au niveau de la nomination des juges, mais aussi au niveau des soutiens qui peuvent se manifester lorsque le Conseil de l’UE et la Commission européenne sont parties prenantes. Cela est permis par le règlement intérieur de la Cour, et c’est là que j’entrevois l’action politico-diplomatique de la France», explique-t-il.

En conclusion, M. Abouddahab considère qu’il y a tout un travail à mener pour expliquer que le conflit du Sahara est artificiel, que le Maroc est le premier pays à avoir demandé l’inclusion du Sahara en tant que territoire non autonome pour demander son autodétermination. Il estime que le réalisme politique et la sagesse commandent que le plan marocain d’autonomie soit considéré par tous comme la seule option possible, viable et réaliste, en accord avec les arrangements pertinents de l’ONU pour clore définitivement ce conflit.

La décision française montre la voie : vers une polarisation accrue des positions autour de la question du Sahara marocain

Les observateurs prévoient que la nouvelle position de la France encouragera certains pays à suivre son exemple ou, du moins, à clarifier leur position sur le Sahara marocain. «Chaque État jauge sa reconnaissance de la marocanité du Sahara en fonction de ses intérêts et de ses relations avec le Maroc», explique Zakaria Abouddahab. Toutefois, il est probable que d’autres États, affichant une «neutralité positive», s’alignent sur la position actuelle du Conseil de sécurité. M. Abouddahab voit une passerelle entre l’évolution de la cause nationale marocaine au niveau du Conseil de sécurité et la position de certains États européens. «Lorsque le Conseil de sécurité soutiendra le plan d’autonomie marocain comme solution optimale et définitive, ces pays suivront automatiquement», prévoit-il. Il souligne cependant que ce processus sera long et nécessitera un effort soutenu de toutes les parties prenantes.

Dans le même ordre d’idées, Azzeddine Hanoune affirme que les États neutres sur cette question se feront de plus en plus rares, conduisant à une polarisation accrue des positions autour du Sahara, tout en observant une dynamique positive en faveur du Maroc. «La décision française montre la voie à ceux qui hésitent encore. Elle confirme également une tendance amorcée depuis plusieurs années», ajoute-t-il. «Mais il ne s’agirait pas d’un suivisme lié à une situation de dépendance. En fait, la décision française montre le chemin à ceux qui hésitent encore à voir les choses en face. Elle vient aussi confirmer une tendance amorcée depuis plusieurs années», ajoute-t-il.

Quelles suites à la décision de la France ?

De l’avis du professeur de droit et de relations internationales Zakaria Abouddahab, la position de la Paris sur le Sahara marocain, exprimée le 30 juillet 2024, devrait être dotée d’une valeur juridique. «L’annonce du Président Emmanuel Macron doit être incarnée dans des textes de loi. Il est essentiel de sécuriser juridiquement cette annonce et de la transformer en acte juridique produisant pleinement ses effets de droit, qu’elle soit aussi publié dans les textes officiels, notamment le Journal officiel de la République française», souligne-t-il.

En parallèle, la France devrait agir au sein de l’Union européenne pour faire adopter les résolutions nécessaires, que ce soit au Conseil de l’UE, à la Commission européenne, au Parlement européen, ou même à la Cour de justice de l’Union européenne. «C’est une tâche délicate, mais il est indispensable d’inclure cette action juridique pour sécuriser et protéger la décision, tout en assurant sa continuité juridique dans d’autres instances», explique-t-il. «Au niveau du Conseil de sécurité, la France doit collaborer avec d’autres partenaires du Maroc, notamment les États-Unis, pour préparer le terrain à l’adoption d’une résolution reconnaissant le plan marocain d’autonomie comme la seule solution politique viable pour ce problème vieux de près de 50 ans», estime M. Abouddahab.

L’expert considère que la prochaine étape pour la diplomatie marocaine serait d’obtenir la reconnaissance du Royaume-Uni, tout en concentrant ses efforts sur la Russie et la Chine, qui maintiennent une position de neutralité. «Le soutien du Royaume-Uni est crucial après les reconnaissances américaine et française au Conseil de sécurité. La diplomatie marocaine doit désormais se focaliser là-dessus. La France pourrait pour sa part jouer un rôle de médiateur et d’influenceur», ajoute-t-il. «Si nous parvenions à convaincre le Royaume-Uni de cette nouvelle doctrine de solution politique, que le Conseil de sécurité devrait faire sienne, on pourrait considérer à ce moment-là que le conflit artificiel autour du Sahara marocain sera résolu définitivement en quelques mois», avance M. Abouddahab. «Cependant, il ne faut pas oublier les problèmes des frontières de l’Est, du voisin algérien et des Sahraouis séquestrés à Tindouf. Mais c’est là une autre paire de manches», conclut-il.
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