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Sahara, souveraineté... ce que le Maroc joue sur la scène mondiale, selon Fathallah Oualalou

De la Russie à la Chine, de l’union européenne aux États-Unis… les équilibres mondiaux se déplacent, mais le Maroc renforce ses appuis. Sur le plan diplomatique, sa position sur le Sahara gagne du terrain au sein du Conseil de sécurité. Sur le plan industriel, l’inauguration par S.M. le Roi Mohammed VI d’un complexe de moteurs d’avions du groupe Safran cette semaine incarne une stratégie d’ancrage productif. C’est ce que confirme l’économiste Fathallah Oualalou, dans un amphithéâtre plein à l’ENCG de Casablanca ce 15 octobre 2025. Avec calme et conviction, l’ancien ministre a livré aux étudiants une longue lecture de la mondialisation, appelant à voir dans la souveraineté, l’unité nationale et le rôle de relais entre l’Europe et l’Afrique les leviers d’un avenir maîtrisé.

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«Avant le XIXᵉ siècle, le Maroc était déjà dans la mondialisation.» Par cette entrée inattendue, Fathallah Oualalou a lancé, le 15 octobre 2025 à l’ENCG Casablanca, un récit historique à contre-courant des idées reçues. Dès le XIXᵉ siècle, rappelle-t-il, le Royaume avait établi des conventions commerciales avec plusieurs puissances européennes : Grande-Bretagne, France, Espagne, Norvège. Une ouverture précoce, qui plaçait déjà le pays dans les flux mondiaux. Mais cette insertion progressive s’est vite accompagnée d’un rapport de dépendance. La colonisation, puis le protectorat, ont inscrit le Maroc dans la mondialisation sous contrainte, dans un statut périphérique. L’indépendance ouvre un nouveau chapitre : celui d’une tentative d’intégration plus équilibrée, notamment à travers les accords d’association avec l’Union européenne et la politique de voisinage méditerranéenne. Pourtant, un verrou demeure. «Le manque d’intégration régionale perturbe notre capacité à nous organiser avec le monde», insiste M. Oualalou. Le défi est clair : comment exister dans un monde déjà réorganisé en grands blocs ?

Sahara, souveraineté et positionnement stratégique

La question du Sahara est au cœur de cette géopolitique. «Nous sommes, avec la Chine, les deux seuls pays où la question de l'intégrité territoriale reste posée». Ce parallèle assumé souligne le caractère structurel de la question pour le Maroc : une affaire de souveraineté, de stabilité, mais surtout d'existence. «Pendant cinquante ans, nous avons mené un combat de récupération. Et cette récupération, en fait, elle existe», affirme-t-il. Mais pour que ce combat trouve son achèvement, il identifie une voie unique : «Il faut essentiellement que ce dossier se règle au niveau des Nations unies et en particulier au niveau du Conseil de sécurité.»
L'ancien ministre insiste sur les soutiens diplomatiques consolidés : «Aujourd’hui, trois membres permanents du Conseil de sécurité, la France, les États-Unis et le Royaume-Uni, reconnaissent la position marocaine. C'est un acquis.» Un point de bascule, selon lui, dans la dynamique internationale. «Je suis confiant que nous pouvons continuer à travailler pour la reconnaissance internationale de l’intégrité territoriale du pays.» Ce socle diplomatique repose avant tout sur un ciment national : l’unité. «L’atout du Maroc, c’est que nous sommes unis. C’est ça qui est important : que tous les Marocains soient unis, comme les Chinois de l’autre côté. C’est ça l’atout.» Et d’ajouter avec force : «On peut être à gauche, à droite, on peut avoir des obédiences politiques différentes, des tendances économiques différentes, mais sur cette question-là, le reste du monde agit en notre faveur.»
Mais cette confiance se heurte à un blocage régional persistant. «Nous avons un problème avec nos voisins, parce que le conflit, c’est un problème d’hégémonie. Au début, c’était un problème lié à la guerre froide. La guerre froide a disparu, mais le conflit géopolitique reste. Il rappelle que le Maroc n’a jamais fermé la porte : «Nous avons toujours tendu la main, comme dans les Discours Royaux, etc. Et moi, je crois personnellement que les choses évoluent dans le bon sens pour le Maroc.» En filigrane, un message aux étudiants : comprendre que la question du Sahara ne relève pas uniquement de la politique étrangère, mais de l’architecture même du projet national. Et que dans un monde fracturé, l’unité interne reste une arme diplomatique aussi puissante que les alliances.

L'Europe, l'Afrique et la médiation marocaine

«Notre voisin, c’est l’Union européenne», rappelle M. Oualalou, appelant à réfréner certaines illusions stratégiques. Si les BRICS doivent être «écoutés, mais pas plus», c’est parce que «la prétention doit rester à la hauteur de notre dimension». Il cite l’exemple algérien : «Un pays plus riche que nous, mais non retenu par les BRICS.» Pour le Maroc, le cap est clair : être un relais. Un relais industriel, avec l’automobile et l’aéronautique. Un relais énergétique, à travers une approche atlantique articulée à la Méditerranée. Et un relais géopolitique, entre l'Europe et l'Afrique.

Trois piliers de la mondialisation : commerce, finance, mobilité

L’analyse se veut systémique. Pour M. Oualalou, la mondialisation repose sur trois piliers : le commerce, la finance et la mobilité. La libéralisation des échanges a permis «quarante ans de croissance rapide», mais au prix d’une vulnérabilité accrue. La dimension financière, avec les investissements, les aides au développement, les grands bailleurs multilatéraux, révèle une interdépendance asymétrique. Quant à la mobilité humaine, elle est le maillon faible : les pays riches «libéralisent les capitaux mais restreignent la mobilité des personnes», dénonce-t-il. Les politiques de visa, Schengen, les migrations sélectives... autant de symptômes d’une mondialisation cloisonnée.

Un monde fragmenté, des défis globaux

Le diagnostic que dresse Fathallah Oualalou est clair, parfois sombre, mais jamais fataliste. «Nous vivons une crise de la mondialisation», affirme-t-il. Une crise qui se traduit par le retour du protectionnisme, le recul du multilatéralisme et une fragmentation croissante des alliances. «Nous sommes entrés dans une nouvelle bipolarité, dominée par la rivalité entre les États-Unis et la Chine», explique-t-il. Mais cette polarisation n’est plus idéologique comme au temps de la guerre froide : elle est technologique, commerciale, industrielle. Dans ce contexte tendu, les conflits identitaires réapparaissent, alimentés par les fractures sociales et les replis politiques.
Pourtant, certaines dynamiques globales persistent. Le sport, le tourisme, la culture mondialisée continuent d’unifier symboliquement les sociétés, même si le champ politique se durcit. «Regardez le Tour de France, les grands tournois de tennis, les Jeux olympiques : ce sont des événements mondiaux, qui traversent les frontières et parlent à tout le monde», souligne-t-il. La mondialisation culturelle reste active, mais désynchronisée du politique. Autre bouleversement majeur : le climat. «Le réchauffement climatique est une réalité. Il impose des transitions, notamment énergétiques». Pour M. Oualalou, le Maroc ne doit pas y voir une contrainte, mais une opportunité. «Nous n’avons pas de pétrole, et tant mieux. Cela nous oblige à innover», lance-t-il. Le pays doit capitaliser sur ses ressources naturelles comme le soleil, le vent... pour devenir un acteur de la transition énergétique mondiale. «Vendre de l’électricité, vendre le soleil, vendre le vent : c’est ce que nous devons faire demain», insiste-t-il. Dans un monde en mutation, où les modèles traditionnels s’épuisent, l’avenir passe par la capacité à se projeter autrement. Le Maroc, estime-t-il, en a les moyens.
À la fin de la conférence, la conclusion fut un appel. Aux étudiants, d’abord. «Vous devez être écoutés, mais aussi penser l’intérêt supérieur du pays.» Au pays lui-même, ensuite : unité, souveraineté, capacité à comprendre le monde. «La mondialisation avance, recule, mais elle est là. À nous de l’intégrer avec intelligence.»
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