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Union africaine : le Maroc victime d’un subtil jeu de rééquilibrage des forces ?

Le Maroc est-il victime de son succès au sein de l’Union africaine ? la question peut en étonner plus d’un, mais elle mérite d’être posée à la lumière du nouveau Rapport annuel de la géopolitique de l'Afrique 2025 que vient de publier PCNS. Il faut dire que les dernières élections au sein de l’institution panafricaine sont révélatrices de l'évolution des mécanismes d'influence dans l’UA. Dans une analyse pour le moins originale, Rachid El Houdaïgui, Senior Fellow au Policy Center for the New South, développe le concept novateur du «piège de la prééminence» : cette dynamique par laquelle l'accumulation d'influence peut paradoxalement générer des mécanismes de rééquilibrage institutionnel.

La huitième édition du Rapport annuel de la géopolitique de l'Afrique, que publie chaque année le Policy Center for the New South (PCNS), dresse un panorama saisissant des mutations du continent en 2024. Fragmentations sécuritaires au Sahel, recompositions géopolitiques, nouvelles alliances Sud-Sud... le rapport explore «la manière dont les États africains s'adaptent aux sables mouvants de la géopolitique mondiale», selon les mots de ses rédacteurs.

Parmi les chapitres qui structurent cette édition 2025 – des dynamiques électorales aux regards extérieurs sur l'Afrique, en passant par les conflits et l'émergence de l'Afrique atlantique –, c'est le volet consacré aux «élections africaines en 2024» qui retient particulièrement l'attention. Car, au-delà des «améliorations notables» constatées dans la plupart des processus électoraux continentaux, un chapitre révèle les ressorts sophistiqués de la diplomatie africaine contemporaine : «Le Maroc aux élections de la Commission de l'Union africaine : quelles leçons ?»

L'anatomie d'une évolution diplomatique

L'analyse développée dans ce chapitre, menée par Rachid El Houdaïgui, Senior Fellow au Policy Center for the New South, dissèque les mécanismes qui régissent désormais les élections à la Commission de l'Union africaine. Une observation d'autant plus riche d'enseignements que le Maroc avait démontré, pendant huit années (depuis son retour à l’UA en 2017), sa capacité d'influence remarquable sur le continent.

L’auteur cite les contributions substantielles aux politiques africaines de consolidation de la paix : participation active à la refonte du cadre politique de l'UA sur le post-conflit, la reconstruction et le développement, ainsi qu'aux travaux éditoriaux du premier journal spécialisé de l'UA sur ces questions, publié par le département de la paix et de la sécurité. Le rayonnement marocain se manifeste également par un engagement opérationnel auprès du département des Affaires politiques, de la paix et de la sécurité (PAPS). Cette collaboration se traduit par le déploiement stratégique de diplomates, techniciens et militaires marocains, qui contribuent directement à la réalisation des missions de ce département clé de l'architecture sécuritaire africaine.

Le concept du «piège de la prééminence»

L'originalité de cette analyse réside aussi dans sa grille de lecture qui révèle les «règles du jeu d'influence au sein de l'UA». Rachid El Houdaïgui développe le concept novateur du «piège de la prééminence» : cette dynamique par laquelle l'accumulation d'influence peut paradoxalement générer des mécanismes de rééquilibrage institutionnel.

Le Maroc, fort de ses réalisations impressionnantes – deux élections au Conseil de paix et de sécurité, direction générale de la Commission par Fathallah Sijilmassi, leadership reconnu sur les questions migratoires –, illustre parfaitement cette nouvelle donne diplomatique. «L'environnement dans lequel se déploie la diplomatie marocaine peut être considéré comme particulièrement tendu», fait observe l'auteur, soulignant les défis inhérents au statut de puissance influente.

L'émergence de nouveaux équilibres

Cette analyse met en lumière l'évolution sophistiquée de la diplomatie africaine : dans un environnement institutionnel «marqué par des rapports de force et un besoin d'équilibre», les mécanismes d'influence obéissent à des logiques de plus en plus raffinées. L'UA fonctionne selon une dynamique où «la coopération et le conflit coexistent constamment», créant un laboratoire unique d'innovation diplomatique.

Loin de se limiter à un simple compte-rendu électoral, le chapitre 5 du rapport tire des enseignements précieux pour l'avenir de la diplomatie africaine. L'auteur identifie plusieurs dimensions d'analyse : vision stratégique à long terme, anticipation des dynamiques institutionnelles, ou calibrage des ambitions diplomatiques. «Comment coordonner entre la prééminence des objectifs intermédiaires (occuper un poste) et la prééminence stratégique (statut de puissance africaine) ?», s'interroge Rachid El Houdaïgui. «Les premiers n’ont de sens que s’ils servent l’objectif final recherché et constant. Aussi, un engagement inconsidéré dans un processus électoral pourrait-il affecter la réputation du Maroc : en un mot, maîtriser le contexte électoral, anticiper les risques et les opportunités du poste en jeu et éviter une perception de situation de monopole», se demande l’auteur de cette analyse. Une question fondamentale qui dépasse le cas marocain pour éclairer les défis de toute puissance moyenne naviguant dans un environnement multilatéral en évolution.

Les acquis remarquables de la diplomatie marocaine

Par ailleurs, l'analyse souligne les réalisations substantielles du Maroc en huit années de présence à l'UA. L'influence de position s'est manifestée à travers l'adoption en 2019 du premier manuel des procédures au CPS et l'approbation de la décision 693 qui confie la gestion de la question du Sahara à une troïka de Chefs d'État. L'établissement de l'Observatoire africain des migrations au Maroc a consacré le leadership de Sa Majesté le Roi Mohammed VI comme «Champion africain de la migration».

L'influence comportementale s'est exprimée par des initiatives structurantes : formation d'observateurs électoraux, engagement dans la réforme institutionnelle de la Commission et développement de l'approche innovante du nexus Paix-Sécurité-Développement. L'influence par expertise a mobilisé des experts marocains dans des domaines stratégiques variés, consolidant la réputation du Royaume comme contributeur intellectuel majeur aux politiques africaines.

Vers une diplomatie de nouvelle génération

Les recommandations qui émergent de cette analyse plaident pour une approche plus sophistiquée : «maîtriser le contexte électoral, anticiper les risques et les opportunités du poste en jeu et éviter une perception de situation de monopole». Le rapport appelle aussi à «développer une approche collaborative, où les compétences et les connaissances du diplomate et du chercheur sont mises en commun pour améliorer la qualité de l'analyse et la prise de décision». Un plaidoyer pour une diplomatie plus réflexive, nourrie par l'expertise académique.

Allant droit au but, l’auteur indique que le Maroc et l'Algérie se livrent, au sein des instances de l’UA, à un duel d'influence où tous les coups semblent permis. «Cette situation, que Rabat n'a pas choisie, mais qui lui a été imposée, réunit toutes les conditions pour s'inscrire dans la durée. La projection de cette tension géopolitique sur le continent africain illustre une dynamique de rivalité au sein de l'Union africaine, où chaque victoire institutionnelle peut redéfinir les équilibres stratégiques », analyse-t-il.

Selon lui, les résultats de ces élections (Commission africaine) ne sont pas de nature à favoriser le Maroc. L'accession de l'Algérie à des postes clés pourrait lui permettre de réorienter les priorités continentales, notamment en maintenant la pression sur la question du Sahara, et de façonner les mécanismes décisionnels en sa faveur. Face à ce nouveau rapport de force, l'enjeu pour le Maroc sera d'anticiper et de contrer ce basculement d'influence par des moyens institutionnels légitimes et mesurés. Sa capacité à mobiliser en permanence son réseau de pays partenaires, à maintenir sa présence dans les postes de responsabilité et à inspirer le discours institutionnel africain sera déterminante. Dans cette partie d’action diplomatique, la persévérance et la subtilité primeront la confrontation directe pour préserver les intérêts stratégiques du Royaume tout en respectant les principes du multilatéralisme africain, propose-t-il.

Au final, ce chapitre 5 du Rapport 2025 offre bien plus qu'une analyse de politique africaine : il constitue un véritable laboratoire d'observation des innovations diplomatiques du Sud. Dans un continent où «trente auteurs, de treize nationalités différentes» contribuent à définir une vision africaine du monde.
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