Le Matin : Quel est votre pronostic sur l’évolution globale des relations diplomatique maroco-américaines avec Marco Rubio comme secrétaire d’État ?
Yassine El Yattioui : Les relations diplomatiques maroco-américaines devraient connaître une dynamique encore plus positive avec la nomination de Marco Rubio en tant que secrétaire d’État des États-Unis. M. Rubio, ancien sénateur de la Floride et fervent défenseur des valeurs républicaines, est reconnu pour son engagement en faveur des partenariats solides et stables. Depuis la reconnaissance historique par Donald Trump de la souveraineté du Maroc sur le Sahara marocain en décembre 2020 lors de la fin de son premier mandat présidentiel, la relation entre le camp Trump et le Maroc est dans une excellente dynamique. L’arrivée de M. Rubio à la tête de la diplomatie américaine est une excellente nouvelle pour Rabat. Il est un partisan des alliances stratégiques, et il considère le Maroc comme un partenaire privilégié des États-Unis en Afrique, mais également dans le monde arabe. Dans la continuité de ses récentes prises de position, M. Rubio pourrait aussi mettre l’accent sur le rôle du Maroc dans la lutte contre le terrorisme, ainsi que sur son rôle de médiateur dans les conflits régionaux, notamment en Libye, au Sahel, dans la reconstruction syrienne et dans la situation au Proche-Orient entre la Palestine et Israël.Le Maroc, en tant que partenaire stratégique des États-Unis, bénéficiera probablement d’une diplomatie qui privilégie la coopération et l’entraide dans des domaines d’intérêt commun, comme la sécurité, l’économie et la diplomatie régionale. M. Rubio pourrait agir aussi pour un renforcement des investissements américains dans le Royaume et principalement dans les provinces du Sud, notamment à travers des accords bilatéraux dans des secteurs clés comme les énergies renouvelables, l’agriculture et les technologies. Il est également important d’envisager l’installation d’une présence diplomatique américaine dans les provinces du Sud, ce qui serait une avancée significative du Maroc dans sa quête onusienne de règlement définitif de ce conflit artificiel avec l’appui de Washington et Paris, deux pays membres du Conseil de sécurité des Nations unies.
Les États-Unis ont également soutenu les initiatives marocaines visant à renforcer les liens économiques avec l’Afrique subsaharienne, notamment à travers la participation des entreprises américaines à des initiatives comme le Forum États-Unis/Afrique. Cette plateforme permet au Maroc de servir de point de convergence pour les investissements et les partenariats entre les entreprises américaines et les nations africaines, contribuant ainsi à stimuler la croissance économique dans la région.
Dans le domaine des échanges culturels et éducatifs, la coopération continue également de se développer, et il est probable que les restrictions sur l’aide étrangère ne perturbent pas cet aspect des relations bilatérales. Le Maroc a accueilli plusieurs programmes d’échanges éducatifs soutenus par le gouvernement américain, notamment à travers l’American Moroccan Community Foundation (AMCF), qui a permis à des milliers de jeunes Marocains d’acquérir des compétences en leadership et en entrepreneuriat. Le Maroc, avec sa jeunesse dynamique, constitue un vivier de talents qui est de plus en plus recherché par les entreprises américaines, et cela pourrait renforcer les échanges dans l’éducation et la formation professionnelle.
Quelle est votre analyse des nouvelles priorités de Marco Rubio concernant la politique étrangère sous la seconde administration Trump, axées sur les intérêts américains ? Faut-il s’inquiéter de cette approche ?
Le communiqué de Marco Rubio, publié le 22 janvier 2025, traçant les nouvelles priorités de la politique étrangère des États-Unis, désormais recentrées sur les «intérêts nationaux fondamentaux», devrait être vu comme un tournant pragmatique. Une telle approche, mettant l’accent sur les fondements de la diplomatie, pourrait en effet remettre en question certains aspects des relations internationales traditionnelles, notamment avec les alliés et partenaires à long terme. Cependant, il est important de noter que cette réorientation vers les «intérêts nationaux fondamentaux» ne signifie pas nécessairement une politique isolationniste ou négligente à l’égard des partenaires stratégiques. Pour le Maroc, un tel discours peut offrir l’opportunité d’illustrer sa contribution indispensable à la stabilité régionale et à la lutte contre les menaces mondiales, comme le terrorisme et la prolifération de l’extrémisme religieux.
L’Administration Trump, sous la direction de Marco Rubio, pourrait ainsi voir dans son partenariat avec le Maroc une chance de renforcer ses engagements sécuritaires et diplomatiques au détriment d’autres partenaires du continent africain ou du monde arabe. Il faut également rappeler que la nature pragmatique de cette politique étrangère pourrait se traduire par des accords bilatéraux plus spécifiques, favorisant les avantages mutuels et les résultats concrets. En matière de défense, le Maroc se révèle être un partenaire idéal pour les États-Unis. Du 5 au 16 août 2024, le Maroc participait à la deuxième édition d’Arcane Thunder, un exercice militaire conjoint impliquant 300 soldats, qui se déroule simultanément en Allemagne et, pour la première fois l’été dernier, au Maroc, illustration parfaite de la coopération multidimensionnelle entre Washington et Rabat.
Rubio s’est exprimé à plusieurs reprises sur la question du Sahara marocain. Comment sa position sur ce sujet, potentiellement plus ferme qu’auparavant, pourrait-elle impacter l’évolution de ce dossier et la relation avec les États-Unis ?
La position de Marco Rubio sur le Sahara marocain, souvent perçue comme plus ferme qu’auparavant, pourrait avoir des implications diplomatiques importantes. M. Rubio a déjà exprimé son soutien à la souveraineté marocaine sur les provinces du Sud, soulignant l’importance de renforcer la coopération avec le Maroc sur cette question. Sa position pourrait non seulement renforcer le soutien américain à la politique marocaine, mais aussi envoyer un message clair à d’autres acteurs régionaux et internationaux sur la légitimité de la position du Maroc. Si cette ligne dure se maintient, elle pourrait amplifier les efforts diplomatiques du Maroc dans ses relations internationales, surtout avec les pays du Moyen-Orient, de l’Afrique subsaharienne, et même avec les puissances européennes. En tant que secrétaire d’État, M. Rubio pourrait aussi utiliser son influence pour écarter toute tentative de déstabilisation internationale et promouvoir des résolutions diplomatiques favorables au Maroc dans les instances multilatérales, principalement l’ONU. Comme je le disais, la nomination de Marco Rubio est une excellente nouvelle pour le Maroc sur la question du Sahara marocain, tant sa position diplomatique est claire depuis plusieurs années. Il est le plus affilié à la posture «pro-Maroc» de l’administration Trump dans les Affaires étrangères.
En matière de coopération économique dans les provinces du Sud, les relations entre le Maroc et les États-Unis sont également particulièrement solides et devraient continuer à se développer, malgré les restrictions imposées par M. Rubio. Le Maroc, avec son emplacement géostratégique à la croisée des chemins entre l’Afrique, l’Europe, et le Moyen-Orient, est une porte d’entrée idéale pour les entreprises américaines désireuses d’accéder à de nouveaux marchés, notamment en Afrique. En retour, le Maroc bénéficie de la coopération américaine dans les secteurs clés tels que les technologies, les énergies renouvelables et les infrastructures. La coopération dans les énergies renouvelables est un secteur clé, avec des projets communs dans le cadre de la transition énergétique. Par exemple, la centrale solaire Noor Ouarzazate, l’une des plus grandes du monde, a bénéficié de financements et d’expertise américains, et ce type de projet pourrait continuer de prospérer sous la nouvelle administration.
Le Maroc est un partenaire stratégique des États-Unis en matière de lutte contre le terrorisme et de sécurité régionale. Comment la nomination de M. Rubio pourrait-elle relancer cette coopération ?
Le Maroc est en effet un partenaire stratégique clé des États-Unis en matière de lutte contre le terrorisme, notamment au Sahel et en Afrique du Nord. Sous la direction de Marco Rubio, cette coopération pourrait se renforcer encore davantage, en raison de la priorisation de la sécurité régionale dans la politique étrangère américaine. M. Rubio, reconnu pour son approche forte vis-à-vis de la lutte contre le terrorisme, pourrait voir dans le Maroc un allié indispensable. Les États-Unis pourraient intensifier leur soutien militaire et technologique au Maroc, notamment dans la lutte contre les groupes terroristes transnationaux pouvant dessiner un partenariat d’exception sur le plan sécuritaire, militaire et dans le domaine du renseignement. En outre, les partenariats en matière de formation militaire, ainsi que les échanges de bonnes pratiques en matière de contre-terrorisme, pourraient se multiplier, avec un accent particulier sur le renforcement des capacités des forces de sécurité marocaines. Le Maroc pourrait également bénéficier d’une aide accrue dans la lutte contre les trafics transfrontaliers et les réseaux criminels organisés, dont l’administration Trump a fait un enjeu stratégique dans sa politique de sécurité internationale comme promesse de campagne. De plus, le Maroc est un acteur majeur dans la lutte contre les réseaux terroristes et la radicalisation au niveau régional. Le Royaume a déployé des efforts remarquables pour contrôler ses frontières et renforcer la coopération régionale en matière de renseignement.