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Voici comment le Maroc peut consolider l’IA de confiance (IRES)

Alors que l'Intelligence Artificielle transforme profondément l'économie mondiale et devrait représenter 15% du PIB planétaire d'ici 2030, le Maroc cherche sa voie dans cette révolution technologique. Lors des premières Assises nationales de l'IA organisées à l'Université Mohammed VI Polytechnique, Mohammed Tawfik Mouline, directeur général de l'Institut Royal des études stratégiques, a présenté une feuille de route ambitieuse pour positionner le Royaume comme un acteur crédible de l'IA de confiance. Entre rattrapage technologique et ambitions souveraines, le pays doit relever le défi d'une gouvernance à la fois éthique, anticipatrice et participative pour ne pas subir, mais façonner cette quatrième révolution industrielle.

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Le 1er juillet 2025, lors des premières Assises nationales de l'intelligence artificielle, des chiffres fort significatifs ont été rappelés : depuis 2013, plus de la moitié des brevets déposés mondialement concernent l'IA, et les investissements devraient bondir de 50 milliards de dollars en 2020 à 185 milliards en 2026. C’est dire l’importance des enjeux pour un pays comme le Maroc qui cherche à se frayer un chemin vers l’émergence.

«L'humanité vient d'entrer dans une nouvelle ère industrielle, portée par l'IA», a indiqué à ce sujet Mohammed Tawfik Mouline, directeur général de l'Institut Royal des études stratégiques (IRES), lors d’une présentation faite à cette occasion. Face à cette disruption d'ampleur inédite, le Maroc ne peut rester en marge. La question n'est plus de savoir si cette révolution aura lieu, mais comment le Royaume peut s'approprier cette transformation pour en faire un levier de compétitivité et de souveraineté numérique, estime-t-il.

L'IA de confiance : un enjeu planétaire aux contours définis

L'intelligence artificielle ne se limite pas à une simple technologie. Elle constitue un domaine scientifique complexe où se croisent mathématiques, informatique, philosophie et sciences humaines. Selon la définition du Parlement européen, l'IA représente «tout outil utilisé par une machine afin de reproduire des comportements liés aux humains, tels que le raisonnement, la planification et la créativité», a-t-il souligné.

Cette définition prend tout son sens quand on observe l'écosystème international qui se structure autour de l'IA de confiance. Les recommandations de l'Unesco sur l'éthique de l'IA (2021), l'AI Act de l'Union européenne (2023) ou encore la résolution de l'ONU co-parrainée par le Maroc et les États-Unis en mars 2024 dessinent les contours d'une gouvernance mondiale. Mohammed Tawfik Mouline considère que «l'IA de confiance peut être définie comme une approche éthique, fondée sur quatre valeurs : droit de l'Homme et dignité humaine, sociétés pacifiques, diversité et inclusion, environnement et écosystèmes prospères». Cette convergence internationale autour de principes communs – transparence, responsabilité, équité, protection des données – offre un cadre de référence pour les pays qui, comme le Maroc, ambitionnent de développer une IA souveraine et éthique.

Panorama mondial : stratégies nationales et modèles de gouvernance

L'analyse des stratégies nationales révèle des approches contrastées, mais convergentes vers une même finalité : capter les dividendes politiques et économiques d'une technologie devenue vecteur de puissance. Les États-Unis, forts de la domination des GAFAM (Google, Apple, Facebook-Meta, Amazon et Microsoft), privilégient une approche libérale soutenue par l'American AI Initiative de 2019. Depuis l'élection du Président Trump, cette stratégie repose sur une vision décentralisée où «chaque État établit ses propres règles», selon l'analyse présentée aux Assises.

Le modèle asiatique offre d'autres perspectives. La Chine, avec son plan ambitieux 2017-2030, vise le leadership mondial grâce à une coordination étroite entre État, secteur privé et universités. L'Inde, quant à elle, développe sa mission «India AI» pour bâtir un écosystème éthique et souverain, nourrissant l'ambition de devenir un fournisseur de solutions «AI-for-Good» exportables vers les économies du Sud.

L'Europe, bien qu'en retard technologique, «a proposé un cadre réglementaire ambitieux» avec l'AI Act, première réglementation mondiale spécifiquement conçue pour encadrer l'IA. Le programme Invest AI, lancé en 2025, mobilise 200 milliards d'euros pour construire des «giga-usines européennes de l'intelligence artificielle».

Le Maroc : des atouts à consolider

Le diagnostic dressé par Mohammed Tawfik Mouline révèle un Maroc aux fondations solides, mais au positionnement international «actuellement inapproprié». Plusieurs initiatives confèrent déjà au pays une visibilité internationale notable : le Centre «AI Movement» de l'Université Mohammed VI Polytechnique, labellisé catégorie 2 par l'Unesco, l'École d'ingénierie digitale et d'intelligence artificielle de l'Université Euromed, ou encore le TICLab de l'Université Internationale de Rabat.

Le paysage institutionnel marocain s'articule autour du ministère de la Transition numérique et de plusieurs acteurs clés : l'Agence de développement du digital, l'Agence nationale de réglementation des télécommunications, la Direction générale de la Sûreté nationale, ou encore la Commission nationale de contrôle de la protection des données. Cette architecture institutionnelle, complétée par la «Cellule numérique» créée en mars 2024 au sein du secrétariat général du gouvernement, témoigne d'une prise de conscience des enjeux. Pourtant, «bien que le Royaume ne dispose pas encore d'une stratégie nationale en matière d'intelligence artificielle», observe le directeur général de l'IRES, les efforts entrepris doivent être consolidés pour améliorer significativement le positionnement international du Maroc.

Vers une gouvernance souveraine, anticipatrice et participative

Face à ces défis, Mohammed Tawfik Mouline propose une approche structurée autour de trois piliers fondamentaux pour une gouvernance de l'IA de confiance au Maroc. La gouvernance souveraine constitue le premier pilier. Elle implique de s'inspirer de l'approche régulatrice européenne pour établir une loi capable d'assurer sécurité, transparence et protection des droits fondamentaux face à l'IA. Cette gouvernance nécessite également la création d'une entité dédiée à la régulation de l'IA de confiance, en harmonie avec les spécificités culturelles et socio-économiques nationales, propose-t-il.

La gouvernance anticipatrice forme le deuxième pilier. Elle vise à mettre en œuvre une prospective des impacts de l'IA au niveau national, particulièrement dans trois domaines cruciaux : l'emploi, pour prévoir l'évolution des métiers et réorienter le système éducatif ; la science et la technologie, en encourageant la veille scientifique ; les secteurs économiques, pour anticiper les gains de compétitivité dans l'agriculture, l'industrie, la logistique et les services.

Enfin, la gouvernance participative devrait compléter cette architecture, suggère Mohammed Tawfik Mouline. Elle suppose l'institution de comités de «démocratie participative» dans les secteurs public et privé, intégrant des principes d'éthique et de transparence. Cette approche implique également d'adopter une gouvernance territorialisée pour mieux prendre en compte les besoins spécifiques de chaque région du Royaume.

Un positionnement stratégique pour l'avenir

Selon l’IRES, l'ambition est claire : faire de l'IA «un métier mondial du Maroc, un accélérateur pour la consolidation de l'État social et un atout pour la diplomatie du Royaume». Cette vision suppose une participation active aux initiatives et forums mondiaux sur la gouvernance de l'IA, à l'instar de l'engagement du Maroc à l'ONU, pour contribuer à l'élaboration des normes internationales.

La feuille de route proposée privilégie la formation des talents, l'innovation, le partenariat entre l'État, les universités et les acteurs économiques, ainsi que la coopération internationale. «Une approche à la fois souveraine, anticipatrice et participative devrait être adoptée par le Maroc pour qu'il puisse se positionner comme un acteur crédible et avoir une influence dans le développement d'une Intelligence artificielle de confiance», conclut Mohammed Tawfik Mouline.
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