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Autisme : l'insuffisance de la prise en charge au Maroc selon M’hammed Sajidi

La Journée mondiale de sensibilisation à l’autisme, célébrée le 2 avril de chaque année, est l’occasion de sensibiliser à ce trouble et mettre en avant les obstacles qui empêchent les personnes autistes de jouir pleinement de leurs droits. Dans cet entretien, M’hammed Sajidi, président fondateur de «Vaincre L’autisme Maroc», partage avec les lecteurs du journal «Le Matin» ses réflexions sur les progrès réalisés dans ce domaine ainsi que les défis qui persistent et qui nécessitent une attention particulière de l’État et de la société.

Le Matin : Tout d’abord, rappelez-nous les dernières statistiques sur le nombre estimé de personnes autistes au Maroc ?

M’hammed Sajidi :
Selon les estimations internationales, «Vaincre L’autisme Maroc» évalue à 1 naissance sur 50, soit 2%, le nombre d’enfants porteurs de TSA (Troubles du spectre autistique), ce qui, aujourd’hui, au Maroc nous donne 740.000 personnes touchées, dont 280.000 enfants, soit 14.000 naissances par an, 36 naissances par jour. Sachant que le Maroc n’a pas procédé à une étude épidémiologique, le nombre de cas ne cesse d’augmenter et le gouvernement n’a pas encore mis en place un plan ou une stratégie nationale pour la prise en charge de l’autisme.

Quels sont les principaux défis auxquels sont confrontées les personnes autistes et leurs familles en matière d’accès aux services de santé, d’éducation et d’emploi au Maroc ?

Les premières difficultés rencontrées par les parents sont liées au manque d’information sur l’autisme, l’absence de diagnostic précoce et l’absence d’accompagnement. Le manque de formation des professionnels est criant. Quand les parents ont la chance d’obtenir un diagnostic précoce, ils ne sont orientés nulle part parce qu’il n’y a pas de structures spécialisées ou des professionnels qualifiés. La prise en charge de l’autisme est limitée au Maroc, ce qui entraîne des coûts indirects élevés tels qu’une perte de productivité pour les parents qui doivent s’occuper de leurs enfants autistes à plein temps. Les prises en charge qui sont coûteuses et fragilisent économiquement les familles. Les estimations varient entre 2.500 et 12.000 DH par mois. C’est ainsi que les parents sont isolés et seuls à se battre pour tenter de répondre aux besoins de leurs enfants, en matière de soin ou d’éducation. Quant à l’emploi des adultes autistes au Maroc, il est rarissime, voire inexistant !



Comment l’autisme est-il actuellement diagnostiqué et pris en charge au Maroc ? Y a-t-il des initiatives en cours pour améliorer ce processus ?

Nous avons constaté quelques progrès pour le diagnostic précoce de l’autisme par des professionnels libéraux, mais pas dans les établissements publics. Généralement, les batteries de tests, y compris pour d’éventuels diagnostics différentiels, ne sont pas utilisées ! Si on analyse la politique de santé publique orientée vers l’autisme, on peut considérer que les enfants autistes ne sont ni soignés ni éduqués au Maroc. Malgré quelques avancées à nuancer concernant la formation de professionnels ou les tentatives d’inclusion des enfants différents à l’école, sans accompagnement psycho-éducatif qui voue souvent cette inclusion en échec. En clair, il n’y a aucun processus pour le diagnostic, ni pour la prise en charge ni pour le traitement de l’autisme. Quant à la prévention contre la maladie, nous sommes très loin du compte puisqu’aucun programme de recherche ou de dépistage n’est en cours au Maroc. Il devient urgent, pour le Maroc, de lancer la création de centres de références pour les dépistages et le diagnostic précoce et des unités d’intervention psycho-éducative précoce.

Quels sont les services de soutien disponibles pour les personnes autistes au Maroc, tels que les centres de réadaptation, les thérapies spécialisées, etc. ?

Il y a un manque criant d’établissements pour délivrer une prise en charge spécialisée en autisme. Des associations de parents agissent selon leur énergie et leurs moyens. Quant à «Vaincre L’autisme Maroc», elle a développé FuturoSchool Rabat, une unité d’évaluation, d’intervention et de guidance parentale en autisme qui est la première école ABA au Maroc, unique et d’excellence, s’appuyant sur une démarche rigoureuse et scientifique impliquant les parents. Il s’agit d’une unité de traitement des troubles du comportement, qui permet le développement de l’enfant et son intégration scolaire et sociale. Ce concept est créé par notre association, en 2004 à Paris, et a ouvert ses portes à Rabat en 2018 grâce à son modèle reproductible à l’international. FuturoSchool Rabat délivre des séances d’intervention en 1 pour 1 basées sur un programme individualisé suite à une évaluation précise des difficultés et des compétences de l’enfant. Ces programmes sont réadaptés hebdomadairement. Les parents bénéficient d’une heure de guidance parentale hebdomadaire lors de laquelle ils sont co-auteurs du programme et co-intervenants pour l’application à domicile. Ces programmes sont validés par des superviseurs de haut niveau toutes les semaines pour qu’ils correspondent parfaitement aux besoins de l’enfant. L’équipe d’intervention est également supervisée hebdomadairement afin de bien maîtriser les programmes et de les délivrer dans la semaine qui suit. Cette supervision hebdomadaire des professionnels est appuyée par des formations internes régulières durant toute la durée de leur contrat de travail. FuturoSchool Rabat est installée dans une école publique (une exception marocaine progressiste) à Souissi, certains de ses enfants sont intégrés dans les classes ordinaires de cette même école, accompagnés par des intervenants spécialisés, certains d’entre eux font même partie des premiers de la classe. Des résultats probants qui nous permettent de considérer que la reproduction du concept FuturoSchool à Rabat est une réussite et mérite d’être développée pour les autres enfants. Évidemment, cette qualité de prise en charge a un coût que les parents ne peuvent pas assumer pleinement, il y a donc besoin de soutien de secteurs privés et publics. Notre objectif, par la réussite de FuturoSchool Rabat, est de pouvoir développer, dans le royaume, des unités d’intervention précoce et inclusive avec une réelle économie de santé adaptée au Maroc et une économie d’échelle.

Existe-t-il des programmes gouvernementaux ou des politiques spécifiques visant à soutenir les personnes autistes au Maroc ?

À l’heure actuelle, aucune stratégie de prise en charge pour l’autisme n’est mise en place par le gouvernement au Maroc. Les enfants autistes sont considérés comme des enfants à besoins spécifiques, pour certains ils arrivent à accéder à des centres de prise en charge, malheureusement non adaptés aux spécificités de l’autisme. L’État marocain ne concède qu’une somme de 900 DH par mois pour la prise en charge d’un enfant à besoins spécifiques et impose aux parents de prouver qu’ils sont démunis. Si un parent ne remplit pas cette condition, son enfant ne pourra pas avoir de prise en charge, ce qui est totalement discriminatoire par rapport aux droits de l’enfant. À l’occasion de la dix-septième édition de la Journée mondiale de sensibilisation à l’autisme, Aawatif Hayar, ministre de la Solidarité, de l’insertion sociale et de la famille, a annoncé que pour les enfants autistes l’aide est augmentée à 1.200 DH. Les questions qui se posent sont : Pour qui ? Pour quand ? Alors que le secrétaire général de l’ONU, António Guterres, vient de déclarer qu’«à travers le monde, des obstacles continuent d’empêcher les personnes autistes d’exercer leurs droits fondamentaux à l’éducation, à l’emploi et à l’inclusion sociale...», le Maroc n’en est pas une exception.

«Vaincre L’autisme Maroc» interpelle Mme la ministre : comment peut-on prendre en charge correctement un enfant autiste, avec cette somme, sachant qu’un intervenant spécialisé va avoir un salaire qui varie entre 4.000 et 6.000 DH par mois ? En 2009, notre association a publié un rapport sur la situation de l’autisme au Maroc, qui a légèrement fait bouger le gouvernement, mais depuis cette date, nous avons constaté qu’il y a une augmentation du nombre des associations qui sont pour la plupart livrées à elles-mêmes, ce qui est également notre cas.

Au niveau de la politique publique, notamment en matière de stratégie de santé pour l’autisme, une seule formation a été mise en place, ce qui n’est pas suffisant. À l’heure actuelle, aucun financement n’est alloué par l’État pour la prise en charge des enfants autistes, ce qui fait que les parents sont livrés à eux-mêmes et à la merci du peu de professionnels formés, dont certains profitent de la situation.

Comment l’autisme est-il perçu dans la société marocaine ? Y a-t-il des stigmates ou des préjugés associés à l’autisme ?

Le retard est colossal dans les petites villes et les lieux ruraux. Par manque d’information et d’action politique de sensibilisation, un grand nombre de Marocains continuent à considérer les personnes autistes comme des débiles mentaux ou des fous, voire des possédés par le diable.

En général, l’enfant est stigmatisé par ces préjugés et la vie devient plus compliquée pour les parents puisque les membres de leur propre famille et leurs amis ont du mal à comprendre ce qui rend la tâche difficile et finit par isoler l’enfant et ses parents. Avec l’implication des médias et de la société civile marocaine, les Marocains instruits commencent à découvrir l’autisme et les personnes autistes.

Quels sont les besoins les plus urgents en matière de sensibilisation, de diagnostic, de prise en charge et de soutien pour les personnes autistes au Maroc, selon votre organisation ?

L’action la plus urgente est à effectuer par le ministère de la Santé pour la reconnaissance de l’autisme et de ses besoins spécifiques. L’autisme doit être reconnu avant tout en tant que véritable problème de santé publique et doit permettre la prise en charge des besoins en matière de soins et d’éducation, particulièrement les prises en charge psycho-éducatives pour qu’ils soient remboursés par la Sécurité sociale et par les Mutuelles au Maroc. Il faut rappeler qu’actuellement les enfants autistes n’accèdent à aucune aide de ces organismes. Le ministère doit, également, diligenter une étude épidémiologique sur l’autisme et orienter la politique de santé publique selon les résultats de cette étude.

Il est essentiel que les dirigeants, les professionnels et les familles prennent en considération que l’autisme est un trouble qui est hétérogène et qui diffère d’un enfant à l’autre. Raison pour laquelle il est nécessaire de mettre en place des dispositifs structurés pour un processus d’intervention régulier, adapté, et individualisé sur le plan psycho-éducatif qui permettrait de délivrer à l’enfant les outils et les apprentissages nécessaires afin de communiquer avec son environnement familial et social. À ce titre, les exemples d’unités au sein de classes spécialisées intégrées dans une école ordinaire sont la meilleure alternative pour pouvoir répondre aux besoins de l’enfant et au besoin de son intégration dans l’école. Les équipes intervenantes au sein de ces unités doivent recevoir des formations et des supervisions tout au long de leur intervention auprès des enfants. La compréhension du besoin des professionnels est une priorité afin de les aider à répondre à toute situation nouvelle à gérer avec l’enfant autiste. À chaque fois qu’une intervention est bien appliquée auprès d’un enfant, l’enfant progresse, et le professionnel devient limité dans ses compétences, il a donc besoin d’un niveau supérieur pour le guider vers la suite des programmes. Pour ce faire, le ministère de l’Éducation nationale doit faciliter le processus en donnant des espaces au sein des écoles pour la création de ces unités d’intervention spécialisées à petit effectif et la formation de ses enseignants. Le ministère de la Solidarité doit contribuer à la mise en place et au financement de ces unités.

Enfin, le gouvernement devrait rapidement agir pour la mise en place d’une véritable stratégie nationale de prise en charge de l’autisme.
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