Que reste-t-il de nos libertés quand les algorithmes anticipent nos choix ? Que deviennent les partis politiques, les enseignants, les collectivités ou même les citoyens face à des plateformes numériques devenues omniprésentes ? Ce sont ces questions qu’un collectif de chercheurs marocains tente d’éclairer dans un ouvrage récemment publié, «Au-delà des écrans : espace numérique, communication et dynamiques sociales au Maroc». Présenté le 10 avril à la Faculté des lettres Ben M’Sik de Casablanca, le livre est le fruit d’un travail coordonné par le laboratoire LOGOS (Laboratoire de recherches en communication et philosophie), sous la direction du professeur Jaouad Bennis, également auteur de l’un des chapitres.
La rencontre a été modérée par la professeure Hayat Zirari et a permis de présenter les grandes lignes d’une publication ambitieuse, à la fois rigoureuse sur le plan scientifique et profondément ancrée dans les réalités marocaines. Le constat général qui en ressort est clair : le numérique n’est pas un simple outil neutre. Il reconfigure nos relations sociales, nos institutions, notre rapport à la vérité, au savoir, à la citoyenneté.
L’ouvrage est structuré en trois grands axes. Le premier, intitulé «La technologie à l’œuvre», s’intéresse aux mécanismes de pouvoir liés aux technologies numériques. Dans un article particulièrement marquant, les chercheurs Nabyl Eddahar et Houda Terrab analysent la montée d’un «capitalisme de surveillance» dans lequel les citoyens ne sont plus seulement des utilisateurs, mais des cibles, des données, des profils à monétiser. Ils décrivent l’émergence d’une nouvelle forme de gouvernance – algorithmique, discrète, mais puissante – qui influence les comportements individuels sans passer par les cadres habituels du débat public. Ce même axe aborde aussi la manière dont le numérique redéfinit les campagnes politiques. À travers une analyse des dépenses publicitaires sur Facebook pendant les élections de 2021, un autre chapitre, rédigé par Pr Zakaria Mekouar et Saad Jafri, montre que les partis ayant le plus investi dans la promotion en ligne – notamment le RNI – ont aussi enregistré les meilleures performances électorales. La communication politique ne passe plus seulement par les meetings ou les médias traditionnels : elle s’infiltre dans nos flux d’actualités, ciblée, personnalisée, parfois indétectable.
L’ouvrage est structuré en trois grands axes. Le premier, intitulé «La technologie à l’œuvre», s’intéresse aux mécanismes de pouvoir liés aux technologies numériques. Dans un article particulièrement marquant, les chercheurs Nabyl Eddahar et Houda Terrab analysent la montée d’un «capitalisme de surveillance» dans lequel les citoyens ne sont plus seulement des utilisateurs, mais des cibles, des données, des profils à monétiser. Ils décrivent l’émergence d’une nouvelle forme de gouvernance – algorithmique, discrète, mais puissante – qui influence les comportements individuels sans passer par les cadres habituels du débat public. Ce même axe aborde aussi la manière dont le numérique redéfinit les campagnes politiques. À travers une analyse des dépenses publicitaires sur Facebook pendant les élections de 2021, un autre chapitre, rédigé par Pr Zakaria Mekouar et Saad Jafri, montre que les partis ayant le plus investi dans la promotion en ligne – notamment le RNI – ont aussi enregistré les meilleures performances électorales. La communication politique ne passe plus seulement par les meetings ou les médias traditionnels : elle s’infiltre dans nos flux d’actualités, ciblée, personnalisée, parfois indétectable.
Le deuxième axe s’intéresse aux usages sociaux du numérique. On y découvre, par exemple, que les coopératives de l’économie sociale et solidaire peinent à tirer parti des outils digitaux, faute de moyens ou d’accompagnement adapté. Que l’introduction de ChatGPT dans l’éducation suscite autant d’espoirs que d’inquiétudes, notamment sur le rôle des enseignants et la qualité de l’apprentissage. Et que sur YouTube, les créateurs de contenu marocains évoluent dans un espace encore fortement genré : les hommes dominent numériquement, les femmes sont cantonnées à certains types de contenus, comme le lifestyle ou la cuisine. Les chercheuses Basma Kaissy et Hayat Zirari soulignent que ces inégalités prolongent des schémas culturels anciens, tout en s’habillant de modernité.
Enfin, le dernier axe porte sur la communication en situation de crise. L’un des articles s’appuie sur une enquête menée auprès de journalistes marocains, interrogés sur la communication gouvernementale pendant la flambée des prix alimentaires. Résultat : une parole institutionnelle jugée floue, tardive, peu crédible. L’usage des influenceurs comme relais de communication est même perçu par certains comme un facteur aggravant. Dans un autre chapitre, la chercheuse Amal Essemlali montre que les crises – sanitaires, économiques ou sociales – ne se gèrent plus comme avant. Elles se propagent sur les réseaux, se transforment en récits viraux et exigent des réponses en temps réel. La communication de crise ne peut plus se contenter d’un communiqué ou d’une conférence de presse : elle doit écouter, reconnaître, ajuster...
Au fil des chapitres, un fil rouge se tisse : la nécessité d’un regard critique sur le numérique. Non pour le rejeter, mais pour le comprendre. Ce que les auteurs défendent, en creux, c’est une forme de vigilance citoyenne. Le numérique ne doit pas être laissé aux seuls ingénieurs ou communicants. Il concerne aussi les éducateurs, les élus, les chercheurs, les journalistes et tous les citoyens. « Ce livre n’est pas un manifeste, il pose des questions », rappelle le professeur Bennis. Il invite à penser les effets invisibles des écrans, à interroger ce que nous y mettons, ce que nous y perdons, et ce que nous pourrions y reconquérir.
Au fil des chapitres, un fil rouge se tisse : la nécessité d’un regard critique sur le numérique. Non pour le rejeter, mais pour le comprendre. Ce que les auteurs défendent, en creux, c’est une forme de vigilance citoyenne. Le numérique ne doit pas être laissé aux seuls ingénieurs ou communicants. Il concerne aussi les éducateurs, les élus, les chercheurs, les journalistes et tous les citoyens. « Ce livre n’est pas un manifeste, il pose des questions », rappelle le professeur Bennis. Il invite à penser les effets invisibles des écrans, à interroger ce que nous y mettons, ce que nous y perdons, et ce que nous pourrions y reconquérir.