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Grève des enseignants : doit-on craindre une nouvelle crise dans le secteur ?

La Coordination nationale du secteur de l’éducation a organisé le 5 octobre une nouvelle grève, relançant les revendications des enseignants face à la lenteur des réformes promises par le gouvernement. Bien que la mobilisation n’ait pas rassemblé tous les enseignants, beaucoup partagent les préoccupations de leurs collègues. Le spectre d’un scénario semblable à celui de l’an dernier inquiète les parents et menace de perturber une fois de plus la continuité pédagogique. Décryptage.

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La célébration de la Journée mondiale des enseignants, le 5 octobre, a été marquée cette année par une grève inattendue qui a surpris de nombreuses personnes. Alors que l’on croyait que l’année scolaire 2024-2025 débuterait sans heurts après les perturbations massives de l’an passé, les enseignants ont une fois de plus choisi de faire entendre leurs revendications. Ils protestent contre le non-respect par le gouvernement et le ministère de l’Éducation nationale des engagements pris dans le cadre du nouveau statut des fonctionnaires de l’éducation, ainsi que de l’accord du 26 décembre 2023.

Certes, cette manifestation n’a pas connu la participation de tous les enseignants, mais même ceux qui ne se sont pas joints au mouvement estiment qu’il est légitime de défendre leurs droits. Ils partagent les revendications de leurs collègues, particulièrement face à la lenteur de l’application des engagements pris par le gouvernement. «La grève de samedi dernier n’a pas été très marquée, car elle n’a connu la participation que des enseignants membres la coordination nationale du secteur de l’éducation. Nous considérons toutefois que la défense des droits des enseignants est tout à fait normale. L’amélioration de leurs conditions de travail est indispensable pour garantir un système éducatif de qualité», déclare au journal «Le Matin» Saad Abil, membre du comité administratif national de la Fédération nationale de l’enseignement (FNE). «Des réunions régulières sont organisées entre les représentants des enseignants et le ministère de l’Éducation nationale. Pour le moment, nous pensons qu’il est préférable de patienter avant de planifier de nouvelles manifestations. Plusieurs engagements ont tout de même été honorés, même si d’autres demeurent en suspens. Il s’agit entre autres de la réduction des heures de travail et les indemnités complémentaires qui ont été attribuées uniquement aux enseignants du lycée, laissant de côté ceux du collège, du primaire ainsi que les assistants éducatifs...», ajoute M. Abil.

Le retour aux grèves est possible

Cette première grève suscite des inquiétudes parmi les parents, qui craignent un retour à un scénario similaire à celui de l’année dernière, où de longues grèves avaient gravement impacté le parcours scolaire des élèves, provoquant des retards dans les programmes et une incertitude générale dans le secteur éducatif. Le représentant de la FNE souligne que les enseignants préfèrent pour l’instant continuer de faire preuve de confiance envers le ministère, espérant que celui-ci s’efforcera de résoudre les problèmes restants. «Si des grèves doivent être envisagées ultérieurement, il est crucial qu’elles soient menées de manière réfléchie afin d’éviter les blocages rencontrés l’année précédente. Une approche constructive et bien planifiée est essentielle pour garantir que les voix des enseignants soient entendues tout en minimisant les perturbations dans le système éducatif», affirme notre interlocuteur.

Entretien avec Abdennasser Naji, expert en éducation et président de la Fondation Amaquen pour une éducation de qualité : En attendant la loi sur la grève, l’école doit bénéficier de toutes les précautions possibles pour la préserver des conséquences néfastes de ces tensions

Grève des enseignants : doit-on craindre une nouvelle crise dans le secteur ?



Le Matin : La grève organisée le 5 octobre dernier pourrait marquer le début d’une nouvelle série de manifestations. Quel est l’impact, à long terme, des grèves récurrentes sur le niveau scolaire des élèves au Maroc, surtout après ce qui s’est passé l’année dernière ?

Abdennasser Naji :
L’impact dépend de l’ampleur de la grève en termes de durée et de nombre de grévistes. Pour donner un ordre de grandeur, chaque enseignant en grève touche en moyenne 30 élèves et il suffit de multiplier par le nombre de grévistes pour connaître le nombre d’élèves concernés par les arrêts de cours. Chaque élève aura à comptabiliser le nombre d’heures que chaque enseignant lui a fait manquer et le multiplier par le nombre d’enseignants qui ont fait la grève pour faire le compte des heures de cours qui manquent à son actif scolaire. À titre d’exemple les 200.000 enseignants environ qui étaient en grève l’année dernière ont perturbé la scolarité normale de 6 millions d’élèves avec en moyenne une perte sèche de 3.600 heures de cours pour chaque élève. Cette paralysie de l’école marocaine aurait coûté à l’État la somme faramineuse de 18 milliards de dirhams, ce qui représente 1,5% de PIB. Le plus alarmant en revanche, c’est la perte engendrée par la grève au niveau des apprentissages des élèves, en plus du gap qui ne cesse de s’accentuer entre les écoles publiques et les écoles privées, celles-ci n’ayant pas pâti des perturbations des cours puisque les enseignants qui y travaillent n’ont pas fait grève. Cet impact négatif sur les apprentissages aura des incidences néfastes sur la qualité de notre système éducatif, que ce soit au niveau des résultats des élèves marocains dans les tests internationaux tels «TIMSS» (Trends in Mathematics and Science Study) et «PISA» (Programme international pour l’évaluation des élèves), ou au niveau de l’Indice du capital humain de la Banque mondiale. Surtout avec la politique de la réussite scolaire sans mérite prônée par le ministère de l’Éducation nationale, y compris au baccalauréat dont les taux de réussite augmentent d’une manière spectaculaire même en période de crise d’apprentissage, comme c’était le cas l’année dernière marquée par une grève continue de plus de trois mois.

Comment évaluez-vous les efforts du ministère pour rattraper les retards accumulés suite aux grèves de l’année dernière ? Quelles sont, selon vous, les meilleures pratiques pour aider les élèves à rattraper le temps perdu ?

Certes, le ministère a fait de son mieux pour rattraper le temps perdu à travers des mesures visant à recentrer le programme scolaire sur les apprentissages essentiels, renforcer le soutien scolaire et prolonger l’année scolaire d’une semaine. Il reste néanmoins clair que malgré l’importance des efforts entrepris, ils n’ont pas réussi à résorber tout le déficit enregistré au niveau des apprentissages des élèves qui s’est creusé davantage suite aux séquelles engendrées par la Covid-19 et qui ne sont pas entièrement effacées. Les meilleures pratiques pour faire face à ce genre de situation se répartissent en deux types. Celles d’ordre préventif qui visent à éliminer les causes des grèves en instaurant une politique de gestion motivante de la carrière des enseignants en concertation avec leurs représentants, et en réglementant le recours à la grève d’une manière qui assure la continuité des services de l’enseignement, mais qui garantit en même temps les droits des enseignants sur la base d’une charte déontologique à respecter par les différentes parties prenantes. Il y a aussi des mesures d’ordre curatif qui consistent à minimiser les conséquences des grèves par des mesures d’atténuation comme le soutien scolaire, le remplacement des heures perdues et l’exploitation des technologies éducatives qui ne cessent de se développer surtout avec l’apport inestimable de l’intelligence artificielle.

Quels mécanismes pourrait-on mettre en place pour garantir la continuité pédagogique en cas de nouvelles perturbations, notamment avec les outils numériques ou d’autres solutions alternatives ?

L’alternative numérique est plus que jamais une solution envisageable pour garantir la continuité pédagogique dans les situations de crise telles celle de la Covid-19 ou les grèves de longue durée. La révolution technologique actuelle dont le fer de lance est l’intelligence artificielle menace beaucoup de métiers qui risquent soit de se transformer soit de disparaître complètement. Le métier d’enseignant figure dans le registre de transformation. Ainsi, plusieurs tâches traditionnellement réalisées par l’enseignant commencent à être assurées avec efficacité par la machine. Nous pouvons citer à ce titre l’élaboration des examens et leur correction, le script des leçons, le séquencement pédagogique des courts et la gestion des classes, entre autres. La liste est en train de s’enrichir par d’autres tâches encore et le futur promet d’autres enrichissements. En période de perturbations des cours pour une raison ou une autre l’administration peut recourir au numérique pour assurer la continuité pédagogique, comme solution de rechange qui ne peut jamais remplacer l’enseignant qui demeurera l’élément incontournable dans l’opération d’enseignement.

Les grèves affectent non seulement le rythme scolaire, mais aussi la motivation des élèves et des enseignants. Quels sont les effets psychologiques ou émotionnels sur les élèves, et comment peut-on les soutenir pour qu’ils ne perdent pas leur motivation à apprendre ?

C’est justement à ce niveau que l’enseignant reste et restera irremplaçable. D’ailleurs, la leçon fondamentale que tous les pays ont retenue de l’expérience de l’enseignement à distance lors de la Covid-19, c’est que l’apprentissage efficace a besoin de tenir compte d’une dimension incontournable, la dimension émotionnelle. L’apprenant est un être humain qui ne réagit favorablement à l’appel au savoir que s’il est prêt psychologiquement en développant des attitudes positives envers l’apprentissage. Une telle posture émotionnelle ne peut se construire que par l’aide d’un autre être humain qui est l’enseignant. Pour ce faire, celui-ci doit être formé non seulement en tant que pourvoyeur de savoir et constructeur de compétences cognitives, mais aussi en tant que leader social, coach psychologique et meneur d’équipes. Malheureusement, quand l’enseignant n’a pas ces compétences, la motivation extrinsèque de l’élève fait défaut, ce qui peut même affecter sa motivation intrinsèque, et par conséquent atténuer considérablement son envie d’apprendre.

Pensez-vous que le dialogue social entre le ministère et les syndicats enseignants est suffisamment structuré pour éviter ces grèves à répétition ?

Le dialogue social se déroule selon un calendrier fixé par le gouvernement, mais les tensions persistent dans plusieurs secteurs, dont celui de l’enseignement, mais à un degré moindre. La très haute tension qui a ébranlé ce secteur l’année dernière a, semble-t-il, renforcé le dialogue avec les syndicats, bien que la vitesse de prise de décision concernant les dossiers en suspens reste lente, d’autant qu’il s’agit de la mise en application des accords déjà signés. Cette lenteur risque de soulever des contestations de la part des enseignants concernés.

Quelles initiatives pourrait-on envisager pour renforcer la collaboration entre les parents, les enseignants et les autorités éducatives afin d’assurer un environnement d’apprentissage stable, même en période de tensions sociales ?

En attendant la loi sur la grève en cours de négociations, l’école doit bénéficier de toutes les précautions possibles pour la préserver des conséquences néfastes générées habituellement par les tensions sociales. De la part de l’enseignant d’abord, qui ne doit recourir à son droit à la grève qu’en cas de force majeure et après avoir tenté toutes les voies possibles de négociations, de la part des parents ensuite, qui doivent dans la mesure du possible aider leurs enfants à se maintenir dans la situation d’apprentissage au moins partiel, et enfin de la part des autorités éducatives, qui ont le devoir de fournir aux enseignants les conditions de travail adéquates à même de les hausser à un statut social motivant et respectable. Les syndicats ont aussi un rôle à jouer pour rétablir l’équilibre souhaité entre les droits et les devoirs de toutes les parties, qui puisse en même temps assurer la dignité des enseignants et le droit à l’éducation pour nos enfants.

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