Une accumulation graisseuse... qui n’obéit à aucune règle
Le lipœdème est une maladie du tissu adipeux qui se manifeste par une accumulation anormale de graisse au niveau des jambes, des hanches, parfois des bras, mais rarement du haut du corps, ce qui crée une silhouette disproportionnée. Plus qu’un problème d’apparence, il s’agit d’une maladie invalidante, héréditaire, hormono-dépendante, souvent déclenchée ou aggravée à la puberté, pendant une grossesse ou à la ménopause.
Ce qui distingue le lipœdème d’un simple surpoids, ce sont les douleurs chroniques, la sensation de jambes lourdes, les ecchymoses spontanées, et une résistance totale aux régimes et au sport. «Même la chirurgie bariatrique, recommandée dans l’obésité morbide, n’a aucun effet sur cette graisse particulière», précise le Dr Benslimane. «Le tissu adipeux du lipœdème est biologiquement distinct de celui de l’obésité. Il résiste généralement aux différentes méthodes classiques.»
Une errance médicale fréquente
Le grand drame du lipœdème, c’est qu’il est rarement reconnu, même par les professionnels. «Cette pathologie demeure largement sous-diagnostiquée, notamment parce qu’elle n’est pas enseignée dans les cursus médicaux ou chirurgicaux», regrette le Dr Benslimane. Conséquence : de nombreuses femmes passent des années à subir des traitements inadaptés, à culpabiliser ou à sombrer dans la dépression. Aujourd’hui encore, aucune donnée précise n’existe au Maroc sur la prévalence de cette pathologie. Face à cela, le Dr Benslimane appelle à une action collective : «Ce qui compte avant tout, c’est briser le silence autour du lipœdème, former les professionnels, mieux informer le grand public et favoriser la reconnaissance institutionnelle de cette pathologie».
Une prise en charge existe, à condition d’être bien orientée
Malgré ce parcours semé d’embûches, des solutions adaptées existent à condition d’un bon diagnostic et d’un accompagnement spécialisé. En effet, le traitement du lipœdème repose avant tout sur une approche globale : activité physique douce (yoga, Pilates, marche), alimentation anti-inflammatoire, port de bas de contention, drainage lymphatique, pressothérapie, voire cryothérapie. En cas de formes avancées, une liposuccion spécialisée peut être envisagée. «Attention, ce n’est pas une liposuccion esthétique comme les autres, mais un acte médical pensé pour soulager, remodeler et stopper la progression de la maladie», insiste le spécialiste. À l’occasion du mois de sensibilisation au lipœdème, célébré chaque mois de juin, une chose est sûre : nommer la maladie, c’est déjà libérer celles qui en souffrent. «Le lipœdème n’est pas une fatalité. C’est une pathologie qui mérite d’être entendue et prise en charge. En parler, c’est déjà commencer à se soigner», conclut le Dr Benslimane.
Questions au chirurgien plasticien, spécialiste du lipœdème
Dr Fahd Benslimane : «À un stade avancé, un handicap sévère peut s’installer, rendant la marche difficile»

Les femmes atteintes de lipœdème au Maroc mettent-elles longtemps avant d’obtenir un diagnostic ? Quels freins rencontrent-elles ?
En effet, les patientes mettent souvent plusieurs années avant d’obtenir un diagnostic, car elles pensent initialement souffrir d’un simple excès de poids lié à leur alimentation. Elles entreprennent des régimes parfois très stricts, qui entraînent une perte de poids significative au niveau du visage, du buste et du haut du corps, mais sans impact sur les jambes, les genoux, les mollets ou les chevilles, les zones justement affectées par le lipœdème.
Cette absence de résultats crée une profonde frustration, accentuée par les remarques culpabilisantes de l’entourage, qui les pousse à «manger moins» ou à faire davantage de sport, renforçant ainsi leur sentiment d’échec et d’isolement.
Quels sont les signes qui doivent alerter les médecins généralistes et les patientes ?
Le signe principal est une accumulation symétrique de graisse au niveau des membres inférieurs, souvent douloureuse à la pression, qui survient quasi exclusivement chez la femme. Les bras peuvent aussi être touchés. Cette graisse ne disparaît pas malgré l’amaigrissement. Le caractère héréditaire du lipœdème est d’environ 60%. L’évolution se fait généralement par poussées, souvent déclenchées par des événements hormonaux (puberté, grossesse et ménopause).
Quels impacts physiques et psychologiques le lipœdème peut-il avoir sur la vie quotidienne des femmes ?
L’impact psychologique est souvent majeur : les patientes souffrent d’un profond découragement face à l’inefficacité des régimes, malgré des efforts importants et une activité physique régulière. Elles se sentent incomprises, voire stigmatisées, y compris par certains professionnels de santé qui confondent la pathologie avec l’obésité. Cela peut conduire à une véritable dépression.
Sur le plan physique, les douleurs, principalement localisées au niveau des jambes, deviennent de plus en plus invalidantes. De nombreuses patientes rapportent avoir été dispensées de sport dès l’enfance, incapables de suivre le rythme des autres. Les déformations des genoux peuvent entraîner des chutes fréquentes, voire des fractures, à cause du frottement entre les deux genoux épaissis. À un stade avancé, un handicap sévère peut s’installer, rendant la marche difficile, voire impossible. D’où l’importance cruciale d’un diagnostic précoce.
Dispose-t-on au Maroc de centres ou de professionnels véritablement formés au dépistage et à la prise en charge du lipœdème ?
À ma connaissance, il n’existe pas encore de centres spécialisés ni de formation médicale systématique consacrée au lipœdème au Maroc. Le même constat peut être fait dans les pays dits développés.
C’est par hasard, en 1993, qu’une patiente m’a consulté pour des chevilles épaisses et douloureuses. À l’époque, je considérais cela comme un problème esthétique, car cette pathologie n’était pas enseignée, même en chirurgie plastique.
Intrigué par ces déformations graisseuses douloureuses des jambes, j’ai entrepris des recherches qui ont conduit à la publication, en 2012, d’un modèle esthétique de la jambe destiné à guider la prise en charge chirurgicale des jambes épaisses, adapté au lipœdème tout en respectant l’harmonie du membre inférieur.