Menu
Search
Mardi 08 Juillet 2025
S'abonner
close
Mardi 08 Juillet 2025
Menu
Search

Mariages arrangés en live : quand un "fkih" joue les entremetteurs sur Tiktok

Sur TikTok, les directs s’enchaînent, les spectateurs affluent, et au centre de l’écran, un tiktoker marocain appelé « fkih » entame une conversation bien différente. À ses côtés, devant l’écran, un homme et une femme qui ne se sont jamais rencontrés auparavant. Leur but ? Se découvrir, échanger, et si affinités... se marier. Une nouvelle forme de rencontre, diffusée en public, qui bouscule les codes du mariage traditionnel au Maroc.

No Image
Et si les demandes de mariage devenaient un spectacle en direct ? Sur TikTok, une nouvelle tendance captive des milliers de spectateurs : des lives où un prétendant être un « fkih » joue les entremetteurs entre des inconnus cherchant à se marier. À mi-chemin entre rituel sacré et show numérique, ces rencontres diffusées en temps réel réinventent les codes de la rencontre amoureuse au Maroc, suscitant curiosité, adhésion et controverse.

Le « fkih » de Tiktok, nouvel agent matrimonial ?

Traditionnellement, le fkih est perçu comme une figure religieuse, un savant qui guide, enseigne, et parfois célèbre des mariages dans le respect des règles de l’Islam. Dans ce format numérique, il endosse un rôle bien différent : celui d’un intermédiaire, en plein direct, avec des milliers de spectateurs derrière leurs écrans.



Le processus est simple : une femme manifeste son souhait de se marier, un homme également, et tous deux sont invités à participer à un live où ils se parlent pour la première fois. Le fkih supervise la discussion, veille à ce qu’elle reste respectueuse et "sérieuse", et parfois, conclut en proposant une "fatiha". Certains couples échangent leurs numéros après le live, d'autres annoncent quelques jours plus tard qu’ils se sont fiancés.

Chercher un époux ou épouse sur Tiktok, un symptôme d’un vide social ?

Ces lives peuvent révéler avant tout un vide institutionnel et social dans la manière dont la jeunesse marocaine aborde la question du mariage. Contacté par Le Matin, Chakib Guessous, socio-anthropologue, chercheur en sciences sociales et écrivain marocain, souligne que les conditions du mariage au Maroc ont évolué avec le temps « en passant d’un acte familial collectif à une démarche individuelle », reflétant des mutations sociales profondes ».

Il explique, qu’ « aujourd'hui, de nombreuses personnes se marient plus tard qu'autrefois, contrairement aux générations précédentes où le mariage intervenait dès 18 ou 19 ans, parfois même plus tôt ». Il a également rappelé les derniers chiffres du HCP sur le célibat définitif qui a augmenté au Maroc à 9,4% en 2024 contre 5,9% en 2014. Cette évolution s'explique, selon le sociologue, par l'absence d'accompagnement familial pour trouver un partenaire, ainsi que par un contexte social où les mariages traditionnels avec la bénédiction des familles deviennent plus rares.

Face à cela, certains jeunes cherchent, ajoute-t-il, à satisfaire leurs besoins affectifs et sexuels dans un cadre religieux. Ils optent pour la recherche des offres de mariage qui leur assurent une légitimité religieuse, avec la bénédiction d’un imam ou d’un "fkih", en respectant les limites de la légalité islamique. Ce phénomène, que l’auteur analyse dans son ouvrage "Mariage et concubinage dans les pays arabes", illustre une tendance vers des mariages individuels motivés autant par des impératifs religieux que par des besoins personnels non comblés.

Entre religion, spectacle et « marchandisation »

Si l’initiative intrigue, elle ne fait pas l’unanimité. D’un côté, certains y voient une manière moderne et transparente de répondre à une réalité sociale : les jeunes, souvent livrés à eux-mêmes dans leur quête de partenaire, peinent à trouver des cadres sûrs pour se rencontrer et s’éloigner des applications de rencontres. Le "fkih" offrirait alors une solution "halal", sans isolement ni tabou, mais en live.

De l’autre côté, de nombreuses voix s’élèvent pour dénoncer une « marchandisation du mariage », un usage discutable de la religion dans un contexte de spectacle, et une exposition excessive de l’intime. Le sociologue affirme, dans ce contexte, qu’ « il s’agit bien de marchandisation, si certains acteurs, comme ce fkih, reçoivent de l’argent pour organiser ces rencontres, comme les revenus de Tiktok, les vues, les cadeaux, ... ».

Cette pratique soulève des débats profonds sur la place de la religion dans l’espace public numérique, sur la frontière entre accompagnement spirituel et mise en scène, et sur le besoin criant d'encadrement éthique des contenus diffusés en live.

En attendant une éventuelle régulation ou prise de position officielle, ces lives continuent d’attirer des milliers de curieux, de candidats et de followers, dans une étrange hybridation entre tradition, religion et algorithme.
Lisez nos e-Papers