La pénurie de médicaments ne relève plus de l’exception. Elle s’installe dans la durée et perturbe gravement la chaîne de soins. En effet, ce qui n’était autrefois qu’un incident logistique ponctuel est en train de devenir une réalité structurelle dans de nombreux pays, notamment au Maroc.
Antibiotiques, collyres, anticancéreux, traitements pour l’hypertension, le diabète ou l’épilepsie... les pénuries ne font plus de distinction. Tous les segments thérapeutiques sont désormais exposés. C’est dans ce contexte préoccupant que l’Amicale des pharmaciens du Maroc (APM) a organisé, le samedi 14 juin au Palais des Congrès Rabat Bouregreg, l’édition 2025 de Pharma Days. Cette rencontre a choisi cette année de mettre la lumière sur la crise des pénuries. Deux panels ont été entièrement consacrés à cette problématique, réunissant professionnels, experts, industriels et représentants des autorités sanitaires.
Aujourd'hui, la tendance s'accélère et devient de plus en plus préoccupante, posant avec acuité la question de la souveraineté en matière de médicaments», a affirmé Abderrahim Derraji, pharmacien, fondateur des sites «Pharmacie.ma» et «medicament.ma». Fort de son expertise dans le domaine, le spécialiste a décrypté les multiples causes prévisibles et imprévisibles à l’origine de ces ruptures de stock à répétition, qui affectent aussi bien les pharmacies d’officine que les établissements hospitaliers.
Autre cause majeure : la délocalisation de la production. «Dans un souci de rentabilité, une grande partie des étapes de fabrication a été transférée vers l’Asie. Aujourd’hui, environ 80% des principes actifs utilisés dans le monde sont produits en Chine et en Inde. Cette concentration géographique rend le système vulnérable et dépendant de zones éloignées, difficilement contrôlables en temps de crise», a expliqué le pharmacien. Et d’ajouter : «La situation se complique encore avec la concentration de la production sur quelques sites industriels. Certains médicaments, comme le “Bélatacept” (Nulojix), produit uniquement aux États-Unis, peuvent passer très rapidement d’une tension d’approvisionnement à une rupture complète, sans possibilité de solution alternative immédiate.»
Enfin, la financiarisation croissante du secteur pharmaceutique aggrave le phénomène. «Les stratégies industrielles sont de plus en plus dictées par des logiques de rendement imposées par des fonds d’investissement. Les laboratoires privilégient les molécules innovantes et lucratives, délaissant les médicaments dits “matures”, souvent moins rentables, mais indispensables aux systèmes de santé», alerte-t-il.
À ces facteurs prévisibles s’ajoutent des éléments plus imprévisibles, mais tout aussi déterminants. «La pandémie de la Covid-19, par exemple, a mis en lumière la fragilité des chaînes logistiques mondiales : fermeture de l’espace aérien chinois, suspension des exportations de paracétamol par l’Inde... autant de décisions unilatérales qui ont accentué les ruptures. Les tensions géopolitiques actuelles viennent encore compliquer la donne. La guerre en Ukraine, notamment, a désorganisé la fourniture de matériaux essentiels à la fabrication ou à l’emballage des médicaments, comme l’aluminium, le verre ou certains métaux», a indiqué Derraji. «Dans un monde instable, les chaînes de production mondialisées apparaissent de plus en plus exposées, et donc, de moins en moins fiables», insiste-t-il.
Autre obstacle majeur : le manque d’informations fiables. Les professionnels ne sont pas systématiquement informés des tensions, ruptures ou remises à disposition, ni des alternatives possibles. Pour y faire face, Derraji appelle à la création d’un système d’information efficace et partagé entre tous les acteurs. Il avertit également que les perturbations répétées dans l’approvisionnement entraînent des réflexes contre-productifs : les achats de panique et l’accumulation excessive de stocks, qui pèsent sur les pharmacies, et la ruée vers certains médicaments essentiels comme le Levothyrox, qui accentue les tensions au lieu de les atténuer.
Il a insisté sur le caractère complexe et multicausal du phénomène : «Les pénuries de médicaments résultent de multiples facteurs : défis liés à la production, à la chaîne logistique, aux réglementations, ou encore aux fluctuations du marché mondial». Face à cette réalité, une approche unifiée s’impose : «Ces pénuries mettent en évidence la nécessité d’adopter une approche proactive, concertée et innovante, impliquant tous les acteurs de la chaîne pharmaceutique : industriels, distributeurs, pharmaciens d’officine, autorités sanitaires et autres partenaires».
Le président de la FMIIP a souligné, par ailleurs, que du côté des industriels, des efforts sont déployés pour sécuriser l’approvisionnement. «Nous œuvrons sans relâche pour garantir la disponibilité des médicaments, en renforçant la production locale, en diversifiant nos sources d’approvisionnement et en investissant dans des solutions technologiques pour une meilleure gestion des stocks.» Mais Dr El Bouhmadi tient à souligner que la responsabilité ne peut être portée uniquement par l’industrie. «La gestion efficace des pénuries nécessite une coordination renforcée, une transparence accrue et la mise en place de stratégies d’urgence, notamment pour assurer la disponibilité des médicaments vitaux.»
Ce choix stratégique aurait également un impact direct sur l’accès aux soins. «La production locale, associée à une politique volontariste en faveur des génériques, constitue un pilier pour bâtir un système pharmaceutique résilient, capable de faire face aux crises et aux pénuries. Le développement de la fabrication permet aussi d’adapter rapidement la production aux besoins spécifiques de notre population, d’assurer une meilleure qualité contrôlée, et de créer des emplois locaux, contribuant ainsi à la croissance économique du pays», a affirmé Dr El Bouhmadi.
Quant aux médicaments génériques, ils représentent une solution accessible et durable : «Les génériques jouent un rôle essentiel dans l’amélioration de l’accès aux traitements. Leur disponibilité accrue permet de réduire le coût des médicaments, rendant ainsi les soins plus abordables pour nos citoyens. En renforçant leur production et leur consommation, nous pouvons pallier les pénuries de médicaments de marque importés, souvent plus coûteux ou en quantité limitée.»
Le président de la FMIIP a tenu, en outre, à rendre hommage au pharmacien d’officine qui occupe une position clé dans ce combat. «Ce thème de la pénurie de médicaments ne saurait être abordé sans souligner le rôle fondamental du pharmacien d’officine. Son rôle de conseiller de premier recours est crucial pour assurer une prise en charge efficace et éviter des complications liées à la non-disponibilité de certains traitements. Nous saluons les efforts entrepris par les pharmaciens d’officine au Maroc en cas de ruptures ou de pré-ruptures, afin d’assurer et de sécuriser les traitements des patients.»
Selon lui, les pharmaciens agissent comme un véritable pivot dans la chaîne de santé. «Le pharmacien d’officine doit continuer à jouer son rôle de professionnel de santé, en étant un vecteur d’éducation et de sensibilisation. C’est le garant de la continuité thérapeutique. Son expertise est essentielle pour promouvoir l’utilisation rationnelle des médicaments, la bonne observance thérapeutique, et la compréhension des enjeux liés à la disponibilité des traitements.»
Et de conclure : «Ensemble, en valorisant la fabrication locale et les médicaments génériques, en consolidant le rôle du pharmacien et en innovant, nous pouvons bâtir un système pharmaceutique plus fort, plus résilient, plus équitable et surtout centré sur le patient, avec un accès aux médicaments dont il a besoin, au moment où il en a besoin».
Antibiotiques, collyres, anticancéreux, traitements pour l’hypertension, le diabète ou l’épilepsie... les pénuries ne font plus de distinction. Tous les segments thérapeutiques sont désormais exposés. C’est dans ce contexte préoccupant que l’Amicale des pharmaciens du Maroc (APM) a organisé, le samedi 14 juin au Palais des Congrès Rabat Bouregreg, l’édition 2025 de Pharma Days. Cette rencontre a choisi cette année de mettre la lumière sur la crise des pénuries. Deux panels ont été entièrement consacrés à cette problématique, réunissant professionnels, experts, industriels et représentants des autorités sanitaires.
Les pharmaciens en première ligne face au désarroi des patients
Les participants ont ainsi souligné que ces pénuries impactent l'exercice du pharmacien, qui doit faire face au mécontentement des patients, particulièrement lorsqu'il ne dispose d'aucune alternative à leur proposer. «Depuis deux décennies, les pénuries sont passées du stade conjoncturel au stade structurel.Aujourd'hui, la tendance s'accélère et devient de plus en plus préoccupante, posant avec acuité la question de la souveraineté en matière de médicaments», a affirmé Abderrahim Derraji, pharmacien, fondateur des sites «Pharmacie.ma» et «medicament.ma». Fort de son expertise dans le domaine, le spécialiste a décrypté les multiples causes prévisibles et imprévisibles à l’origine de ces ruptures de stock à répétition, qui affectent aussi bien les pharmacies d’officine que les établissements hospitaliers.
Des causes multiples, locales et mondiales
«Parmi les facteurs prévisibles, la montée en flèche de la demande mondiale figure en tête. Des pays comme la Chine, qui consomment de plus en plus de médicaments, mettent sous tension les unités de production, déjà organisées selon un modèle de flux tendu. Résultat : le moindre incident, même mineur, peut provoquer des perturbations en chaîne dans l’approvisionnement», a précisé Derraji.Autre cause majeure : la délocalisation de la production. «Dans un souci de rentabilité, une grande partie des étapes de fabrication a été transférée vers l’Asie. Aujourd’hui, environ 80% des principes actifs utilisés dans le monde sont produits en Chine et en Inde. Cette concentration géographique rend le système vulnérable et dépendant de zones éloignées, difficilement contrôlables en temps de crise», a expliqué le pharmacien. Et d’ajouter : «La situation se complique encore avec la concentration de la production sur quelques sites industriels. Certains médicaments, comme le “Bélatacept” (Nulojix), produit uniquement aux États-Unis, peuvent passer très rapidement d’une tension d’approvisionnement à une rupture complète, sans possibilité de solution alternative immédiate.»
Enfin, la financiarisation croissante du secteur pharmaceutique aggrave le phénomène. «Les stratégies industrielles sont de plus en plus dictées par des logiques de rendement imposées par des fonds d’investissement. Les laboratoires privilégient les molécules innovantes et lucratives, délaissant les médicaments dits “matures”, souvent moins rentables, mais indispensables aux systèmes de santé», alerte-t-il.
À ces facteurs prévisibles s’ajoutent des éléments plus imprévisibles, mais tout aussi déterminants. «La pandémie de la Covid-19, par exemple, a mis en lumière la fragilité des chaînes logistiques mondiales : fermeture de l’espace aérien chinois, suspension des exportations de paracétamol par l’Inde... autant de décisions unilatérales qui ont accentué les ruptures. Les tensions géopolitiques actuelles viennent encore compliquer la donne. La guerre en Ukraine, notamment, a désorganisé la fourniture de matériaux essentiels à la fabrication ou à l’emballage des médicaments, comme l’aluminium, le verre ou certains métaux», a indiqué Derraji. «Dans un monde instable, les chaînes de production mondialisées apparaissent de plus en plus exposées, et donc, de moins en moins fiables», insiste-t-il.
Un cadre réglementaire rigide et un manque d'information
Abderrahim Derraji a également pointé plusieurs facteurs qui aggravent la situation. Il déplore notamment un cadre réglementaire rigide : «Le pharmacien marocain ne peut toujours pas substituer un médicament par un générique équivalent, même en cas de pénurie totale.»Autre obstacle majeur : le manque d’informations fiables. Les professionnels ne sont pas systématiquement informés des tensions, ruptures ou remises à disposition, ni des alternatives possibles. Pour y faire face, Derraji appelle à la création d’un système d’information efficace et partagé entre tous les acteurs. Il avertit également que les perturbations répétées dans l’approvisionnement entraînent des réflexes contre-productifs : les achats de panique et l’accumulation excessive de stocks, qui pèsent sur les pharmacies, et la ruée vers certains médicaments essentiels comme le Levothyrox, qui accentue les tensions au lieu de les atténuer.
Une urgence sanitaire, sociale et économique
Pour Dr Mohamed El Bouhmadi, président de la Fédération marocaine de l’industrie et de l’innovation pharmaceutiques (FMIIP), la gestion des pénuries de médicaments est une véritable urgence sanitaire, sociale et économique. «La disponibilité continue des médicaments est un droit fondamental, et leur pénurie peut avoir des conséquences graves, allant de la détérioration de la santé des patients à la perte de confiance dans notre système de santé.»Il a insisté sur le caractère complexe et multicausal du phénomène : «Les pénuries de médicaments résultent de multiples facteurs : défis liés à la production, à la chaîne logistique, aux réglementations, ou encore aux fluctuations du marché mondial». Face à cette réalité, une approche unifiée s’impose : «Ces pénuries mettent en évidence la nécessité d’adopter une approche proactive, concertée et innovante, impliquant tous les acteurs de la chaîne pharmaceutique : industriels, distributeurs, pharmaciens d’officine, autorités sanitaires et autres partenaires».
Le président de la FMIIP a souligné, par ailleurs, que du côté des industriels, des efforts sont déployés pour sécuriser l’approvisionnement. «Nous œuvrons sans relâche pour garantir la disponibilité des médicaments, en renforçant la production locale, en diversifiant nos sources d’approvisionnement et en investissant dans des solutions technologiques pour une meilleure gestion des stocks.» Mais Dr El Bouhmadi tient à souligner que la responsabilité ne peut être portée uniquement par l’industrie. «La gestion efficace des pénuries nécessite une coordination renforcée, une transparence accrue et la mise en place de stratégies d’urgence, notamment pour assurer la disponibilité des médicaments vitaux.»
Produire localement pour renforcer la souveraineté sanitaire
Dans cette optique, la fabrication locale et le développement des génériques s’imposent comme des leviers prioritaires. «Au-delà d’être un levier pour éviter les pénuries, la fabrication locale constitue un enjeu stratégique pour notre souveraineté sanitaire. En renforçant la production nationale, nous réduisons notre dépendance aux importations, souvent soumises aux aléas internationaux, aux crises géopolitiques et aux ruptures d’approvisionnement», a-t-il déclaré.Ce choix stratégique aurait également un impact direct sur l’accès aux soins. «La production locale, associée à une politique volontariste en faveur des génériques, constitue un pilier pour bâtir un système pharmaceutique résilient, capable de faire face aux crises et aux pénuries. Le développement de la fabrication permet aussi d’adapter rapidement la production aux besoins spécifiques de notre population, d’assurer une meilleure qualité contrôlée, et de créer des emplois locaux, contribuant ainsi à la croissance économique du pays», a affirmé Dr El Bouhmadi.
Quant aux médicaments génériques, ils représentent une solution accessible et durable : «Les génériques jouent un rôle essentiel dans l’amélioration de l’accès aux traitements. Leur disponibilité accrue permet de réduire le coût des médicaments, rendant ainsi les soins plus abordables pour nos citoyens. En renforçant leur production et leur consommation, nous pouvons pallier les pénuries de médicaments de marque importés, souvent plus coûteux ou en quantité limitée.»
Une stratégie intégrée, au-delà de la production
Mais «cette orientation stratégique ne peut réussir sans une vision globale et intégrée», prévient-il. «La promotion de la fabrication locale et des génériques ne doit pas se limiter à la simple production. Elle doit s’inscrire dans une stratégie globale, intégrant l’innovation, l’amélioration continue de la qualité, la réglementation, et la sensibilisation des professionnels et du grand public.»Le président de la FMIIP a tenu, en outre, à rendre hommage au pharmacien d’officine qui occupe une position clé dans ce combat. «Ce thème de la pénurie de médicaments ne saurait être abordé sans souligner le rôle fondamental du pharmacien d’officine. Son rôle de conseiller de premier recours est crucial pour assurer une prise en charge efficace et éviter des complications liées à la non-disponibilité de certains traitements. Nous saluons les efforts entrepris par les pharmaciens d’officine au Maroc en cas de ruptures ou de pré-ruptures, afin d’assurer et de sécuriser les traitements des patients.»
Selon lui, les pharmaciens agissent comme un véritable pivot dans la chaîne de santé. «Le pharmacien d’officine doit continuer à jouer son rôle de professionnel de santé, en étant un vecteur d’éducation et de sensibilisation. C’est le garant de la continuité thérapeutique. Son expertise est essentielle pour promouvoir l’utilisation rationnelle des médicaments, la bonne observance thérapeutique, et la compréhension des enjeux liés à la disponibilité des traitements.»
Et de conclure : «Ensemble, en valorisant la fabrication locale et les médicaments génériques, en consolidant le rôle du pharmacien et en innovant, nous pouvons bâtir un système pharmaceutique plus fort, plus résilient, plus équitable et surtout centré sur le patient, avec un accès aux médicaments dont il a besoin, au moment où il en a besoin».