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Jeudi 19 Juin 2025
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Pre Amal Bourquia explore l’intelligence artificielle en médecine dans un nouvel ouvrage

Pre Amal Bourquia, néphrologue et présidente de l’association «Reins», présentera ce mercredi 21 mai à Casablanca son ouvrage «Le médecin à l’ère de l’intelligence artificielle». Dans un entretien accordé au journal «Le Matin», elle revient sur les grandes lignes de ce livre, dans lequel elle analyse les transformations de la pratique médicale à l’ère du numérique, entre promesses technologiques et défis éthiques.

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Le Matin : Pourquoi avez-vous choisi d’aborder ce sujet de l’intelligence artificielle et de la médecine dans le contexte marocain et africain ?

Pre Amal Bourquia :
J’ai choisi d’aborder ce sujet parce que je suis profondément convaincue que l’intelligence artificielle (IA) peut devenir un levier décisif pour réinventer nos systèmes de santé, notamment au Maroc et en Afrique, où les défis sont immenses, mais les opportunités tout aussi prometteuses. En tant que médecin, chercheure et citoyenne engagée, je ressens la responsabilité de participer à cette réflexion. Il est essentiel que le déploiement de l’IA en santé se fasse dans une logique éthique, inclusive et adaptée à nos réalités culturelles et socio-économiques. L’Afrique ne doit pas être spectatrice, mais actrice de cette révolution. C’est tout le sens de mon engagement à travers ce travail. Cet ouvrage ambitionne d’explorer l’impact de l’IA et du numérique en médecine sous ses différentes facettes : enjeux actuels, innovations émergentes et défis éthiques.

Pensez-vous que l’IA représente une opportunité ou un risque pour la pratique médicale au Maroc ?

L’intelligence artificielle représente à la fois une opportunité immense et un défi à encadrer avec lucidité. Dans le contexte du grand Chantier Royal de refonte du système de santé, une réflexion profonde sur l’intégration de l’IA peut apporter une réelle valeur ajoutée. Elle peut améliorer l’accès aux soins, affiner les diagnostics, optimiser les ressources et soutenir les professionnels dans leurs décisions. Elle peut même contribuer à réduire les inégalités territoriales et à orienter plus efficacement les politiques de santé publique. Mais cette révolution technologique ne doit pas se faire au détriment du lien humain. Il est essentiel de préserver la relation médecin-patient, de garantir l’équité d’accès, de protéger les données personnelles et, surtout, de former les soignants pour qu’ils soient acteurs, et non spectateurs, de cette transformation.

Vous soulignez que l’IA permet des avancées majeures comme la détection précoce et la précision diagnostique. Quels sont, selon vous, les domaines médicaux où son impact est déjà visible au Maroc ?

Au Maroc, bien que nous soyons encore aux prémices de l’intégration de l’intelligence artificielle en santé, certains domaines commencent déjà à en ressentir les effets de manière concrète. L’imagerie médicale est sans doute le secteur le plus avancé, où, grâce à des algorithmes d’analyse d’images, on améliore la précision et la rapidité des diagnostics, notamment dans les centres disposant d’équipements performants. L’IA aide à la détection précoce de pathologies comme le cancer du sein. La télémédecine connaît également un essor ; ainsi, des plateformes intégrant des outils d’IA permettent un suivi à distance, notamment dans les zones rurales où l’accès aux spécialistes reste limité. Les maladies chroniques comme le diabète, l’hypertension ou l’insuffisance rénale – un domaine qui me touche particulièrement – peuvent bénéficier d’outils intelligents de suivi et de prédiction de complications, permettant une prise en charge plus personnalisée. Le défi aujourd’hui est de passer à une échelle plus large, tout en garantissant l’équité d’accès, la formation des professionnels et la sécurité des données.

Comment les praticiens marocains perçoivent-ils l’intégration de l’IA dans leur pratique quotidienne ?

La mise en pratique d’un projet de numérisation du secteur médical nécessite d’évaluer la perception des praticiens, leur utilisation et leurs attentes dans ce domaine. Pour cela, nous avons réalisé une étude afin d’évaluer le niveau de connaissance des médecins sur l’IA, mesurer leur niveau d’acceptation, et cerner leur perception de l’efficacité et de l’utilité de l’IA. La majorité des médecins s’estime encore trop mal informée et pas suffisamment formée sur les sujets de l’IA et de la robotisation appliquées à la santé. Ils pensent que la transformation de leur pratique pose de nombreuses questions éthiques et souhaitent une formation aussi bien sur les outils que sur la réglementation. Beaucoup perçoivent en elle une aide précieuse pour améliorer le diagnostic, alléger la charge administrative ou optimiser les parcours de soins, tout en nourrissant des craintes légitimes comme la perte d’autonomie, la déshumanisation de la relation, le manque de formation ou la peur d’être remplacés. Ce qui met l’accent sur la nécessité d’une formation ciblée, d’une sensibilisation éthique et d’une intégration progressive dans les pratiques. Si l’IA est perçue comme un outil au service du soignant, et non comme un substitut, son adoption sera facilitée. C’est à nous, professionnels marocains, de faire en sorte que cette révolution technologique reste au service de l’humain et de l’équité en santé.

D’après vous, comment peut-on garantir que l’empathie et l’humanité du médecin ne soient pas perdues face à l’usage croissant des technologies ?

L’utilisation des algorithmes d’IA et des données doit être envisagée sous un angle éthique, ce qui implique l’élargissement des questions existantes, comme le respect de la vie privée et de l’identité, le droit de savoir ou de ne pas savoir, et les normes relatives à la qualité des soins en médecine. L’humanité du médecin ne doit jamais être sacrifiée ; au contraire, l’IA peut libérer du temps médical en automatisant certaines tâches techniques, permettant ainsi au médecin de se recentrer sur ce qui fait le cœur de sa mission : un véritable accompagnement éthique et pédagogique. Les futurs médecins doivent être formés à l’IA tout autant qu’à la communication humaine, à l’écoute active et à la relation de soin. Ce n’est pas la technologie qui déshumanise la médecine, mais la manière dont on choisit de l’utiliser.

Pre Amal Bourquia explore l’intelligence artificielle en médecine dans un nouvel ouvrage



Et comment le cadre réglementaire doit-il évoluer, selon vous, pour encadrer l’usage de l’IA en médecine au Maroc ?

Il est impératif de mettre en place un cadre clair, évolutif et adapté à nos réalités marocaines. Ce cadre doit garantir la sécurité des données de santé, en imposant des standards stricts de protection et de confidentialité, la validation scientifique et clinique des outils d’IA avant leur mise en œuvre, et la responsabilité juridique en cas d’erreurs médicales liées à une décision assistée par IA. La transparence des algorithmes est aussi nécessaire pour éviter les biais et permettre une compréhension par les soignants, de même que l’équité d’accès à ces technologies dans toutes les régions du pays. Un tel cadre réglementaire devrait reposer sur une collaboration étroite entre médecins, juristes, ingénieurs, décideurs et patients.

Quel message principal souhaitez-vous transmettre aux lecteurs à travers ce livre ? Comment espérez-vous que cet ouvrage puisse influencer les décideurs et les professionnels de santé au Maroc ?

À travers ce livre, je souhaite transmettre un message simple, mais essentiel : l’intelligence artificielle est une opportunité pour renforcer une médecine plus humaine, plus accessible et plus efficace, à condition qu’elle soit pensée avec discernement, éthique et engagement. Ce livre est une invitation à ne pas subir l’avenir, mais à le construire ensemble. Mon objectif est de dédramatiser l’IA, de montrer son potentiel concret, mais aussi d’alerter sur les risques d’un usage mal encadré. J’espère que cet ouvrage servira de référence et de guide, aussi bien pour les professionnels de santé en quête de repères que pour les décideurs appelés à construire une politique publique de santé innovante, équitable et durable.

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