Le Matin : Qu’est-ce qui vous a poussé à écrire ce livre, et pourquoi avoir choisi de vous concentrer spécifiquement sur la rééducation périnéale dans cet ouvrage ?Dina Nasr : L’impulsion pour écrire ce guide m’est venue d’abord d’un besoin de tracer, documenter mon expérience avec mes patientes en rééducation périnéale, puisque j’avais l’occasion de recevoir plusieurs profils venant de petites et grandes villes du Maroc. La maternité où j’exerçais était devenue un point de délivrance unique dans le secteur étatique en termes de prises en charge en rééducation périnéale. Puis j’ai commencé à recevoir des stagiaires qui voulaient apprendre à pratiquer cette spécialité, et en les accompagnant j’ai été touchée par leur soif intense d’avoir des outils et des protocoles clairs et simples pour pouvoir exercer cette spécialité, elles me rappelaient en effet à quel point l’école de kinésithérapie (étatique et privée), n’offrait pas de contenu complet pour pouvoir aborder un périnée en toute confiance, en tant que praticiennes. C’était mon cas aussi d’ailleurs quand j’ai été affectée dans cette maternité à mes débuts, j’ai dû apprendre en pratiquant en autodidacte. Puis, en recevant d’autres praticiennes qui avaient fait des formations continues dans la spécialité périnéale, et ne pas arriver toujours à être confiante et pratiquer, je me suis dit qu’il était urgent de faire de mes notes un guide pratique. J’avais l’expérience, une méthode de travail que je pouvais rendre facile et accessible, et un besoin de délivrer un savoir qui n’existe dans aucun ouvrage scientifique actuel existant dans cette spécialité.
Dans votre livre, vous partagez des protocoles de traitements et des exercices pratiques. Comment avez-vous choisi ces méthodes et quel impact avez-vous constaté sur vos patientes ?
Ces protocoles de traitement ont pris naissance à partir des directives laissées par mon aînée, une sage-femme et kinésithérapeute de formation, qui s’était spécialisée dans la rééducation périnéale, avait bataillé pour installer cette spécialité et la faire reconnaître dans la maternité, et pris sa retraite quelques semaines à peine après que je sois arrivée pour prendre son relais. À force de recevoir des profils variés de femmes, j’ai d’abord pu exercer mon savoir-faire sur les protocoles et techniques de bases, puis j’ai continué à étendre mes prises en charge au fur et à mesure des nouveaux profils de femmes où je détectais des faiblesses périnéales. J’ai pu alors proposer aux médecins de la maternité de nouveaux domaines de prescription, en dehors du post-partum classique et, petit à petit, j’ai pu élargir les traitements et exercices pour plus de profils de patientes. C’est ainsi que tout ce que je propose comme solutions est né d’un travail de recherche continue, de besoin de servir et de soigner les femmes, et d’une collaboration étroite avec beaucoup d’ouverture d’esprit de la part de l’équipe médicale.
Quel est, selon vous, le plus grand défi que rencontrent les professionnels dans la rééducation périnéale, et comment peuvent-ils y faire face ?
Je pense, comme je l’ai moi-même vécu et comme peuvent le confirmer mes collègues, que la rééducation du périnée est perçue comme un défi dans le sens où c’est le seul muscle rééducable non visible, caché, du corps humain, et de plus est, dans une zone intime source de tabous. Cette non-accessibilité au visuel et la sensibilité de la zone rendent l’abord du traitement compliqué. D’une part, il faut se fier à son toucher et donc s’exercer à l’aveugle à trouver ce muscle, appliquer le bilan, et conduire la femme vers l’apprentissage de sa contraction. Éléments qui soulèvent chez le praticien des problèmes de confiance en sa capacité à bien diriger son protocole, et de faire le suivi de patientes dans des cas compliqués. Le deuxième défi majeur réside dans l’insuffisance de prescriptions dans ce domaine, même si actuellement des grands pas ont été fait dans ce domaine où on commence à en parler plus et mieux, mais il reste encore trop peu de profils de femmes diagnostiquées, trop peu de connaissances sur le panel de champs d’intervention où la rééducation périnéale aide la femme à résoudre des problèmes intimes non révélés. Une plus grande sensibilisation auprès des professionnels et de la population féminine aiderait grandement à mieux nous permettre de traiter plus de dysfonctionnements de la région pelvienne, sources d’inconfort chez la femme.
Vous mentionnez dans le livre des étapes telles que le bilan initial et l’examen. Pourriez-vous nous en dire un peu plus sur l’importance de chaque phase du traitement ?
J’ai toujours trouvé l’étape du bilan initial capitale dans la prise en charge. Quand elle est bien conduite, tout le reste se déroule bien. D’abord, il faut savoir qu’un bilan nous permet, en plus d’avoir les informations médicales liées au problème de la patiente pour bien choisir les éléments du traitement, d’avoir ce premier contact très important pour les femmes qui ne savent pas toujours très bien ce qu’elles ont ni à quoi s’attendre dans cette rééducation. La séance bilan prend deux fois plus de temps que le reste des séances. Elle nous permet d’instaurer un climat de confiance afin d’avoir accès aux informations les plus intimes, très importantes pour pouvoir apporter des solutions à la femme qui souffre généralement en silence. Cette séance clé nous donne aussi le champ libre pour expliquer, sensibiliser, faire comprendre à la femme l’enjeu d’un périnée sain, et quelles sont les étapes de son traitement. Nous avons toujours besoin de son implication et de sa collaboration au fil des séances. Le traitement en lui-même est là pour régler les inconforts et les faiblesses, mais aussi d’apprendre à la femme à auto-gérer et rééduquer son périnée via des exercices. Enfin, les dernières séances sont aussi cruciales, car la femme est alors invitée à apprendre les règles d’économie musculaire et d’hygiène de vie afin de préserver son périnée dans le futur. Une femme devrait ressortir de cette prise en charge informée, éduquée sur cette partie d’elle-même, et autonome dans la préservation de son capital musculaire et de ses organes pelviens.
Enfin, quel message souhaitez-vous transmettre aux femmes qui cherchent à mieux comprendre et prendre en charge leur périnée ?
Je voudrais leur dire qu’elles ne sont pas seules, que si elles détectent un problème dans la zone intime, leur premier réflexe devrait être d’aller consulter leur gynécologue ou leur médecin généraliste. Elles devraient avoir droit de la part de leur médecin traitant à toutes les informations utiles pour comprendre ce qu’elles ont, et les solutions qu’elles ont à leur disposition, qu’elles ont toujours le libre arbitre de faire des choix éclairés pour leur bien-être intime. Enfin, elles doivent savoir qu’actuellement l’abondance des informations (supports médias, médias sociaux, livres, etc.) leur offre la possibilité de s’informer sur cette partie de leur corps qui existe en elle pour porter un bébé, soutenir leurs organes pelviens pendant leurs activités physiques, leur offrir l’expérience de relations intimes satisfaisantes. Tout ce savoir est là pour les éclairer et les amener à y porter autant d’attention qu’elles le font pour leur bien-être général. Renseignez-vous, brisez le silence !