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Plus de soft power en Corée du Sud

*Joseph S. Nye, Jr. Professeur à Harvard.

Plus de soft power en Corée du Sud
La présence de la Corée du Sud au Forum de l'Association des Nations de l'Asie du Sud-Est le mois dernier en Thaïlande était capitale. La Corée du Sud s'est discrètement affranchie de sa relation difficile avec la Corée du Nord. Elle est en passe de devenir une puissance assez importante sur la scène internationale. Le secrétaire général des Nations unies est Sud-Coréen ; Séoul accueillera le prochain sommet du G20 ; et le pays vient de signer un accord de libre-échange avec l'Union européenne.

Il n'en a pas toujours été ainsi. Si la géographie forge le destin, la Corée du Sud n'a pas eu beaucoup de chance. Coincée dans une zone où trois géants - la Chine, le Japon et la Russie- s'affrontent, la Corée a connu, au cours de l'histoire, son lot de soucis quant à l'élaboration d'une force militaire de défense suffisamment «forte». En effet, au début du vingtième siècle, les efforts en la matière se sont révélés vains, et la Corée est devenue une colonie du Japon.

Après la Seconde Guerre mondiale, la péninsule a été divisée suivant une ligne figurant la bipolarité de la Guerre froide. L'ONU et les Etats-Unis ont dû intervenir pour éviter que ce pays ne se laisse subjuguer par la Guerre de Corée. Plus récemment, malgré ses incroyables moyens en « hard power » [ou puissance coercitive], la Corée du Sud s'est aperçue qu'une alliance avec une puissance aussi distante que les Etats-Unis continuait de fournir une assurance vie bien utile au vu de son voisinage difficile.

D'après une étude sur les pays du G20 publiée il y a peu dans le journal Chosun Ilbo, la Fondation Hansun a classé la Corée du Sud au treizième rang des puissances mondiales. Ses réserves de hard power la classaient au neuvième rang, mais son manque de «soft power» [ou force d'influence diplomatique et économique] l'a fait reculer. D'après le journal « des usines à la pointe de la technologie, des armes high-tech, et un système de communication et d'information très moderne sont les éléments-clés à détenir pour rester compétitif à l'échelle planétaire». Or, pour que ces ingrédients de hard power stimulent véritablement la croissance et la prospérité d'un pays, ils doivent être agrémentés d'éléments de soft power très efficaces.

Le soft power à disposition de la Corée du Sud est très impressionnant. Il arrive parfois que les Coréens comparent leur pays de 50 millions d'habitants à la Chine, qui leur est voisine, ou à la superpuissance que sont les Etats-Unis. Ils en concluent qu'ils ne peuvent faire face à de tels colosses. Certes, cette réflexion est valide pour ce qui est de la puissance militaire «dure», mais fausse pour ce qui est du soft power.

Le soft power ne fait pas défaut à bon nombre de pays plus petits que la Corée du Sud. L'influence politique dont disposent le Canada, les Pays-Bas, et les pays scandinaves, pèse bien plus lourd que leur artillerie ou leur économie, car ils ont intégré à leur intérêt national des causes aussi attrayantes que l'aide économique ou le pacifisme.

Ainsi, au cours des vingt dernières années, la Norvège (qui ne compte que cinq millions d'habitants) a été l'acteur principal de pourparlers de paix.
Le Canada et les Pays-Bas aussi ont renforcé leur soft power non seulement par le biais de leur politique au sein des Nations unies, mais aussi en fournissant de l'aide à l'étranger. La Corée du Sud peut d'ores et déjà suivre de telles politiques, et à juste titre.

De plus, en termes de valeurs séduisantes, la Corée du Sud témoigne d'une histoire fascinante. En 1960, ses richesses économiques étaient à peu près égales à celles du Ghana, l'un des pays les plus prospères des nouveaux pays indépendants en Afrique. A l'heure actuelle, la situation de ces deux pays est bien différente. En cinquante ans, l'économie de la Corée du Sud s'est hissée au onzième rang mondial, avec un revenu par habitant s'élevant à plus de 15 000 $. Elle a rejoint l'OCDE et compte parmi les acteurs clés du G20. Hébergeant des marques connues dans le monde entier, la Corée est maître dans l'adoption des technologies de l'information et d'Internet.

Qui plus est, la Corée du Sud a mis en place un système politique démocratique, doté d'élections libres et d'une passation du pouvoir pacifique entre les différents partis. Les droits de l'humain y sont bien protégés, tout comme la liberté de parole. Les Sud-Coréens se plaignent toutefois souvent de la nature chaotique de leur système politique. Et le Rapport de la Fondation Hansun a attribué la 16e place (sur l'ensemble du G20) à la Corée du Sud pour l'efficacité de son activité législative et la 17e pour son efficacité et sa stabilité politiques.

D'après le rapport : «ces places en fin de classement n'ont rien de surprenant, étant donné les violents différends récurrents entre le parti au pouvoir et l'opposition sur des sujets sensibles et les interminables scandales et pots de vins impliquant les hommes politiques ». Or, tandis qu'une amélioration dans ce domaine permettrait très certainement à la Corée du Sud d'accroître son soft power, le fait même d'avoir une société ouverte capable d'émettre de telles critiques et discussions rend ce pays très attirant.

Enfin, la culture sud-coréenne est elle aussi très séduisante. L'art, la cuisine et l'artisanat coréens traditionnels ont déjà fait le tour du monde.
La culture populaire a déjà franchi les frontières, elle a notamment touché la jeunesse des pays voisins, cependant que le succès impressionnant de la diaspora aux Etats-Unis a renforcé l'aspect attirant de la culture de ce pays dont ils sont originaires. En effet, la fin des années 1990 a vu déferler la «Vague Coréenne» ou «Hallyu» - tout ce qui venait de Corée, depuis l'industrie de la mode et du cinéma à la cuisine en passant par la musique gagnait constamment en popularité.

En somme, la Corée du Sud dispose des ressources de soft power, et cette force n'est pas prisonnière des limites géographiques qui ont contenu son hard power au cours de l'histoire. En conséquence, la Corée du Sud commence à concevoir une politique étrangère qui lui permettra de jouer un plus grand rôle au sein des institutions et réseaux internationaux qui seront essentiels à la gouvernance mondiale.
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