Un nouveau feuilleton judiciaire vient de s'ouvrir avec le procès intenté par la Société Générale contre Jérôme Kerviel. La Banque souhaite que son ancien trader soit condamné à une sanction exemplaire. Poursuivi pour « faux et usage de faux, abus de confiance et introduction frauduleuse de données dans un système de traitement automatisé», J. Kerviel encourt jusqu'à cinq ans de prison et 375.000 euros d'amende. Il lui est reproché d'avoir accumulé jusqu'à 50 milliards d'euros de positions non autorisées sur des contrats à terme sur des indices européens, qui se sont soldées par une perte de 4,9 milliards en janvier 2008. Eco Plus verse une pièce à ce dossier en accueillant le témoignage d'un trader marocain, par ailleurs, lauréat du Trophée d'Or 2010 du Salon de l'analyse technique de Paris. Thami Kabbaj élargit la question et situe cette affaire dans une dimension extra-financière. Selon lui, le système bancaire a une part de responsabilité au sens où il néglige la dimension psychologique. « Pendant longtemps, les banques ont recruté de brillants mathématiciens censés être ultra-rationnels. Elles ont donc sous-estimé le risque d'un trader fou… ». Le procès de l'ancien trader, âgé aujourd'hui de 33 ans, débutera le 8 juin devant le Tribunal correctionnel de Paris. Les audiences sont prévues pour durer jusqu'au 23 juin.
Eco Plus : Quel regard portez-vous sur le procès de Jérôme Kerviel ?
Thami Kabbaj : À travers le procès de Jérôme Kerviel, c'est également le système financier qui sera jugé. Or si la finance, considérée comme la cause de tous nos problèmes actuels, porte une lourde responsabilité dans la crise actuelle, elle n'est à mon sens que la face émergée de l'iceberg. Les pays développés à économie de marché, en général et les États-Unis en particulier, ont vécu pendant de nombreuses années au-dessus de leurs moyens. Les États-Unis ont capté une part considérable de l'épargne mondiale et les ménages américains ne prenaient pas la peine d'épargner et consommaient plus que ce qu'ils gagnaient. Les montages financiers et la titrisation n'ont fait qu'accompagner, voire amplifier le déséquilibre existant qui ne pouvait pas tenir. En effet, avec la globalisation financière et la mondialisation, les mutations économiques s'accélèrent et la donne a radicalement changé. De nouvelles puissances économiques veulent faire partie du concert des nations et le leadership des États-Unis est plus que malmené.
Auriez-vous adopté la même défense que lui ?
J'ai toujours considéré que la communication de Jérôme Kerviel a, dès le départ, été très bonne. Le jeune trader a su trouver les mots adéquats pour toucher le grand public et a clairement malmené les dirigeants de la Société Générale qui n'ont pas su convaincre… Lors de l'éclatement de l'affaire Kerviel, le jeune trader a même été considéré par l'opinion publique comme un Robin des bois moderne. Ses origines modestes, son bagage universitaire peu étoffé, sa discrétion, mais également son physique avenant ont indéniablement joué en sa faveur.
Je ne suis pas son avocat, mais je trouve sa défense judicieuse, car il ne nie pas avoir pris des positions extrêmement risquées tout en mettant la lumière sur les défaillances grossières de la banque. En effet, comment une banque aussi réputée en matière de gestion des risques a-t-elle pu laisser un jeune trader opérer sur des positions avoisinant les 50 milliards d'euros. Nous sommes bien face à un phénomène incompréhensible d'autant plus que Jérôme Kerviel n'avait pas grand-chose à gagner hormis sur le plan de son ego …
Jerôme Kerviel a lancé un appel à témoin. Êtes-vous prêts à aller à la barre ?
Je n'ai pas été le collègue de Jérôme Kerviel et il m'est difficile de témoigner en sa faveur. Par contre, je peux éventuellement intervenir en tant que spécialiste de la finance comportementale pour évoquer le rôle fondamental de la psychologie dans ce type de catastrophe financière. Dès le début de l'affaire, j'ai mentionné dans une tribune rédigée pour le quotidien La croix: «une éthique forte ne sera pas suffisante pour empêcher le trader fragile émotionnellement de commettre l'irréparable.» Je reste convaincu que nos valeurs éthiques peuvent être malmenées dans un monde incertain où nos résistances sont mises à mal. Les banques doivent sérieusement prendre en compte cette dimension dans le coaching des traders mais également dans la gestion des risques.
Néanmoins, Jérôme Kerviel porte une lourde responsabilité dans cette affaire, car il a pris des risques insensés qui auraient pu être dramatiques…
Kerviel compare un trader à une "prostituée" qui doit ramener toujours de l'argent. En quoi ces métiers se ressemblent-ils ?
Kerviel cherche avant tout à s'attirer les faveurs du grand public avec cette formule choc quelque peu démagogique et dans l'air du temps…
Même si les traders sont décriés, parfois à raison, n'oublions que le système économique mondial a besoin de la finance et à fortiori des traders pour assurer son financement (la plupart des puissances économiques sont lourdement endettées auprès des marchés financiers).
Par ailleurs, si un trader se doit d'être performant, il ne doit en aucun cas se focaliser sur les gains ou sur les pertes à court terme qui font partie du métier de trader… Je pense que ce qui a perdu Jérôme Kerviel est sans doute une préparation insuffisante au métier de trader. Il n'avait pas plus de 2 ans d'expérience et a sans doute été victime de son ego en voulant briller au lieu de s'efforcer de faire son travail correctement… Or les étoiles filantes sont légion sur les marchés et ceux qui durent sont généralement les plus humbles et les plus prudents… .
Pour paraphraser l'un des plus célèbres gérants de Hedge fund de la planète Paul Tudor Jones: «Don't be a hero on the
markets»…
Les traders doivent-ils bénéficier d'un système de protection au cas où ils prendraient des positions, avec l'aval de leur hiérarchie, qui se révèlent perdantes ?
Les banques savent que les pertes sont inévitables sur les marchés et contrôlent strictement et quotidiennement le risque des différents traders… Kerviel avait d'ailleurs une limite de 125 millions d'euros à ne pas dépasser… En outre, il faisait de l'arbitrage, une activité peu risquée où le trader n'est pas censé prendre de risques directionnels sur le marché (ses positions consistent à acheter et à vendre dans le même temps des actifs assez corrélés en cherchant à profiter des inefficiences de marché). Il a totalement outrepassé ces limites en prenant des positions pour le moins insensées…
Quel est, selon vous, le véritable responsable de la perte des 6 milliards d'euros ?
En premier lieu, Jérôme Kerviel, car il porte une lourde responsabilité dans les positions insensées. N'oublions pas que la société générale est une banque qui emploie plus de 130.000 individus qui contribuent de manière importante à la création de richesses en France et que la faillite de la société générale aurait été à l'origine d'une véritable crise systémique. Les actes de Jérôme Kerviel n'étaient pas neutres et auraient pu être bien plus catastrophiques. Ensuite, le système de contrôle de la Société générale a été clairement défaillant. Le supérieur hiérarchique de J. Kerviel E. Cordelle était un brillant polytechnicien, mais pas un trader. Il a été mené en bateau par Kerviel… Par ailleurs, le rapport Greene montre de nombreuses
défaillances sur le plan du contrôle avec des contrôleurs peu formés au jargon technique du monde du trading… Toutefois, comme le dit sèchement l'avocat de la Société Générale Me Veil, "ce n'est pas parce que les volets sont mal fermés qu'un voleur est autorisé à rentrer dans votre appartement par la fenêtre". Cela promet un procès haut en couleurs…
Vous insistez sur la nécessaire formation psychologique des traders. Quel doit être son contenu et comment la mettre en place ?
Jérôme Kerviel a également insisté sur l'environnement des salles de marché qui est un environnement dans lequel peu d'individus normalement constitués peuvent opérer de manière rationnelle et où la dimension psychologique joue un rôle déterminant. La banque a une part de responsabilité au sens où elle a négligé cette dimension psychologique mais elle n'est pas la seule… Pendant longtemps, les banques ont recruté de brillants mathématiciens censés être ultra rationnels. Elles ont donc sous-estimé le risque d'un trader fou… Les choses évoluent et Frédéric Oudéa, le DG de la banque, évoque dorénavant la prise en compte du comportement du trader dans son évaluation mais également dans sa rémunération.
La dimension psychologique qui était totalement négligée auparavant est désormais prise en compte par les banques, mais également par les établissements universitaires et les grandes écoles avec des enseignements spécifiques dans le domaine… .
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« Le 7 juillet 2005, je décidai de me jeter à l'eau et réalisai une première grosse opération qui permit à la banque d'empocher en quelques heures un gain de 500.000 euros; une opération, à haut risque, malgré les calculs dont je l'avais entourée. Elle se déroula durant les attentats de Londres qui, en une heure, virent quatre bombes éclater dans le métro, coûtèrent la vie à cinquante-six personnes et en blessèrent près d'un millier. Ce matin-là, ma joie de réaliser de tels gains se disputa au malaise qui m'envahit. J'avais, ni plus ni moins, fait gagner une fortune à la banque grâce au malheur d'innocents; expérience douloureuse des rapports étranges qu'entretient le monde de la finance avec celui, bien réel, dans lequel vivent les citoyens».
Eco Plus : Quel regard portez-vous sur le procès de Jérôme Kerviel ?
Thami Kabbaj : À travers le procès de Jérôme Kerviel, c'est également le système financier qui sera jugé. Or si la finance, considérée comme la cause de tous nos problèmes actuels, porte une lourde responsabilité dans la crise actuelle, elle n'est à mon sens que la face émergée de l'iceberg. Les pays développés à économie de marché, en général et les États-Unis en particulier, ont vécu pendant de nombreuses années au-dessus de leurs moyens. Les États-Unis ont capté une part considérable de l'épargne mondiale et les ménages américains ne prenaient pas la peine d'épargner et consommaient plus que ce qu'ils gagnaient. Les montages financiers et la titrisation n'ont fait qu'accompagner, voire amplifier le déséquilibre existant qui ne pouvait pas tenir. En effet, avec la globalisation financière et la mondialisation, les mutations économiques s'accélèrent et la donne a radicalement changé. De nouvelles puissances économiques veulent faire partie du concert des nations et le leadership des États-Unis est plus que malmené.
Auriez-vous adopté la même défense que lui ?
J'ai toujours considéré que la communication de Jérôme Kerviel a, dès le départ, été très bonne. Le jeune trader a su trouver les mots adéquats pour toucher le grand public et a clairement malmené les dirigeants de la Société Générale qui n'ont pas su convaincre… Lors de l'éclatement de l'affaire Kerviel, le jeune trader a même été considéré par l'opinion publique comme un Robin des bois moderne. Ses origines modestes, son bagage universitaire peu étoffé, sa discrétion, mais également son physique avenant ont indéniablement joué en sa faveur.
Je ne suis pas son avocat, mais je trouve sa défense judicieuse, car il ne nie pas avoir pris des positions extrêmement risquées tout en mettant la lumière sur les défaillances grossières de la banque. En effet, comment une banque aussi réputée en matière de gestion des risques a-t-elle pu laisser un jeune trader opérer sur des positions avoisinant les 50 milliards d'euros. Nous sommes bien face à un phénomène incompréhensible d'autant plus que Jérôme Kerviel n'avait pas grand-chose à gagner hormis sur le plan de son ego …
Jerôme Kerviel a lancé un appel à témoin. Êtes-vous prêts à aller à la barre ?
Je n'ai pas été le collègue de Jérôme Kerviel et il m'est difficile de témoigner en sa faveur. Par contre, je peux éventuellement intervenir en tant que spécialiste de la finance comportementale pour évoquer le rôle fondamental de la psychologie dans ce type de catastrophe financière. Dès le début de l'affaire, j'ai mentionné dans une tribune rédigée pour le quotidien La croix: «une éthique forte ne sera pas suffisante pour empêcher le trader fragile émotionnellement de commettre l'irréparable.» Je reste convaincu que nos valeurs éthiques peuvent être malmenées dans un monde incertain où nos résistances sont mises à mal. Les banques doivent sérieusement prendre en compte cette dimension dans le coaching des traders mais également dans la gestion des risques.
Néanmoins, Jérôme Kerviel porte une lourde responsabilité dans cette affaire, car il a pris des risques insensés qui auraient pu être dramatiques…
Kerviel compare un trader à une "prostituée" qui doit ramener toujours de l'argent. En quoi ces métiers se ressemblent-ils ?
Kerviel cherche avant tout à s'attirer les faveurs du grand public avec cette formule choc quelque peu démagogique et dans l'air du temps…
Même si les traders sont décriés, parfois à raison, n'oublions que le système économique mondial a besoin de la finance et à fortiori des traders pour assurer son financement (la plupart des puissances économiques sont lourdement endettées auprès des marchés financiers).
Par ailleurs, si un trader se doit d'être performant, il ne doit en aucun cas se focaliser sur les gains ou sur les pertes à court terme qui font partie du métier de trader… Je pense que ce qui a perdu Jérôme Kerviel est sans doute une préparation insuffisante au métier de trader. Il n'avait pas plus de 2 ans d'expérience et a sans doute été victime de son ego en voulant briller au lieu de s'efforcer de faire son travail correctement… Or les étoiles filantes sont légion sur les marchés et ceux qui durent sont généralement les plus humbles et les plus prudents… .
Pour paraphraser l'un des plus célèbres gérants de Hedge fund de la planète Paul Tudor Jones: «Don't be a hero on the
markets»…
Les traders doivent-ils bénéficier d'un système de protection au cas où ils prendraient des positions, avec l'aval de leur hiérarchie, qui se révèlent perdantes ?
Les banques savent que les pertes sont inévitables sur les marchés et contrôlent strictement et quotidiennement le risque des différents traders… Kerviel avait d'ailleurs une limite de 125 millions d'euros à ne pas dépasser… En outre, il faisait de l'arbitrage, une activité peu risquée où le trader n'est pas censé prendre de risques directionnels sur le marché (ses positions consistent à acheter et à vendre dans le même temps des actifs assez corrélés en cherchant à profiter des inefficiences de marché). Il a totalement outrepassé ces limites en prenant des positions pour le moins insensées…
Quel est, selon vous, le véritable responsable de la perte des 6 milliards d'euros ?
En premier lieu, Jérôme Kerviel, car il porte une lourde responsabilité dans les positions insensées. N'oublions pas que la société générale est une banque qui emploie plus de 130.000 individus qui contribuent de manière importante à la création de richesses en France et que la faillite de la société générale aurait été à l'origine d'une véritable crise systémique. Les actes de Jérôme Kerviel n'étaient pas neutres et auraient pu être bien plus catastrophiques. Ensuite, le système de contrôle de la Société générale a été clairement défaillant. Le supérieur hiérarchique de J. Kerviel E. Cordelle était un brillant polytechnicien, mais pas un trader. Il a été mené en bateau par Kerviel… Par ailleurs, le rapport Greene montre de nombreuses
défaillances sur le plan du contrôle avec des contrôleurs peu formés au jargon technique du monde du trading… Toutefois, comme le dit sèchement l'avocat de la Société Générale Me Veil, "ce n'est pas parce que les volets sont mal fermés qu'un voleur est autorisé à rentrer dans votre appartement par la fenêtre". Cela promet un procès haut en couleurs…
Vous insistez sur la nécessaire formation psychologique des traders. Quel doit être son contenu et comment la mettre en place ?
Jérôme Kerviel a également insisté sur l'environnement des salles de marché qui est un environnement dans lequel peu d'individus normalement constitués peuvent opérer de manière rationnelle et où la dimension psychologique joue un rôle déterminant. La banque a une part de responsabilité au sens où elle a négligé cette dimension psychologique mais elle n'est pas la seule… Pendant longtemps, les banques ont recruté de brillants mathématiciens censés être ultra rationnels. Elles ont donc sous-estimé le risque d'un trader fou… Les choses évoluent et Frédéric Oudéa, le DG de la banque, évoque dorénavant la prise en compte du comportement du trader dans son évaluation mais également dans sa rémunération.
La dimension psychologique qui était totalement négligée auparavant est désormais prise en compte par les banques, mais également par les établissements universitaires et les grandes écoles avec des enseignements spécifiques dans le domaine… .
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J. Kerviel brise le silence
Le livre très attendu de Jérôme Kerviel est sorti mercredi dernier. L'ancien trader de la Société Générale y décrit « un système financier devenu fou ». Dans ''L'engrenage, mémoire d'un trader'', Kerviel raconte sa vie quotidienne à la banque, puis l'affaire qui l'a rendu célèbre, l'instruction judiciaire et ses 37 jours de détention à la ''prison de la Santé''. Il reconnaît ses erreurs mais entend démontrer que sa hiérarchie savait quelque chose... Un extrait…« Le 7 juillet 2005, je décidai de me jeter à l'eau et réalisai une première grosse opération qui permit à la banque d'empocher en quelques heures un gain de 500.000 euros; une opération, à haut risque, malgré les calculs dont je l'avais entourée. Elle se déroula durant les attentats de Londres qui, en une heure, virent quatre bombes éclater dans le métro, coûtèrent la vie à cinquante-six personnes et en blessèrent près d'un millier. Ce matin-là, ma joie de réaliser de tels gains se disputa au malaise qui m'envahit. J'avais, ni plus ni moins, fait gagner une fortune à la banque grâce au malheur d'innocents; expérience douloureuse des rapports étranges qu'entretient le monde de la finance avec celui, bien réel, dans lequel vivent les citoyens».
