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Le Maroc gagnerait à ratifier la convention de Rotterdam

Naïma Bouayad, Professeur-chercheur à l'Institut supérieur des études maritimes de Casablanca.

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En matière de transport maritime, la convention de Rotterdam que le Maroc s'apprêterait à ratifier reprend le principe en vertu duquel le droit des transports modernes accorde à la partie lésée la possibilité juridique de tenir compte du transporteur effectif en sus du transporteur contractuel, mais elle limite son champ d'application contre une partie exécutante du trajet maritime afin d'éviter des conflits avec des conventions existantes. Eclairages avec Naïma Bouayad, professeur-chercheur à l'ISEM de Casablanca.

ÉCO PLUS: Le Maroc s'apprêterait à adhérer à la convention dite des Règles de Rotterdam. Quel apport pour le secteur ?

Naïma Bouayad :
Comme on le sait, cette convention adoptée par l'assemblée générale des Nations unies en décembre 2008, modernise et harmonise le régime juridique du transport international de marchandises. La vocation de ces règles est de remplacer les conventions antérieures portant essentiellement sur le régime de responsabilité attachée au transport international de marchandises par mer (Règles de La Haye, de La Haye-Visby, de Hambourg).

Avec les Règles de Rotterdam, le régime juridique du contrat de transport maritime est modernisé : les documents électroniques sont reconnus ; le transport en conteneurs est pris en compte ; le régime du connaissement est harmonisé, de même que le régime de la pontée. En somme, les Règles de Rotterdam vont relancer le commerce mondial, dont 80% s'effectue par mer. La démarche vise à remplacer des textes dépassés, qui ne tiennent pas compte des évolutions technologiques, comme le transfert électronique de données. Cela étant signalé, en souscrivant à cette convention, le Royaume entend se doter d'un régime moderne et efficace et se mettre ainsi au diapason des standards internationaux.

Justement, quelles sont les innovations par rapport aux règles de Hambourg ?

Les règles de Hambourg avaient été accueillies comme une amélioration des règles de La Haye-Visby en ce sens qu'elles rendaient dorénavant le transporteur responsable de toute cargaison perdue ou endommagée pendant qu'il en a la charge, et non plus uniquement pendant que les marchandises se trouvent matériellement à bord du navire. Les règles de Hambourg visaient à rendre également le transporteur responsable des pertes économiques attribuables à un retard de livraison et lui imposent l'obligation de prouver que toutes les mesures raisonnables ont été prises pour éviter les pertes ou avaries, alors qu'auparavant, il incombait au réclamant de prouver la négligence du transporteur. Ces règles relèvent également les limites de la responsabilité du transporteur. À l'heure actuelle, les règles de Hambourg s'appliquent à un très faible pourcentage du commerce maritime international par rapport à celui de ses prédécesseurs, les règles de La Haye et les règles de La Haye-Visby. Grosso modo, certaines innovations se situent au niveau du champ d'application: le contrat de transport maritime n'est pas le seul que vise la convention, contrairement aux règles de la Haye Visby (qui dominent le commerce international), elle traite aussi des contrats de transport multimodal qui incluent un trajet maritime de ce fait elle règle le transport dans sa globalité et non le trajet maritime seul. Le transport des conteneurs n'est pas en reste, et se trouve mieux réglementé que dans les conventions précédentes.
Au niveau du régime de responsabilité: tout en s'appuyant sur les règles de La Haye, elle présente avec plus de précision, la charge de la preuve, et éclaircit davantage d'autres questions qui émanent de la pratique. Les deux nouveautés en la matière sont l'élimination de l'erreur de navigation en tant que motif à décharge, et l'extension à la durée globale du transport, l'obligation de diligence en matière de navigabilité.

Le Maroc étant un pays chargeur, les règles de Rotterdam vont-elles permettre d'assurer un rééquilibrage de la relation entre les transporteurs et les chargeurs ?

Comme indiqué, la convention comprend un certain nombre de dispositions ainsi que d'autres documents afin de combler les écarts perçus entre les régimes de transport existants qui sont susceptibles de profiter aux expéditeurs des pays en développement et donc du Maroc. Il faut dire que ces mêmes dispositions prévoient une hausse importante apportée aux limites en matière de responsabilité des transporteurs applicables dans la plupart des pays en cas de pertes ou de dommages des marchandises. En tous les cas une chose est sûre. En adoptant les règles de Rotterdam, un certain nombre de bénéfices sera apporté. Pour ne citer que cette harmonisation et cette modernisation des lois internationales sur le transport de marchandises, dont bon nombre datent des années 1920 et bien avant. Un seul bémol est toutefois à signaler : la prise en considération du fait que le Maroc étant un pays de chargeurs et étant donné que ces derniers sont mis en responsabilité par la convention , ils risquent d'en pâtir. Et pour cause la convention avantage les grands armateurs ceux qui assureront et assurent déjà le transport de porte à porte, les chargeurs seront de ce fait dépendants forcement des sociétés maritimes étrangères.

Ces règles assurent-elles une bonne gouvernance entre les opérateurs de la chaîne logistique globale ?

Outre le fait qu'elles pourraient se traduire par une réduction générale des frais de transaction, ces mêmes règles seraient susceptibles d'accroître le degré de prévisibilité quand surviennent certains problèmes. Qui plus est, elles seraient de nature à susciter une plus grande confiance commerciale dans la conduite des transactions internationales. La convention a une portée très large, qui s'applique à tous les mouvements de marchandises depuis leur point d'origine jusqu'à leur destination. Elle porte sur des questions comme la navigabilité des bâtiments, le traitement des documents de transport électroniques, le transfert de droits et de nombreux autres aspects de la relation entre les transporteurs et les propriétaires des cargaisons, répartis dans les quelque 100 articles que comprend la nouvelle Convention. Du coup, elle présente la liberté contractuelle, qui permet aux transporteurs et aux propriétaires de cargaison d'accepter de confier certains services à contrat.

Pensez-vous que le secteur est assez bien outillé pour réussir un tel challenge ?

Vous n'êtes pas sans savoir que les échanges extérieurs nationaux dépendent du transport maritime à hauteur de 95%. Dès lors, la position du Maroc sur le marché international est de plus en plus tributaire de l'état du secteur du transport maritime, sur la capacité de la flotte nationale à desservir tous les marchés du monde, la qualité des ports du Royaume et des moyens d'acheminement. Et le moins que l'on puisse dire, c'est que le challenge risque de ne pas être aisé.
Et ce, tant il est vrai que le secteur reste régi par des disparités autrement plus intenables. Parmi les goulots d'étranglement, il y a la faible rentabilité des opérateurs du secteur ainsi que le niveau d'endettement élevé en raison de l'importance des investissements à réaliser pour moderniser la flotte face à l'insuffisance des fonds propres.
La planche de salut reste au prix d'un développement à même de s'inscrire dans une logique de ports Hub afin de désengorger les points de transits traditionnels en tenant compte de la forte sensibilité du trafic aux coûts de passage des navires et des cargaisons. D'emblée, les synergies du couple Tanger Med I et II s'inscrivent de plain-pied dans cette logique tout à la fois porteuse et prometteuse. Cela dit et outre que l'enseignement maritime doit être revu et adapté aux nouvelles pratiques et technologies en vigueur, cette même démarche gagnerait à être relayée par des nouvelles mesures visant à pallier la faible culture maritime et l'insuffisance patente des formations locales qui fragilisent encore davantage les chances du Maroc de se frayer une place dans le monde du transport maritime international.
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