Le pavillon marocain dans le secteur du transport maritime ne flotte plus au vent aussi fièrement qu’avant… En effet, en l’espace d’une vingtaine d’années, la flotte nationale, fret et passagers confondus, s’est compressée d’une quarantaine de navires, ne gardant plus qu’un beau souvenir de son âge d’or. En effet, durant l’année 1987 et sous l’impulsion du Code d’investissement maritime, l’armement marocain, détenu à l’époque par une vingtaine de compagnies, comptait 66 bâtiments de transport (vraquiers, pétroliers, chimiquiers, conteneurs, passagers, ro-ro…) avec une capacité de chargement de 660 000 tonnes. C’est ce que révèle une récente et intéressante étude sectorielle réalisée par l’Observatoire de l’entrepreneuriat (relevant du groupe BMCE Bank). Ceci a d’ailleurs valu au Maroc le statut de Nation maritime. Aujourd’hui, le Royaume n’en compterait que 23, avec une capacité de chargement de moins de 100 000 tonnes. Même les compagnies nationales qui arrivent à résister font face à de grosses difficultés, telle Comarit Comanav Ferry qui est l’un des principaux transporteurs locaux, avec 11 navires sous pavillon marocain, à côté d’IMTC
(7 navires).
Ce déclin de la flotte marocaine est dû essentiellement au vieillissement important de la flotte, au processus de dépavillonnement ou de cession d’actifs jugés non stratégiques, mais également par des erreurs de management et déboires financiers de bon nombre d’intervenants, a relevé l’étude sectorielle. Le secteur échappe donc progressivement aux nationaux au profit des compagnies étrangères qui en tirent largement le plus de profit.
En effet, 79,2% du chiffre d’affaires du transport maritime au Maroc qui a dépassé, pour la première fois dans l’histoire, la barre de 20 milliards de DH est réalisé par des armateurs étrangers qui ne sont même pas installés au Maroc ou naviguent sous les pavillons de libre immatriculation, également dits de complaisance. Et ce n’est pas fini, puisque la part des nationaux (20,8%) ne cesse de se rétrécir, comme une peau de chagrin. En fait, celle-ci s’est repliée de 5,3 points de pourcentage entre 2009 et 2011, avec un chiffre d’affaires stagnant à 5 milliards de DH, alors que les dépenses payées aux armateurs étrangers ont progressé de 35,7% sur la même période, à plus de 17 milliards de DH, relève l’étude.
Déficit de la balance des paiements
De fait, le déficit de la balance des paiements du transport maritime continue de se creuser pour s’établir, en 2011, à près de 13 milliards de DH. Ainsi, les armateurs marocains assureraient actuellement moins de 10% des échanges extérieurs du Royaume, contre près de 30% durant les années 1980.
Ce pourcentage remonterait à presque 50% pour le trafic dans le détroit de Gibraltar. Pour le transport de passagers, la part des opérateurs nationaux est en revanche plus élevée (pratiquement les 2/3), fait savoir l’étude.
Comment se fait-il donc que le Maroc soit passé du statut de Nation maritime à celui d’un pays presque entièrement dépendant des opérateurs étrangers pour le transport maritime ? Les professionnels s’accordent à dire que la faute est en grande partie due à la libéralisation du secteur.
En effet, d’après la même étude, cette situation est surtout la conséquence d’une libéralisation mal conduite, d’une législation inadaptée et d’une fiscalité jugée pénalisante. Ainsi, après une politique de promotion du pavillon pendant les années 70 et 80, le pays a libéralisé en 2007 son trafic maritime, dans une politique dite Open Sea qui profite même aux compagnies maritimes non installées au Maroc.
Cette libéralisation s’est traduite notamment par l’anéantissement graduel des avantages précédemment acquis et la privatisation de la Comanav (vendue en 2007 à CMA-CGM), puis raffermie par l’abrogation en 2010 du dahir de 1962 portant organisation du transport maritime. Surtout que cette politique ne prévoit aucune réciprocité pour le pavillon national dans les pays dont les flottes opèrent désormais librement au Maroc. En somme, conclut-on, «elle profite essentiellement aux armateurs étrangers sans qu’aucune réelle mesure d’accompagnement ait été accordée aux intervenants marocains».
