Le Matin Emploi : Les réseaux sociaux occupent une place de choix dans le monde du travail. Existe-t-il une loi qui réglemente l’utilisation de ces outils de communication dans l’entreprise au Maroc ?
Mohamed Oulkhouir : Facebook, Myspace, Linkedin et plus largement les réseaux sociaux sur internet ont, en effet, fait irruption dans nos vies et nos entreprises au cours de la dernière décennie. Un tel accès à ces réseaux sociaux aux temps et aux lieux du travail est source de nouveaux enjeux en termes de protection de la vie privée des salariés, de protection des intérêts de l’entreprise et naturellement de productivité des salariés. Or en la matière, le vide juridique est absolu. Il n’existe pas, à notre connaissance, de texte qui réglemente spécifiquement l’utilisation de ces outils de communication dans l’entreprise.
Cependant, de nombreux textes de droit commun sont susceptibles d’être incidemment appliqués. L’application combinée de la Constitution, du Dahir des Obligations et Contrats, du Code du travail, du Code pénal, de la Loi n°09-08 relative à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et de la Loi n°24-96 consolidée relative à la poste et aux télécommunications peuvent servir de base à l’ébauche de réponses relatives à l’usage, dans l’entreprise, de ces outils de socialisation.
A défaut d’une réglementation concrète, quels sont les droits et les obligations de l’employeur et des employés concernant l’utilisation des réseaux sociaux et quelles solutions mettre en place pour limiter les abus des salariés ?
A titre liminaire, il convient de rappeler les dispositions de l’article 231 du Dahir des Obligations et Contrats qui énonce un principe général de loyauté contractuelle et de bonne foi. Le salarié se doit d’accomplir loyalement sa prestation de travail ce qui exclut par exemple un usage personnel ou à tout le moins abusif d’internet.
En effet, l’objet principal du contrat de travail est l’accomplissement d’une prestation de travail. En contrepartie de la rémunération qu’il verse au salarié, il n’apparaît pas anormal que l’employeur puisse être en mesure d’exiger et d’obtenir que le temps de travail soit exclusivement et intégralement consacré à l’accomplissement des tâches professionnelles dévolues au salarié et non par exemple à la recherche de l’âme sœur sur Facebook ou Meetic.
L’absence de cadre juridique spécifique laisse une grande marge de manœuvre aux entreprises quant à la définition des droits et obligations de chacune des parties à la relation de travail.
Deux orientations sont ainsi envisageables, l’une souple l’autre plus rigide : L’interdiction : un paramétrage des outils informatiques (serveurs, ordinateurs, Smartphones etc…) de l’entreprise de telle sorte que soit purement et simplement interdit aux salariés l’accès à des sites sans aucun lien avec leur activité professionnelle. Au Maroc, très peu de salariés peuvent en effet prétendre qu’une connexion à Facebook, Twiter ou MSN est indispensable à l’exercice de leurs fonctions. Les réseaux sociaux sont en effet une source importante de risques pour la sécurité informatique des entreprises (virus, fuite d’informations confidentielles etc.…), risques contre lesquels il convient de se prémunir.
Ce que l’on peut qualifier d’accommodement raisonnable : La mise en place d’un code de bonne conduite relatif à l’utilisation des médias sociaux. Il s’agira notamment d’encadrer l’usage par les salariés de ces réseaux sociaux en leur rappelant notamment que la diffamation, la divulgation d’informations confidentielles ou encore les propos ou les images diffusés de nature à créer, compte tenu de la nature des fonctions du salarié et de la finalité propre de l’entreprise, un trouble objectif caractérisé au sein de l’entreprise seront sanctionnées civilement et/ou pénalement. Un code de bonne conduite peut être un bon moyen de réduire le risque d’un usage des médias sociaux préjudiciable à l’entreprise. Encore faut-il que ce code de bonne conduite soit rendu opposable aux salariés. Le meilleur moyen de donner un caractère contraignant à ce code de bonne conduite est de le contractualiser. Pour cela, il faut l’inclure en tant qu’annexe au contrat de travail pour les nouveaux embauchés et en tant qu’avenant pour les salariés en poste. Il faudra alors pour les nouveaux embauchés ajouter une phrase qui pourra être : «Je soussigné(e) déclare être informé(e) des recommandations prévues dans le code de bonne conduite relatif à l’utilisation des médias sociaux, dont une copie m’a été remise ce jour». La contractualisation du code de bonne conduite permettra à l’employeur de sanctionner le salarié dans le cadre des dispositions des articles 37 et 39 du Code du travail. Le non-respect du code de bonne conduite par le salarié pourra ainsi permettre à lui seul une sanction disciplinaire qui ne devrait pas toutefois, sauf cas d’espèce particulier, pouvoir aller jusqu’au licenciement pour faute grave.
Une seconde option est d’intégrer le code de bonne conduite en tant qu’adjonction au règlement intérieur dans le cadre des «dispositions particulières relatives à l’organisation du travail, aux mesures disciplinaires» de l’article 139 (2-) du Code du travail. Cela supposera toutefois de respecter les formalités de consultation et d’approbation préalables prévues à l’article 138 alinéa 1er du Code du travail.
Il est enfin tout à fait possible d’aller au-delà d’un code de bonne conduite relatif à l’utilisation des médias sociaux et de mettre en place une véritable charte informatique et internet qui aura pour objectif de responsabiliser les salariés utilisateurs. En les sensibilisant aux exigences de sécurité et d’usage raisonné, elle favorise les comportements de vigilance et vise à prévenir les mauvais usages et les actes illicites pouvant porter atteinte à l’intérêt collectif de l’entreprise.
L’employeur peut-il procéder à des contrôles de l’usage des réseaux par les collaborateurs? Si oui y a-t-il des limites à ce contrôle ?
Il est parfaitement admis que, dans le cadre de son pouvoir de direction, l’employeur peut contrôler l’activité du salarié. Cette prérogative résulte de la définition même du lien de subordination inhérent au contrat de travail, à savoir « l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné ».
Cependant, le pouvoir reconnu à l’employeur est encadré par un certain nombre de règles, dont la violation peut faire l’objet de sanctions civiles et, le cas échéant, pénales :
L’employeur est tenu de consulter les représentants du personnel et d’informer les salariés préalablement à la mise en place de dispositifs de contrôle. Cette obligation résulte du principe selon lequel le contrat de travail, comme tout contrat, est exécuté de bonne foi (Article 231 du Dahir des Obligations et Contrats), ce qui interdit le recours à des procédés «déloyaux» ou «clandestins» ;
L’employeur est tenu de respecter les dispositions de la Loi n°09-08 qui rappelle à son article premier que « l’informatique est au service du citoyen (…) Elle ne doit pas constituer un moyen de divulguer des secrets de la vie privée des citoyens».
Ce contrôle n’est enfin possible que s’il est légitime et proportionné au but recherché et l’employeur demeure toujours soumis à l’obligation générale de respect de la vie privée et notamment du secret des correspondances personnelles du salarié.
Cette protection trouve toutefois sa limite lorsque les propos et actions du salarié sont susceptibles de caractériser une infraction pénale ou une faute au plan contractuel.
L’usage inapproprié des réseaux sociaux par un salarié peut-il faire l’objet d’une poursuite
judiciaire ?
L’absence de législation spécifique en matière d’usage des médias sociaux dans l’entreprise ne signifie pas pour autant que les agissements des salariés doivent rester impunis.
En la matière, un régime de liberté s’applique, avec toutefois la répression civile et pénale habituelle de la diffamation (article 442 du Code pénal), de l’injure (article 443 du Code pénal), de l’abus de confiance (article 547 du Code pénal et article 39 du Code du travail), de la divulgation d’information et secret professionnel (article 446 du Code pénal et 39 du code du travail) ou encore de la concurrence déloyale (article 84 du Dahir des Obligations et Contrats). Cette liste n’est naturellement pas exhaustive.
La jurisprudence et la doctrine au Maroc se sont-elles saisies du sujet ?
Les implications juridiques de l’usage des réseaux sociaux dans l’entreprise est un sujet dont la doctrine au Maroc ne s’est pas encore véritablement saisie et dont la Cour de cassation n’a quant à elle pas encore été saisie à notre connaissance.
