Le Matin Emploi : Qu’est-ce qu’une rumeur ? Selon vous, qu’est-ce qui motive cette pratique en entreprise ?
Imane Hadouche : Une rumeur est une information fondée ou non fondée, vraie, fausse, ou partiellement fausse, qui circule dans les bureaux et les couloirs, sournoisement et discrètement. Mais qui se propage assez rapidement pour cerner au final une ou plusieurs personnes impliquées. Une rumeur peut être lancée pour nuire à une personne, ou à sa réputation.
Elle peut aussi être propagée dans le but de rechercher une confirmation ou infirmation d’un ressenti ou d’un doute. Cela peut aussi être une stratégie pour déstabiliser une personne, ou former un groupe d’alliés face à un autre groupe (ou personne)… Autant dire que la rumeur est lancée à la base, avec une mauvaise intention, celle de nuire ou de manipuler, ensuite elle est relayée par ceux qui n’en sont pas la source, avec l’intention de chercher une confirmation ou un démenti.
Comment un salarié, victime d’une rumeur, vit-il cette situation en entreprise ? Cela a-t-il des conséquences sur sa motivation ?
L’impact d’une rumeur au travail est relatif à la réceptivité de la personne calomniée. Cela dépend de la nature de la rumeur en premier lieu, du degré de nuisance de celle-ci, mais aussi de la personnalité de la personne, objet de la rumeur. Certaines personnes feront face avec fermeté et affirmation, d’autres se replieraient sur elles-mêmes, alors que certaines deviendraient agressives… Ce qui est sûr, pour répondre à la deuxième partie de la question, c’est qu’une rumeur affecte l’efficacité de la personne concernée, mais aussi tous les autres, ne serait-ce que par le temps consacré à celle-ci ou l’énergie gaspillée à démentir, se justifier, s’affirmer ou gérer le relationnel.
Que conseillez-vous donc aux salariés pour y faire face ?
Il y a plusieurs stratégies, pour faire face aux rumeurs, ces méthodes-là sont plus connues dans le domaine politique, mais peuvent être efficaces dans l’environnement de l’entreprise.
• Une rumeur se nourrit d’elle-même, donc le premier réflexe qui est de s’en défendre ou la justifier est à éviter à tout prix. Plus une personne cherchera à se justifier, plus la rumeur sera confirmée et durera dans le temps. Une rumeur est comme une bulle, elle se forme et grossit, puis finit par éclater et disparaître, sans aucune intervention de notre part, jusqu’à ce que les gens oublient, et trouvent d’autres occupations. Si on cherche à s’en défendre, l’effet inverse se produira, et la rumeur deviendra incontrôlable, elle se transformera en feu de paille et se propagera de plus en plus fort et de plus en plus rapidement.
• La technique du 20/80 : cette technique consiste à affirmer 20% de la rumeur en donnant beaucoup de détails intéressants, tout en la transformant en positif, et cela aura l’effet de renier de manière tacite les 80% restants de la rumeur.
• La technique de la noyade : il s’agit de lancer soi-même en parallèle cinq ou six rumeurs, toutes différentes, pour noyer la rumeur initiale. Les personnes qui sont à l’écoute ne sachant qui croire ou ne pas croire, se perdant dans les rumeurs multiples, finissent par décrédibiliser la source, et s’ennuyer ou même s’irriter très vite face à un flux d’informations contradictoires et non vérifiées.
Peut-on considérer cette pratique comme une sorte de harcèlement au travail ?
De par l’effet nuisible de la rumeur, la pression, l’état de stress qu’elle impose, mais aussi des états de dépression qu’elle peut entraîner
pouvant aller jusqu’à la démission ou même le suicide, sans aucun doute, nous pouvons catégoriser «la rumeur» comme une forme de «harcèlement» moral.
Il est plus facile de prévenir que de guérir. Peut-on éviter la rumeur au travail ?
Le seul moyen de prévenir ce genre de pratiques préjudiciables est de veiller à établir un relationnel équilibré et écologique au sein de l’entreprise, en centrant les valeurs et l’identité de l’entreprise autour de l’éthique et le respect de l’autre.
Encourager le travail d’équipe, encourager la compétition saine (basée sur la compétence et le potentiel) en éliminant la rivalité (qui est plus personnelle), proposer des team-buildings de manière périodique pour renforcer la cohésion des équipes, entretenir un bon climat et assurer un environnement de travail agréable, ou du moins, sans animosités prononcées.
Avec l’invasion du web, l’information circule des fois plus rapidement et permet la propagation rapide d’une rumeur, comment couper court dans ce cas ?
En effet, vous soulevez un point très important. La rumeur aujourd’hui peut avoir une portée très large, et se diffuser de manière incontrôlable avec le web. En plus du fait que cela reste archivé et forme un historique difficile à contester.
Les faux profils et les pseudos permettent aussi une plus grande liberté, pour la source de la rumeur, lui permettant de rester anonyme.
Malheureusement, au Maroc, nous sommes dépassés, et la loi n’est pas
très claire, ni très efficace par rapport à la cybercriminalité. Tout ce qui peut être fait dans ce sens est de rester discret, diffuser très peu d’informations, de photos et d’informations privées et personnelles sur la toile.
Il est recommandé aussi de limiter ses échanges et ses contacts aux personnes que l’on connaît dans la vraie vie.
La rumeur est généralement source de conflits au travail. Selon vous, quelles décisions managériales peuvent être prises pour gérer cela ?
Au-delà des mesures préventives que nous avons citées plus haut, l’entreprise peut avoir une sorte de règlement interne, un code déontologique, ou des règles de vie bien arrêtées, donnant lieu à des sanctions et pénalisations en termes de points sur l’évaluation annuelle par exemple.
Ou alors faire simplement intervenir dans les cas extrêmes un médiateur ou un facilitateur pour accompagner les concernés (personne calomniée et personne à l’origine de la rumeur) dont le rôle sera d’améliorer le relationnel des deux personnes impliquées, mais aussi veiller à ce que le problème ne se reproduise plus.
