Le cinéma marocain avance doucement ses pions dans le paysage culturel local. Et désormais, il fait parler de lui de plus en plus, en bien. Ce qui n’était pas le cas il y a juste quelques années. On lui reprochait en effet d’être anémique sur le plan de la production et surtout d’être déconnecté de la réalité.
Heureusement que les choses sont en train de changer. Le nombre de films produits a augmenté de manière substantielle. Mais ce développement n’est pas que quantitatif. Il est qualitatif également. La meilleure preuve en est l’engouement que certaines productions ont réussi à susciter auprès du public. L’exemple de «Road to Kaboul» est très significatif à cet égard. Depuis quatre mois, il est à l’affiche et les salles ne désemplissent pas. Il caracole en tête avec des entrées qui frôlent les 140 000.
Et comme l’appétit vient en mangeant, la rentrée cinématographique s’annonce plutôt riche. Plusieurs importantes productions sont dans le pipe. Et pour commencer, il y a «Elle est diabétique, hypertendue et elle ne veut pas crever 3» de Swel et Imad Noury dans sa troisième version, qui est très attendue. Avis donc aux fans de Haja Fakhita, elle sera de retour à partir du 19 septembre 2012 et elle sera toujours aussi pimpante que pétulante.
Autre production attendue pour la rentrée, «Zéro». À l’origine, ce film de Nourredine Lakhmari devait sortir au début de l’année, il ne sera lancé que fin 2012. C’est l’histoire de Zéro, le personnage principal, un antihéros qui se bat contre lui-même, sa ville, ses instincts, et le chaos qui les entoure.
«Karyan Bollyood» de Yassine Fennane fait déjà parler de lui, alors qu’il est toujours en tournage. Le réalisateur de «Bnat Lalla Mennana», une série diffusée pendant le mois du Ramadan et qui a rencontré un franc succès nous promet un film à la hauteur des attentes des Marocains, toujours avec la même touche d’humour et de provocation.
Le dossier de cette semaine vous propose de revenir sur ces trois projets de la rentrée ainsi que sur le succès qui ne se dément pas de «Road to Kaboul».
Le nouveau venu : Yassine Fennane et son «Karyan Bollywood»
Yassine Fennane est un R’bati d’origine qui s’envole pour Paris pour faire des études en arts du spectacle. Son premier court métrage, «Petite blessure», il le tourne en 2002. Il devient assistant-réalisateur puis écrit des scénarios pour d’autres réalisateurs avant d’écrire et de réaliser trois courts métrages en 2004 : «Danger Man», «The Future Is Now», «Chemise blanche, cravate noire». Quand il croise Nabil Ayouch, il s’embarque dans l’aventure «Film Industry» et réalise des téléfilms comme «Aller Retour en Enfer», «Brave» et «Agadir Underground». Yassine Fennane est aussi très prolixe en matière de série télévisée et il a, entre autres, réalisé la série «Une heure en enfer» pour la chaîne Al Aoula, avec l’aide de Ali Mejboud. Plus récemment, il a réalisé «Bnat Lalla Mennana», une série diffusée pendant le mois du Ramadan et qui a rencontré un franc succès. Mais le nom de M. Fennane vous interpelle peut-être aussi parce qu’il a été l’heureux bénéficiaire du plus gros fonds d’aide octroyé par le Centre cinématographie marocain pour son film «Karyan Bollywood». Il s’agit d’une comédie sociale sur l’amour du cinéma, ou plutôt un certain type de cinéma. C’est sur le contraste qu’il peut y avoir entre quelqu’un qui rêve de cinéma hollywoodien et bollywoodien et qui vit une réalité dure.
Interview de Yassine Fennane
À lui seul, il pourrait illustrer le nouveau cinéma marocain : des films visuellement bluffants, avec une touche d’humour et de provocation. Yassine Fennane nous fait entrer dans son monde…
Chaque année, les médias parlent d’un renouveau du cinéma marocain. Pensez-vous que cette fois-ci, c’est la bonne et que les réalisateurs se mettent enfin au diapason du public marocain ?
Je pense que les choses sont beaucoup plus compliquées qu’il n’y paraît. Le cinéma marocain avait et a encore un gros problème de diffusion et de médiatisation. Cette année, nous avons assisté à «Road to Kaboul», qui est une exception, mais il ne faut surtout pas s’arrêter là ! Pour que la machine se mette en marche et fonctionne, il faudrait un véritable travail de fond. Les Marocains sont avides et demandeurs de cinéma marocain. Nous avons pu assister à la sortie de certains films qui sont soit passés inaperçus par manque de communication, soit restés très peu à l’affiche. Une fois qu’on a manqué le coche, il est très difficile, voire impossible, de se les procurer…
Les deux films qui ont fait le plus d’entrées au premier semestre 2012 sont «Road to Kaboul» et «Un Marocain à Paris». Nous pouvons sans crainte dire que le Marocain cherche à rire au cinéma.
Le public marocain aime les films marocains. Alors, il faudrait lui en proposer ! Comme tous les spectateurs du monde entier, ce qu’il veut avant tout, c’est du divertissement. Le milieu du cinéma génère beaucoup de fonds, surtout avec le cinéma de divertissement. Quand celui-ci est prédominant, le cinéma se porte bien. Et quand le cinéma se porte bien, il permet au cinéma d’auteur d’exister. Je suis pour le cinéma d’auteur, c’est noble et ça permet d’ouvrir le débat. Mais le cinéma de divertissement et le cinéma d’auteur sont complémentaires, les deux sont nécessaires. Votre série de cet été a rencontré un vif succès auprès du public. Pourtant, le pari n’était pas gagné d’avance…
Quels sont pour vous les ingrédients indispensables pour une réalisation «marocaine» réussie ?
Il n’existe pas de recette miracle puisque même les Américains ne l’ont pas. On peut créer un gros buzz sur un projet et tout de même se retrouver avec un flop à la fin. Je dirais qu’il faut une bonne dose de flair et d’intelligence, qu’il faut aussi avoir les bons producteurs et les scénaristes derrière. En gros, il faudrait une sorte de sixième sens pour flairer l’air du temps et comprendre ce que les gens ont envie de voir à un moment précis.
