Qu’est-ce qui vous inspire dans le rire ?
La société marocaine. Je puise mes idées et mon inspiration dans la vie des Marocains. La drague, les accents, les clichés, les situations. J’essaie ainsi de décortiquer la société marocaine, chose qui n’est pas du tout évidente.
Y a-t-il une différence entre les humours selon les régions ?
Les plus connus pour leur humour sont les Casablancais, les Marrakchis ou les Fassis, même si ces derniers sont plus pudiques. J’ai eu la chance d’être issu d’une famille fassie et d’avoir grandi à Casablanca, j’ai aussi vécu à Marrakech, à Rabat, à Kenitra, à Fès, et ma grand-mère est tangéroise, ma nounou berbère. Ca me permet d’imiter – et non pas de me moquer, ni même de taquiner – l’accent de mes chers compatriotes ! Je joue aussi sur les clichés, parce que j’aime bien quand mon spectacle parle un peu à tout le monde. Je ne suis pas du tout dans la sélection du public, au contraire, j’aimerais que mon humour parle à tout le monde parce que quand quelqu’un rit de vos blagues, c’est que quelque part vous lui ressemblez. C’est pour ça que j’essaye toujours d’adapter mon spectacle à la ville dans laquelle je me produis.
Le public marocain est-il réceptif, aime-t-il rire ?
Faire rire le Marocain c’est très difficile, parce qu’il ne va pas voir un humoriste sur scène pour rire, mais pour voir s’il est plus drôle que lui ! Une fois, un spectateur est venu me voir après le spectacle et il m’a dit : «malheureusement, vous m’avez fait rire».
Il était réellement dégoûté, parce que le Marocain est très drôle, il est blagueur, ! Et on ne rit pas bêtement, surtout chez nous. On rit parce qu’on est ému, parce qu’on s’est reconnu, parce que ça nous touche.
Il y a un public qui ne rit pas, mais qui applaudit parce que l’humoriste vient de mettre en lumière une certaine vérité.
Il faudrait aussi que le spectateur marocain se détache d’une certaine attente face aux nouveaux humoristes «francophones, casablancais, qui s’habillent en noir».
Je parle bien sûr de Gad qui est une personne qui influence, à qui on aimerait ressembler : chanteur, danseur, auteur, compositeur, mimeur, cuisinier, menuisier, pilote d’avion… J’ai envie de dire, in Gad we trust ! J’ai eu la chance de le rencontrer, il est vraiment formidable, très humble, très attaché à son pays. Il aurait tellement aimé pouvoir faire plus de dates au Maroc.
Mais vraiment, c’est dommage de se voir toujours accusé d’imiter Gad, parce que je n’ai pas envie d’aller me faire connaître à l’étranger, mais dans mon pays.
›› Dis-moi de quoi tu ris, je te dirais d’où tu viens
Le rire est un phénomène universel qui existe partout dans le monde. Pourtant, on distingue plusieurs façons de rire selon les pays ou les régions. Les Bigoudens, habitants d’une région de la Bretagne, sont de grands conteurs, spécialistes d’histoires à dormir debout en gardant le sérieux. Chez les Trobiandais, un archipel du Pacifique occidental, le rire dépend des liens de parenté. Ainsi, le blagueur doit faire attention à qui il s’adresse, et celui qui subit les plaisanteries doit accepter sans se fâcher. À Kanak, en Nouvelle-Calédonie, la parole libre est accessible à ceux dont les liens de parenté ne contreviennent pas aux respects rituels. Cette société est plutôt sans humour, le rire s’oppose à un contrôle social très lourd. En ce qui concerne les Indiens d’Amérique du Nord, l’humour fonctionne par l’absurde. Ils accordent une véritable importance à une histoire drôle : le conteur est embarqué par l’histoire qu’il relate en entrant dans une sorte de dialogue intérieur, allant jusqu’à divaguer et verser dans le surréalisme. Dans le cas des Brésiliens, et plus précisément à Nambikwara, la population semi-nomade est presque toujours gaie et rieuse. Les indigènes lancent presque toujours des plaisanteries et des propos obscènes salués par de grands éclats rire.
Au Maroc, le rire est souvent rattaché à la situation, ou au tabou. Bon nombre de blagues de notre enfance se basent sur le ridicule d’une action ou sur la malice. À l’âge adulte, les langues se délient et osent plus de tabous, les blagues salaces sont légion dans le répertoire humoristique marocain. Moins innocent, l’humour est aussi et régulièrement une forme de méchanceté politiquement correcte.
