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Économie maritime : souveraineté, surplus économique, intelligence territoriale et diplomatie bleue

L’économie maritime intégrée à construire (logistique, pêche, mines, industrie, tourisme, sport, recherche...), peut jouer le rôle d’accélérateur de notre propre développement, de réalisation de notre ambition d’intégration de l’Afrique Atlantique et de désenclavement des pays du Sahel.

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Par le professeur Ahmed Azirar, économiste, directeur de recherche à l’IMIS, président de l’AMEEN

Je remercie vivement Groupe le Matin, pour m’avoir associé à ce grand Forum qu’il organise. En relèvent tellement la teneur et la valeur, la pertinence et l’actualité du thème (l’économie maritime), le lieu de tenue (Dakhla) et la date retenue (commémoration du 25e anniversaire de l’intronisation de S.M. le Roi Mohammed VI, que Dieu L’assiste).

Je remercie d’autant l’organisateur qu’il invite à ce débat autant d’experts et de personnalités qui sont aptes à dénouer les tenants et aboutissants des questions combien cruciales que S.M. le Roi Mohammed VI a soulevées dans son Discours du 48e anniversaire de la Marche verte, traitant de l’économie maritime et de la façade atlantique. En attendant que l’étude du ministère des transports en cours soit disponible, ce débat est hautement bienvenu.

Pour ma part, n’étant ni spécialiste de la théorie de la souveraineté, ni expert maritime, je me réfugie dans ma qualité d’économiste pour souligner ici l’importance de l’idée stratégique que S.M. le Roi a développée dans ce Discours, autour de quatre aspects :

• La souveraineté maritime et sa relation avec le développement économique.

• Le surplus économique maritime mobilisable.

• L’intelligence territoriale maritime.

• La diplomatie économique maritime, dite bleue.

Quel lien entre le développement économique et la souveraineté ?

Dans souveraineté maritime il y a souveraineté toute courte ou souveraineté nationale. La souveraineté d’un État implique l’exclusivité de ses compétences législatives, exécutives et judiciaires. Concept qui signifie aussi État indépendant. La souveraineté est un ensemble multiforme et complémentaire : alimentaire, hydraulique, énergétique, sanitaire, digitale, financière..., et maritime qui nous concerne ici et maintenant et qui va être développée par les experts qui interviendront.

On a cru avec la mondialisation dite heureuse que le développement global était accessible pour les pays en développement, surtout les pays à revenu intermédiaire comme le Maroc. Or il n’en a rien été. L’ouverture à outrance de l’économie et l’adhésion à l’idée de spécialisation dans des chaines de valeur mondiales a, selon une théorie dominante, bloqué notre développement à un certain niveau. Comme si un plafond de verre, le fameux piège des PRI, selon le terme économique consacré, empêchait notre développement intégral.

Dès les années 1960 on savait que le développement économique et social ne peut provenir que des forces intérieures du pays. L’échange extérieur doit être entrepris, mais dirigé vers l’intérêt national, en développant au niveau national un tissu économique intégré et compétitif. C’est dire que la souveraineté que le monde occidental veut retrouver après la crise Covid-19 est ancienne, tant en théorie politique (John Locke) qu’en théorie économique du développement.

En tout cas, il n’est jamais trop tard pour bien faire. Le Maroc est aujourd’hui décidé à aller dans le sens de la consolidation de sa souveraineté nationale par les multiples formes de cette souveraineté. Les programmes en cours du «Made in Morocco Industriel», de la souveraineté alimentaire, sanitaire, digitale, hydraulique, énergétique et maritime, en sont les choix volontaristes que le Maroc a fait à un horizon rapproché, 2035.

Oui mais comment réussir ? Sans rentrer dans les détails évidents de l’importance de la bonne gouvernance, notamment, nous rappellerons encore un bon mot Royal : «Al Maakoul». Al Maakoul, le sérieux, veut dire dans ce qui nous intéresse aujourd’hui la nécessité de mobiliser le surplus matériel et immatériel dont regorge le pays. À commencer par le domaine maritime, en consolidant le développement régional des zones maritimes, tant méditerranéennes qu’atlantiques, autour de pôles de développement qui valoriseront les ressources matérielles et immatérielles de ces zones restées jusqu’à présent inexploitées.

L’économie maritime, un énorme surplus mobilisable

Quand Baran et Sweezy, et chez nous, Habib El Malki, il y a des décennies auparavant, avaient fait du concept du surplus économique le moteur potentiel du développement économique et social des pays nouvellement affranchis du colonialisme, ils avaient touché à l’essentiel. Comment récupérer les ressources encore inexploitées, matérielles et immatérielles, ou celles transférées à l’étranger, comment éviter les gaspillages, et mobiliser promptement ces ressources pour construire les fondements d’une économie productive de valeurs au profit du développement de l’Homme ? C’est une thèse qui ne s’est pas défraîchie. Loin de là.

La mer garde entiers dans le subconscient des Marocains son mystère et son potentiel de dangers, dont le plus grave, celui de perte de la souveraineté nationale. Pourtant des Marocains nombreux ont historiquement pris la mer et navigué pour conquérir de nouvelles contrées (Andalousie) ou pour réguler la circulation des flottes (piraterie de Salé, Azemmour, Nekor...) ou tout simplement pour étudier (Ibn Battouta, Al Idrissi...), découvrir ou commercer, le plus légalement, moyennant des bateaux partant de ports dynamiques à des époques différentes de notre histoire (Essaouira, Tanger, Salé...). 3.500 km de côtes et un domaine maritime exclusif de plus d’un million de km², concernant 9 régions littorales sur 12 et les trois quarts de la population, recèlent un surplus immense encore sous-exploité. Tant le PIB maritime reste très bas.

Pourquoi une telle léthargie ? Quelle est la grandeur approximative de ce surplus et quels en sont les segments majeurs ? Quelles sont les conditions pour le mobiliser ? Quels sont les territoires et les acteurs concernés ? Peut-on imaginer des étapes d’une feuille de route ? Beaucoup de questions se posent. S.M. le Roi a, à juste titre, remis en avant cette problématique peu développée dans le Rapport de la Commission spéciale sur le modèle de développement, produit en guise de nouveau modèle de développement de la presqu’île qu’est le Maroc Méditerranéen-Atlantique (MMA).

À l’heure du monde économique en fragmentation, et en attente de découvertes de ressources énergétiques on shore, le domaine maritime marocain offre des opportunités de création de valeurs incommensurable. D’autant plus que le changement climatique menace férocement nos campagnes et nos villes, qui remarquons-nous sont presque toutes côtières. À l’exception de quelques-unes comme Marrakech, Fès, Oujda, Béni Mellal, Smara. Lesquelles villes sont toutes rattachables à leur environnement maritime proche. La région de Dakhla-Oued Eddahab et, plus généralement, la façade atlantique recèlent un potentiel important.

L’économie maritime intégrée à construire (logistique, pêche, mines, industrie, tourisme, sport, recherche...), peut jouer le rôle d’accélérateur de notre propre développement, de réalisation de notre ambition d’intégration de l’Afrique Atlantique et de désenclavement des pays du Sahel. Il y a des conditions pour cela, bien entendu. À commencer par le montage de notre flotte nationale moyennant un chantier naval compétitif (à commencer immédiatement par le cabotage national), et la consolidation de notre souveraineté maritime. Le travail en cours par des privés nationaux, ou avec les Coréens, augure d’une excellente perspective.

L’intelligence territoriale maritime

La régionalisation avancée que le Maroc exécute depuis plus d’une décennie a accumulé une expérience appréciable. Elle a encore besoin de mobiliser des ressources suffisantes, financières et humaines, de construire au niveau de chacune des 12 régions l’organisation, en rapport avec les capacités mobilisables localement et avec les caractéristiques et besoins régionaux, la gouvernance irréprochable et les plans de développement appropriés. Ces plans existent d’ores et déjà. Leur analyse laisse sur sa faim en ce qui concerne le volet maritime. Autour de nos ports, excepté Tanger Med, avec l’industrie automobile notamment, et Jorf lasfar avec les phosphates, il n’y a pas encore de pôles de développement à proprement parler. Certes, la pêche, principalement côtière, domine dans la majorité des ports. La pêche hauturière prospère, quant à elle, à Agadir et Dakhla principalement.

Ce n’est pas rien. Ce n’est pas suffisant. Le dessalement de l’eau de mer qui s’accélère, ainsi que le chantier naval en perspective vont constituer leurs écosystèmes qui pourraient entraîner dans leur sillage de nouvelles activités. Le maritime n’est pas encore à proprement parler le moteur autour duquel se construit le développement territorial de nos régions maritimes. Les démarches de l’intelligence territoriale, y compris le marketing territorial intelligent, sont requis. D’expérience, certaines régions font de plus en plus l’effort de former leurs cadres à l’intelligence territoriale. Ce qui est une excellente démarche à généraliser et à poursuivre.

On vend sa région aujourd’hui comme on vent un produit ou un service (ou presque !), à une époque où les technologies modernes de communication, y compris l’intelligence artificielle, de plus en plus, facilitent la collecte, l’organisation, l’analyse, l’échange et l’exploitation des données pertinentes. L’intelligence territoriale, se déploie d’autant favorablement qu’elle se lie à l’intelligence stratégique nationale, pour promouvoir à l’étranger une image nationale plurielle, diversifiée et ancrée localement.

Autant le pays développe l’avantage comparatif, autant les régions développement l’avantage concurrentiel pour que les entreprises construisent, sur ces deux bases, le développement compétitif proprement dit. Le volet maritime est à cet égard l’ingrédient central du futur pour les régions atlantiques directement concernées, comme pour l’ensemble du pays. En guise de cordon de co-développement avec nos partenaires afro-méditerranéens. En tête desquels, les pays du Sahel qui ont grandement besoin de ce coup de pouce Royal vital, l’ouverture sur le large atlantique.

La souveraineté maritime et la «diplomatie bleue» : le Sahel comme partenaire

C’est depuis les années 1980-90 que le concept de «diplomatie bleue» a pris corps après les négociations qui ont conduit à l’adoption, en 1958, de quatre conventions dites de Genève sur les eaux territoriales, le plateau continental, la haute mer et la pêche. Et c’est la négociation de la Convention des Nations unies sur le droit de la mer (CNUDM), signée en 1982 et entrée en vigueur en 1994 après la renégociation de la Partie XI relative aux fonds marins, qui donna le coup d’envoi d’une diplomatie à vocation spécifiquement maritime en renouvelant largement les concepts du droit international de la mer et en élaborant des règles qui devaient amener les États à négocier sur la question «océans».

Le Maroc, pays océanique par excellence, se rend compte qu’il faudrait qu’il prenne sa part dans cette diplomatie bleue. Pour ce faire, il entreprend de se doter d’une organisation appropriée et de moyens adaptés pour traiter les enjeux régionaux et mondiaux des océans. À cet égard, le Maroc dispose déjà d’une diplomatie agissante, il faudrait qu’elle intègre en son sein de manière systémique les aspects relatifs à la mer et aux océans. Le Royaume devrait aussi se doter d’un dispositif étatique en charge des océans, un département de la mer de plein exercice, et surtout une marine marchande agissante qui œuvrerait à reconstituer un pavillon national compétitif.

Chacun sait aujourd’hui que les enjeux diplomatiques stratégiques intègrent totalement les mers et les océans qui sont des lieux de lutte de pouvoir et d’influence pour la plupart des États, régionalement comme mondialement. À cet égard, le Maroc a non seulement des intérêts à défendre, mais aussi un champ de partenariat à développer avec les États voisins notamment, conformément à son orientation africaine et à sa stratégie de co-développement Sud-Sud. C’est dans ce cadre que la proposition Royale de faire bénéficier les pays du Sahel d’une ouverture sur l’Atlantique est prodigieuse. Les quatre pays concernés l’ont vite compris. Un travail synergique se doit d’être déployé entre le Maroc et ses voisins pour profiter ensemble d’une telle perspective.

S.M. Le Roi Mohammed VI, qui vient de clore 25 ans de règne avec brio et succès continu, trace pour son pays une trajectoire prometteuse avec autant de projets divers que l’industrialisation du pays, la généralisation de la protection sociale, la réforme du statut familial ou la mobilisation de l’économie maritime intégrée. Autant de projets qui non seulement accélèrent le développement économique et social durable du Royaume, renforcent l’intégrité territoriale, mais lui donnent aussi un leadership régional et une visibilité internationale reconnus. n
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