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La fracture du savoir à l’ère digitale : Enjeux et perspectives pour le Maroc en transition

L'accélération du digital redéfinit les dynamiques socio-économiques en permettant un accès rapide aux savoirs tout en exacerbant les inégalités.

De gauche à droite : Chaimae Bouha et Lamiae Benhayoun.
De gauche à droite : Chaimae Bouha et Lamiae Benhayoun.

Par Mme Chaimae Bouha, PhD candidate et Dr. Lamiae Benhayoun, Directrice digital learning et Professeure Associée à UIR Rabat Business School

Pendant la crise de COVID-19, l'adoption massive du numérique a illustré son potentiel paradoxal pour la cohésion socio-organisationnelle. Bien que ces technologies favorisent la résilience des opérations stratégiques et la simplification de la vie quotidienne, elles accentuent les inégalités d’accès à une information fiable et utile. Cette "fracture du savoir" oppose les "détenteurs de l'information" aux "démunis d'information" et repose sur un fossé numérique résultant du manque de sensibilisation des populations et de la forte réticence à ces technologies d’employés non convaincus.

Dès lors, ces effets ambivalents soulignent le besoin en stratégies maximisant les bénéfices des outils numériques et limitant leurs conséquences négatives. Ces cadres structurants sont d’autant plus critiques pour les communautés marginalisées et les petites structures dans les contextes économiques émergents. Cependant, Le rythme de l'évolution technologique dépasse souvent la capacité des entreprises et des pouvoirs publics à développer des schémas stratégiques d'intégration efficace. Aussi, malgré des avancées significatives dans le domaine de la gestion des connaissances à l’ère post-digitale, les études existantes ne guident les professionnels dans la capitalisation sur les apports du digital tout en contrôlant ses limites pour la fracture du savoir.

Pour répondre à ces enjeux, l’UIR Rabat Business School a mené une étude transsectorielle approfondie afin de produire des recommandations concrètes pour la configuration sociale et économique marocaine. Les implications de cette étude permettent aux managers et décideurs d’établir une feuille de route autour du digital visant à réduire la fracture du savoir dans une économie émergente, et améliorer la prise de décision.

La fracture du savoir à l’ère digitale : Enjeux socio-économiques pour un Maroc en transition

Sur le plan social, les zones urbaines bénéficient d'une meilleure connectivité Internet et d'un accès plus facile aux outils numériques, tandis que les zones rurales souffrent encore d'infrastructures limitées. Ces inégalités d'accès restreignent les opportunités d'apprentissage à distance et l'acquisition de compétences. Au-delà de ces différences géographiques, cette fracture du savoir est renforcée par les disparités générationnelles entre les jeunes qui sont plus à l'aise avec le numérique que les générations plus âgées. Le coût des équipements et de l'Internet représente également un frein majeur pour certaines populations qui demeurent ainsi en retrait face aux évolutions numériques et à l'accumulation des nouveaux savoirs. En outre, la digitalisation de l'éducation est freinée par des facteurs culturels et linguistiques. Une grande partie du contenu en ligne est disponible en anglais ou en français, tandis que l'arabe domine dans la communication quotidienne. Cette fracture est particulièrement saillante dans les écoles publiques qui souffrent de ressources limitées comparées aux écoles privées. La pandémie a révélé ces disparités, excluant les élèves sans accès aux outils numériques pour suivre les contenus éducatifs dispensés en ligne.

Dans le domaine des entreprises, la fracture du savoir se manifeste par un manque de compétences digitales face au progrès technologique effréné. Une grande partie de la main-d'œuvre souffre de formation insuffisante au numérique, à l'intelligence artificielle, et à l'analyse de données, ce qui réduit l’accès aux savoirs récents pour garantir la compétitivité des entreprises. Aussi, contrairement aux grandes firmes, les PME locales manquent de ressources pour suivre la transformation digitale mondiale. De plus, les entreprises situées dans des régions éloignées, moins connectées, rencontrent des difficultés à adopter les solutions à distance nécessaires pour le partage des connaissances et la collaboration. Par ailleurs, la résistance culturelle à la digitalisation dans des secteurs traditionnels, comme l'agriculture et le textile, ralentit l'adaptation aux nouvelles technologies et par conséquent l'accès aux connaissances essentielles pour l'innovation industrielle.

Apports et limites des technologies numériques pour mitiger la fracture du savoir

Cette réalité émergente du Maroc requière l’implémentation de politiques efficaces pour accompagner la transformation digitale accélérée en contrôlant ses répercussions pour la fracture du savoir. Pour guider ce plan d’action, nous identifions les opportunités d’investissement dans le digital pour les organisations et pouvoirs marocains et les sensibilisons aux barrières qui inhiberaient les efforts d’adoption.

En effet, l'intégration des technologies offre des bénéfices majeurs pour réduire la fracture du savoir. L'intelligence artificielle (IA), les applications mobiles, les réseaux sociaux, et l'analyse de données massives contribuent positivement à la gestion des connaissances, tant au sein des entreprises qu’à l’échelle sociétale. L'IA automatise les processus et facilite la prise de décision en convertissant des données complexes en informations exploitables, comme en témoigne la transformation des pratiques commerciales dans les secteurs marocains de e-commerce et bancaire. Les applications mobiles et les réseaux sociaux quant à eux, favorisent la communication et la collaboration, renforçant ainsi les communautés citoyennes et les réseaux d’entreprises.

Cependant, ces technologies présentent des limites psychologiques pour les individus et les collectifs. La surcharge informationnelle liée à la prolifération des données gérées par le digital crée de la confusion et une instabilité émotionnelle. En particulier, la surexposition aux écrans et la sollicitation constante par les notifications affectent la santé mentale, ce qui diminue la productivité et mène au burnout. Aussi, les outils numériques, censés favoriser la cohésion, peuvent à l'inverse encourager l'isolement social et affaiblir la dynamique d'équipe. Par ailleurs, l'adoption forcée des technologies en réponse à l’intensification du multitâche dans les organisations, se confronte aux capacités humaines limitées de traitement informationnel, ce qui nuit à l'innovation et complique la prise de décision. Cette obligation d’adoption numérique marque également la population qui souffre de technostress en raison de l’accroissement obligé du digital pour accéder aux services publics ou commerciaux.

Une feuille de route pour agir sur la fracture du savoir à l’ère digitale

Ces résultats permettent d'établir une feuille de route pour aborder la fracture du savoir dans un contexte émergent, en capitalisant sur les opportunités précitées du digital tout en maitrisant ses effets néfastes. Sur le plan organisationnel, ce plan d’action s’articule autour des axes suivants :

• Adoption de technologies centrées sur l'utilisateur : Promouvoir des outils collaboratifs, plateformes cloud, et solutions technologiques adaptées aux besoins des entreprises, notamment des PME, pour le partage des connaissances tout en réduisant les contraintes cognitives pour l’expérience utilisateur.

• Formation aux compétences digitales : Mettre en place des programmes de formation continue pour renforcer les compétences des employés et dirigeants dans les domaines du big data, de l'intelligence artificielle et, de la cybersécurité; accompagnés du développement de contenus numériques adaptés aux spécificités des secteurs d’activité marocains.

• Soutien à l'innovation locale : Créer des incubateurs pour encourager les entreprises à adopter des solutions digitales locales et soutenir les startups technologiques.

Des initiatives similaires peuvent être parallèlement déployées pour contenir la fracture du savoir dans les tranches de la société :

• Amélioration de l'accès aux infrastructures numériques : Développer des infrastructures pour garantir un accès équitable à Internet dans les zones rurales et faciliter l'acquisition d'équipements à moindre coût.

• Inclusion digitale et alphabétisation numérique : Intégrer les compétences digitales dans le système éducatif, promouvoir des contenus localisés et multilingues, et développer des programmes de formation pour sensibiliser les populations à l'utilisation du numérique.

• Digitalisation des services publics : Améliorer l'accès aux informations essentielles et la transparence par la digitalisation des services publics, notamment l'administration, la santé, et l'e-gouvernement.

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